Note à propos de la vie d’équipe

Dr Bernard AURIOL

 

  L'équipe par choix et l'équipe par contrainte, essai de définition et recherche de paliers évolutifs, Rencontre Midi-Pyrénées de " Chrétiens en Psychiatrie " (10/11/1972), L'Equipe comme relai de la Communauté en Psychiatrie pp. 7-8 (1973) (texte rédigé à la suite d'une réunion d’infirmiers(ères) d'HP à Rodez)

 

 

Sous le mot d’équipe on désigne des choses parfois assez différentes. Il s’agit d’individus situés dans un même contexte de travail (« l’équipe psychiatrique de secteur ») mais on peut imaginer deux façons d’être liés dans un tel contexte de travail :

 

1°) Les contraintes externes (besoin de gagner de l’argent, désir d’avancement, craintes par rapport aux soignés, au qu’en dira-t-on de ceux qui ne font pas partie de la même activité, etc…) créent un lien évident entre les membres qui font corps et s’amalgament plus ou moins : c’est l’union par la frontière que je schématiserai ainsi:

 

figure 1
Schéma de l'équipe sous contrainte

 

 

 



 

2°) Un mouvement individuel pousse chacun des membres de la future équipe vers les autres, uniquement dans un désir de rencontre, dans un échange d’attractions réciproques. Le projet commun, le travail-ensemble n’est qu’une conséquence de ce besoin de rencontre. En représentant les liens positifs en vert, les éléments externes au groupe officiel étant marqués comme « ext » , on peut schématiser une telle équipe ainsi :

 

Figure 2
schéma de l'équipe par choix réciproque

On remarquera dans ce second cas, que le groupe peut se donner des frontières et même que la plus ou moins grande tendance à l’exclusivité réciproque conduit à une frontière coïncidant avec les liens eux-mêmes : par exemple, on se constituera en petite chapelle sectaire, en communauté fermée, excluant toute intrusion, ressentie comme une menace pour la survivance de l’équipe.

 

La représentation devient alors :

 

Figure 3
L'équipe par choix qui se referme et s'auto-contraint (sectarisation)

 

 

Dynamique de l'équipe

 

 

Le sens positif me semble être de la figure 1 vers la figure 2. Le sens négatif de la figure 2 vers la figure 3. Cependant on peut sans doute préciser une évolution en 7 étapes qui se ferait sans que soit jamais abolie une étape lorsqu’on la dépasse dans la suivante.

 

1° niveau : équipe de gens qui s’entendent et sont efficaces parce qu’ils se sont dotés d’une bonne organisation : les tâches sont assurées, bien réparties, les salaires sont payés, le matériel est suffisant et convenable, chacun connaît sa fonction et a les moyens de la remplir (çII).

 

2° niveau : Les individus ressentent l’isolement et la dépersonnalisation face aux mécanismes huilés de l’organisation : ils procèdent à des échanges érotiques ou agressifs, abolissent ou tentent d’abolir, d’une façon ou d’une autre les cloisonnements. Nous sommes au niveau de la fusion et de la confusion. Les liens ne peuvent naître et s’exprimer que sur des bases très concrète. Eventuellement l’entourage de l’équipe parle de « bordel » (çIII).

 

3° niveau : Une restructuration se fait au niveau de l’image de marque que veut (consciemment ou inconsciemment) donner l’équipe. On présente aux yeux extérieurs des liens interpersonnels enviables et dont on feint d’ignorer la superficialité. On parle avec admiration de l’esprit d’équipe qui règne dans ce groupe (çIV).

 

4° niveau : L es liens s’approfondissent et se vérifient, ceux de ces liens qui n’étaient que pour la « galerie » s’effritent, il y a recherche collective de l’authentique ; expression éventuelle des conflits sans crainte exagérée qu’ainsi soit détruit le lien entre les membres. Les individus se perçoivent autonomes mais solidaires. C’est le niveau de la « communauté » (çV).

 

5° niveau : La communauté pour durer a eu tendance à négliger certains aspects obscurs d’elle même. Elle commence à percevoir dans quelque partie d’elle même l’ambiguïté de sa nature, des regrets liés à ses choix, etc.…Elle remarque au sein d’elle même des déviants qu’elle peut rejeter : mais c’est la mort de la « solidarité » du recevoir, écouter, prendre en compte ; ce peut être la folie collective, la dispersion, l’émiettement, ou s’il y a dépassement des contradictions, synthèse des contraires, on assiste à la mort du projet initial au profit de quelque chose de plus vaste, de plus clair quoique plus dangereux et difficile (çVI).

 

6° niveau : La communauté après le passage difficile du 5° niveau se donne le temps d’une restructuration sur de nouveaux objectifs, c’est la loi du groupe qui passe au premier plan, se constitue en norme légale. Il y a un bien et mal spécifique de la communauté, il y a un responsable désigné, élu ou auto-proclamé : danger de sectarisme (çVII).

 

7° niveau : Dépassement dans une certaine forme de communion à l’universalité des hommes avec abandon des lois morales formalistes au profit d’un amour brillant et universel. L’isolé de passage ne se sent jamais de trop, le départ d’un des anciens vers les autres est ressenti autant comme un gain que comme une perte par la communauté (çI).

 

Il n'échappera pas au lecteur que cette dynamique prend ses fondements dans la structure pulsionnelle que nous avons pu rattacher aux niveaux évolutifs individuels du tantrisme. Nous retrouvons ainsi d'une certaine façon Roger Bastide qui a montré que les recherches de Géza Róheim pourraient être reprises dans le sens d’une interprétation cohérente des «visions du monde» qui seraient à la fois propres à chaque culture et insérées dans un schéma universel: «Chaque vision du monde représenterait un arrêt, à un certain stade du développement de l’humanité, qui suit la même loi que le développement de l’individu; la vision chtonienne du monde au stade de la libido maternelle (çI, çII), la vision ouranienne du monde au stade de la libido paternelle (çVII, çVI) , la vision orientale du monde, celle de la culture de l’Inde, au moment où l’impulsion vitale se tourne du monde extérieur vers le moi (çIV, çV). Des comparaisons plus précises montrent que la civilisation australienne, par exemple, a un soubassement oral (çIII) tandis que les civilisations de l’Inde auraient un soubassement anal (çIV)» («Critique sociologique et critique psychanalytique», in Études de sociologie de la littérature ).

 

 

 

Bibliographie

 

  • R. BASTIDE, Sociologie des maladies mentales , Flammarion, Paris, 1965; «Psychiatrie sociale et ethnologie», in J. Poirier, Ethnologie générale , Encyclopédie de la Pléiade , Gallimard, Paris, 1968

  • B. AURIOL, Séminaire donné à l'Université Fernando Pessoa de Porto (18 Juillet 2003) "Psychodrame et états modifiés de conscience; liens affectifs dans un groupe et entre sous-groupes, étude sociodynamique avec prise en considération d'éventuels phénomènes de communication non conventionnels".

 

 

    Voir aussi                                       

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Psychosonique Yogathérapie Psychanalyse & Psychothérapie Dynamique des groupes Eléments Personnels

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3 Novembre 2005