La yogathérapie de groupe

Indications et contre-indications d'une nouvelle technique somato-psychique

Dr Bernard AURIOL

Service de Psychiatrie, Centre Hospitalier, Montauban; Psychother. Psychosom. 20: 162-168 (1972)

(Abstract)

 

Il est des distinctions fécondes pour la recherche qui deviennent caduques à un certain moment de son développement et, le poids des mots aidant, s'érigent en obstacle majeur et l'interdisent. Rappelons seulement la distinction du "où" et du "quand" dont le rejet par EINSTEIN a permis un bond prodigieux en avant dans les sciences physiques. Il nous paraît qu'il devient aujourd'hui tout à fait urgent de réformer nos modes de pensée et pas seulement nos façons de dire par rapport à une distinction souvent condamnée mais toujours existante dans nos démarches médicales ou psychologiques: celle de l'âme et du corps.

HENROTTE notait au cours d'un débat sur le Zen que si l'Orient était moins dualiste que nous, c'était en raison de la nature expérimentale de ses recherches sur le corps et l'esprit, il faudrait dire plutôt "auto-expérimentale". L'introspection occidentale quant à elle s'est au contraire généralement contentée d'une approche descriptive des phénomènes vécus par l'observateur. Ces bases indiquées on comprendra que nous ayons recherché dans le yoga indien et le système non-aristotélien de KORZYBSKI les éléments d'une thérapeutique somato-psychique. Nous avons donc, pendant deux ans, proposé à plus de 100 malades hospitalisés dans divers établissements de soins psychiatriques, la pratique quotidienne d'exercices respiratoires, de postures statiques de hathayoga associés à la concentration sur certains éléments du corps propre, sur certaines sensations (lumineuses, acoustiques, tactiles, kinesthésiques) et ce, dans le cadre d'un travail en groupe. Après trois-quarts d'heures constituant la phase proprement "yoga", nous consacrons un quart d'heure à des exercices de déconditionnement sémantique au niveau non-verbal et verbal en nous inspirant de l'école américaine de "sémantique générale". Les résultats encourageants de cette méthode que nous avons résumés dans notre communication au Congrès de Psychothérapie non-verbale d'Istanboul (en août 1970), nous amènent à proposer aujourd'hui une brève étude relative aux indications préférentielles de cette technique à partir des cas que nous avons étudiés. Précisons tout d'abord que les réserves, souvent exprimées dans la littérature scientifique relative au yoga, à l'égard de sa pratique par les névrosés ou les psychotiques, nous paraissent tout à fait justifiées si l'on fait allusion à un entraînement individuel ou poursuivi sous la responsabilité d'un "maître", d'un "gourou" dépourvu d'information médico-psychologique et ne possédant lui-même aucune expérience didactique. En effet, la pratique du yoga en groupe à des fins thérapeutiques, si elle ne vise pas à favoriser le transfert pour en faire l'analyse, suscite néanmoins des phénomènes transférentiels, souvent discrets mais parfois très évidents: il est certain que leur maniement par un moniteur non prévenu peut entraîner de fâcheuses conséquences. D'autre part la plus grande efficacité de cette pratique passe par "l'ambiance" créée au cours des premières séances par l'équipe des moniteurs. Cette ambiance doit être conforme aux principes de "non-violence" et de "congruence" propres aux techniques du yoga et assez proches d'une certaine conception de la "neutralité bienveillante" ou mieux du "non-directivisme" de ROGERS.


A l'occasion de sa pratique le sujet est amené à assimiler au niveau vécu par rapport à la conduite de lui-même, ces principes de non violence et de véracité; ainsi diminuent la distance entre l'idéal qu'il se fait de lui-même, l'image qu'il a de lui et l'image qu'il donne de lui aux autres. Il apprend à ne pas lutter avec impatience contre ce qu'il considère comme des insuffisances, mais à obéir à sa propre nature somatique et psychique, à l'ensemble de son organisme. En s'exerçant à s'efforcer de supprimer les efforts inutiles il découvre pour les abolir un certain nombre de "paratonies cruciales" devenues évidentes et peut ainsi, même au niveau psychodynamique, opposer une résistance moindre à l'analyse verbale, quand elle est menée concurremment. D'où l'intérêt de l'association entre psychothérapie verbale et yogathérapie que nous signalait récemment dans une communication personnelle Serge Lebovici. Comme dans le Rêve Eveillé Dirigé, quoique à un autre niveau, la situation conflictuelle apparaît à l'intérieur du sujet lui-même, ici, et de manière parfois très évidente, au niveau de son corps. La résoudre (et sans décider à quelle "profondeur" atteint cette solution somatique des conflits) équivaut pour le sujet à accepter certaines postures, certains rythmes respiratoires, certains exercices de rapport non-verbal avec les autres membres du groupe. De là, toute l'importance de l'attitude précautionneusement non-directive des moniteurs, afin de ne pas aller d'une résistance dans la technique à une résistance à la technique et à ses enseignants. En raison des possibilités de variation dans l'application, le yoga en de bonnes mains, ne devrait pas connaître de contre-indications. Il est cependant des postures à proscrire en raison d'une pathologie vertébrale donnée et on se trouvera bien de demander des clichés radiographiques au moindre doute. Si les contre-indications sont exceptionnelles, les indications ne sont pas toutes également rentables, nous allons essayer de préciser quelque peu cette "rentabilité thérapeutique" en fonction de quelques paramètres. En tout premier lieu, un sujet dont la motivation est insuffisante n'apporte que peu de résultats et il abandonne très vite: ainsi par exemple lorsque chez un psychotique, on constate une absence totale de critique par rapport aux productions pathologiques malgré une chimiothérapie adéquate. Il en va de même lorsque la motivation n'est que transférentielle (lorsque le sujet ne s'intéresse à la technique que dans la mesure où cela satisfait le désir d'un ou plusieurs soignants) ou lorsque l'entraînement n'est envisagé qu'au titre d'une valorisation par la recherche d'exploits fakiriques. Dans nos observations, nous constatons trois types de résultats en fonction du temps:

  1. un résultat immédiat de détente, d'optimisme, de discrète euphorie: cet effet ne dépasse pas quelques minutes ou quelques heures;
  2. un résultat évident sur certains symptômes fonctionnels au bout de 8 à 10 jours;
  3. une amélioration des symptômes psychiatriques au bout d'un ou deux mois. L'effet 2 et 3 ne se maintient au début qu'au prix d'une poursuite régulière des exercices qui doivent rester quotidiens.
  4. Des résultats stables peuvent être enregistrés Si la pratique dépasse plusieurs mois.

On peut dire qu'un sujet qui n'obtient aucun de ces effets au bout de deux mois constitue une mauvaise indication de la technique. Nous n'avons pu déterminer exactement en fonction de quoi certains sujets étaient dans ce cas. Par rapport au niveau intellectuel, nous avons été surpris de constater que les sujets de QI moyen profitaient moins bien de la technique que les QI élevés ou inférieurs: notons que ces derniers étaient surtout représentés par des sujets atteints de troubles caractériels. Les sujets de QI élevés quant à eux participaient aux séances d'une manière plus active, plus régulière que l'ensemble des autres sujets: ainsi s'expliquerait leur meilleure réussite. On peut d'autre part faire remarquer que les débiles somatisent davantage leurs troubles en raison d'une insuffisance des processus d'intégration au niveau psychique et que les sujets doués intellectuellement cérébralisent volontiers et se rendent ainsi réfractaires à la démolition verbale de leurs structures défensives pathologiques: les techniques somato-psychiques apparaîtraient chez eux comme un moyen de "tourner" ces remparts. L'analyse des résultats par rapport au sexe des malades montre que les femmes participent mieux parce que sociologiquement mieux disposées à l'attitude de passivité exigée par la yogathérapie: elles profitent mieux que les hommes de notre technique. Ces derniers y répondent généralement par tout ou rien. La yogathérapie donne de bien meilleurs résultats entre 16 et 30 ans qu'au-delà de cet âge: cependant un âge, même avancé, n'interdit pas à un sujet motivé de l'entreprendre et d'en tirer bénéfice. Par rapport aux enfants, nous n'avons pas d'expérience personnelle; signalons pourtant quelques tentatives intéressantes non encore publiées: Mme Reuillard à Nice, MM. Aubin et Doat à Solliès-Pont. Par rapport au diagnostic nous constatons une action plus évidente sur les névrotiques que sur les psychotiques. Les troubles caractériels réagissent très bien, qu'il s'agisse de débiles ou d'épileptoïdes. Au point de vue de l'action symptomatique, notons que la yogathérapie rapproche le poids corporel de la moyenne, assouplit la posture et la rectifie, améliore la spontanéité gestuelle et ce dans la quasi-totalité des cas: cette action est particulièrement évidente, parfois spectaculaire dans 25% des cas environ. Une augmentation de l'activité pragmatique est évidente dans, environ, 50% des cas tandis que l'anxiété-tension diminue nettement dans 30% des cas. Le névrotisme, l'extra-punitivité, l'humeur dépressive et la dépendance passive disparaissent dans 20 à 25% de nos cas. Quant à l'introversion pathologique, elle diminue, paradoxalement, de manière très nette chez 50% de nos sujets! Cette amélioration du contact avec autrui et le réel par le truchement d'une technique d'aspect auto-centré ne doit pas surprendre outre-mesure si l'on considère que l'introversion inadaptée prend généralement sa source dans une peur à l'égard d'autrui et du monde en raison d'un manque évident de confiance en ses propres ressources: la découverte en soi d'énergies insoupçonnées et de possibilités de réalisation nouvelles brise le cercle vicieux qui s'était constitué au niveau relationnel. On note très souvent également, un élargissement du champ de la conscience avec une meilleure intégration des expériences nouvelles, une plus grande ouverture de l'éventail des intérêts, de nouvelles possibilités de distanciation à l'égard des problèmes personnels actuellement prégnants et à l'égard des situations actuelles de conflit avec autrui. Les sujets de structure obsessionnelle profitent généralement bien du yoga en raison de leur participation scrupuleuse; par rapport aux instables, aux déséquilibrés, aux pervers, la participation souvent irrégulière est moins efficace; lorsque nous avons pu obtenir du sujet un contrat moral prévoyant une obligation ultérieure, éventuellement coercitive, de mener à bien une longue série de séances, le résultat s'est avéré favorable. La yogathérapie de groupe entraînant une rééquilibration de l'homéostasie biologique, un renforcement du moi, une diminution des défenses pathologiques, une augmentation du sentiment d'autonomie, de meilleures possibilités de contact avec autrui, de plus grandes facultés d'attention, un élargissement du champ de la conscience, une maîtrise accrue des réactions émotives immédiates, l'augmentation du seuil de tolérance à la frustration, n'est pas seulement une méthode psychothérapique, elle constitue également et peut-être avant tout une méthode psychagogique débouchant sur le développement maximum d'un organisme donné. Actuellement à la mode et dégrevée du caractère "psychiatrique" des psychothérapies classiques, peu coûteuse parce que pratiquée en groupe, elle est facilement acceptée par le malade souvent enthousiaste, en raison de résultats rapides et palpables, notamment au niveau de son corps. Son intérêt et ses indications tiennent d'une part au fait que le malade participe activement à sa propre guérison dès la première séance, d'autre part et surtout au mécanisme lui-même de son action, mécanisme apparenté à celui du training autogène, de la méthode Vittoz, de l'Eutonie et de l'expression corporelle. Ce mécanisme fait appel au traitement du corps pour restaurer l'intégrité psychique. Si la médecine contemporaine a reconnu la réalité des troubles somatiques d'origine psychogène et le bien fondé de leur traitement par la médecine psychologique, il lui reste peut-être à s'appesantir sur l'existence de troubles psychiques d'origine somatique et plus encore sur les possibilités de traitement des maladies mentales par les méthodes somato-fonctionnelles. La yogathérapie nous paraît représenter le cadre le plus extensif et le plus compréhensif d'une telle démarche.
 
 

Résumé

Dans ce travail, l'auteur, après avoir rappelé l'urgence d'une approche nondualiste de l'organisme humain, même dans le domaine psychothérapique, indique les grandes lignes d'une nouvelle technique: la yogathérapie de groupe. Il précise ensuite les indications et contre indications de cette technique: dangereux pour les névrosés et les psychotiques, quand ils le pratiquent seuls, le yoga devient source d'évolution dans le cadre d'une pratique en groupe, sous la direction d'un psychothérapeute. Un parallèle peut être établi entre la yogathérapie et les techniques visant à une harmonisation du tonus musculaire. On ne doit proposer le yoga thérapeutique qu'à des sujets dépourvus de lésion vertébrale et fortement intéressés. En dehors des effets bénéfiques à court terme, l'auteur indique une transformation durable à l'issue de plusieurs mois de pratique. Les femmes semblent en tirer plus de bénéfice que les hommes. Les troubles du caractère (agressivité) sont les mieux accessibles. Les névrosés en profitent plus que les psychotiques. Enfin sont évoquées quelques perspectives futures.

Bibliographie

AURIOL, B.: La yogathérapie de groupe. Une expérience en milieu psychiatrique. Presse méd. 78: 655 (1970).

AURIOL, B.: Prolégomènes à une yogathérapie de groupe; thèse de médecine, Toulouse(1970).

AURIOL, B. et POINÇON, R. C.: Une nouvelle technique de psychothérapie non-dialectique: la yogathérapie de groupe. Congrès International de Psychothérapie non-verbale, Instanboul 1970.

DURAND DE BOUSINGEN et GEISSMANN, P.: Les méthodes de relaxation (Dessart, Bruxelles 1968).

VEYLON, R.: Le yoga, mystique, mystification, ou technique médicale? Presse méd.77: 1882 (1969).

KORZYBSKY, A.: Science and sanity: an introduction to non-aristotelian systems and general semantics; 4th ed. (International Non-Aristotelian Library, Lakeville1958).
 

Abstract

In this work the author, having recalled the urgency for a non-dualistic approach to the human organism, even in the psychotherapeutic field, outlines the basic structure of a new technique: 'group yoga-therapy'. He goes on to specify the instructions and prohibitions of this technique: it is dangerous for neurotics and psychotics to practise by themselves; but yoga is having promising results when practised in group, under the supervision of a psychotherapist. One could draw a parallel between yoga-therapy and the techniques to obtain harmony through muscular tonus. One must only suggest therapeutic yoga for those who have no vertebral injuries or who are very interested (motivated). The author indicates a lasting transformation after several months of practise. Women seem to benefit more than men. Neurotics profit more than psychotics. Finally some future perspectives are evoked.(back to the beginning).

ISSN 0033-3190

¤ La Yogathérapie de Groupe, indications et contre indications d'une nouvelle technique somato-psychique, Psychothér. Psychosom. 20 (3 & 4), 162-168 (1972)

Dans ce travail, l'auteur, après avoir rappelé l'urgence d'une approche nondualiste de l'organisme humain, même dans le domaine psychothérapique, indique les grandes lignes d'une nouvelle technique: la yogathérapie de groupe. Il précise ensuite les indications et contre indications de cette technique: dangereux pour les névrosés et les psychotiques, quand ils le pratiquent seuls, le yoga devient source d'évolution dans le cadre d'une pratique en groupe, sous la direction d'un psychothérapeute. Un parallèle peut être établi entre la yogathérapie et les techniques visant à une harmonisation du tonus musculaire. On ne doit proposer le yoga thérapeutique qu'à des sujets dépourvus de lésion vertébrale et fortement intéressés. En dehors des effets bénéfiques à court terme, l'auteur indique une transformation durable à l'issue de plusieurs mois de pratique. Les femmes semblent en tirer plus de bénéfice que les hommes. Les troubles du caractère (agressivité) sont les mieux accessibles. Les névrosés en profitent plus que les psychotiques. Enfin sont évoquées quelques perspectives futures.

 

هناك اختلافات عديدة للبحث التي تصبح باطلة في وقت من تطوره.

لنتذكر فقط الفرق بين "أين" و"متى" والذي كان رفضه من طرف العالم الفيزيائي "إنشتاين" سببا في التطور الكبير في العلوم الفيزيائية. يبدو أنه قد أصبح اليوم من المستعجلات أن نصلح طرق تفكيرنا، ليس بالنسبة للفرق بين شيء وآخر ولكن كذلك في أسالبنا الطبية والنفسية : بين الروح والجسد. "هينروت : Henrotte"  أكد مؤخرا في جدال على "ًzen"  أنه إذا كان الشرق أقل ازدواجية "Dualiste" منا، فهذا سببه الطبيعة التجريبية لأبحاث على الجسد والعقل.

 

 

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Psychosonique Yogathérapie Psychanalyse & Psychothérapie Dynamique des groupes Eléments Personnels

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23 Janvier 2007