Psychosonique en Pédo-Psychiatrie

Dr Joffrin, Françoise

 

LIMINAIRE

 

            Ils n’écoutent pas, ils ne se concentrent pas …  Plaintes répétées des parents, des éducateurs, des enseignants, témoignant du manque d’autonomie de l’enfant et de son incapacité à la différenciation. Beaucoup de choses ont été dites sur l’écoute. Essayons d’analyser l’intimité de celle-ci, sa genèse, ses interrelations, la spécificité de ses paramètres. Nous ferons aussi état d’une méthode de pédagogie de l’écoute basée sur les paramètres de celle-ci.


 

          L’écoute est également la base de notre pratique d’analyste, le sujet venant à nous avec le désir d’être entendu. Il y a toutes sortes d’écoutes, puisque l’être est un être de parole. Il y a l’écoute de la musicalité et de la prosodie de la langue, de sa pâte phonique, sous forme de signifiants et celle du contenu, le sens, le signifié. Il y a la pseudo-écoute, la non-écoute du discours vide. Il y a l’écoute du poète et de son chant, l’écoute du maître qui enseigne et l’écoute soumise au chef qui commande ; il y a l’écoute amoureuse, l’écoute de la nature et du monde, l’écoute critique et active  du musicien. Telle personne s’écoute parler … mais cet enfant qui crie, cet adulte qui hausse le ton, connaissent-ils l’impact du timbre et de l’intensité de leur voix sur leur entourage ? Ce sujet entend mais n’écoute pas… Par dessus tout, l’écoute peut être ouverte ou fermée. Quelle est ma capacité d’écoute vis-à-vis de cette voix détimbrée, monocorde, mal rythmée, brisée ou atone ?

 

          La parole est durée. Son après son, silence après silence, j’écoute son déroulement. Je la saisis d’abord comme une musique qui m’interpelle. Mon oreille écoute d’abord la voix, première présence, puis le visage et tout l’être. Mais écouter, c’est laisser " être"  tout l’être-homme, l’être à autrui et l’être au monde. De signifiant en signifiant, la trame du temps se tisse :  temps linéaire, mais aussi temps cyclique au cours duquel se sont déposées les multiples strates du sujet : dans la diachronie, celui-ci va s’ouvrir à son histoire.

          La parole est espace. La voix engendre un espace de parole sur fond de silence : l’espace de la résonance d’abord à l’intérieur du sujet et l’espace pour autrui, du proche et du lointain, lieu de la parole articulée et de la différenciation : sons aigus/ sons graves d’abord, puis les oppositions et les substitutions de plus en plus subtiles de la chaîne signifiante qui permettront que réel et imaginaire se différencient. Ce sont ces nuances que nous voudrions saisir à travers certains paramètres objectivant l’intimité et les difficultés de l’écoute, au moyen de l’étude des  voies auditives et de leurs fonctions  permettant l’actualisation des traits différenciateurs, fondateurs de la parole articulée.  Notre interrogation princeps portera sur la genèse et l’organisation de l’espace sonore, et partant de l’espace psychique au niveau duquel science et subjectivité se rejoignent.

 

INTRODUCTION

L'être humain réagit sélectivement aux sons qui lui parviennent de son environnement, auquel il répond par sa propre production sonore, sous forme de langage ou de musique. Cette sensibilité particulière au monde sonore, ou phonosensibilité, occupe une place privilégiée dans le développement de l'individu et dans sa vie quotidienne. Elle s'inscrit dans des structures sensori-psycho-motrices propres au comportement humain, et toute altération ou dysfonctionnement d'un ou plusieurs éléments constitutifs de ces structures est susceptible d'affecter le fonctionnement de l'ensemble. Par exemple, une hypoacousie précoce non détectée, en dehors de toute autre pathologie, suffit à retentir défavorablement sur l'apprentissage du langage et sur la qualité de la phonation.

Si l'oreille a un rôle fondamental dans la perception des sons, le corps participe lui aussi à cette perception par sa sensibilité cutanée ainsi que par la résonance de ses milieux liquidiens, osseux, tissulaires et de ses cavités creuses : l'oreille, antenne sur le monde environnant, est aussi à l'écoute du corps propre du sujet ; les différents canaux sensoriels, auditifs et corporels, se retrouvent d'abord au niveau du tronc cérébral où les réactions sont involontaires, de type réflexe, pour atteindre ensuite le cortex où elles sont conscientes et intégrées.

Les capacités mentales s'étayent principalement sur du matériel acoustique constitutif de notre enveloppe sonore. Celle-ci est pressentie par les acousticiens, les musiciens, les praticiens de la voix comme ML Aucher (1977), Tomatis (1978, 1974) et ses élèves, de même que les psychanalystes comme Anzieu (1985). Ainsi, dans une démarche descriptive, nous pouvons dire que la substance sonore, relativement à son contenu (le signifié) ou à sa phase expressive (signifiante), peut être appréhendée sur plusieurs niveaux intriqués qui correspondent aux étapes successives du processus de communication :

- Au niveau physique ou acoustique

- Niveau physiologique ou articulatoire

- Niveau d'appréciation collective ou sémantique ;

- Plan méditatif ou spirituel.

Chacun de ces plans est régi par le principe d'opposition qui, avec le principe de commutation, régit l'agencement des unités signifiantes du français et nous mettrons en relief les corrélations et même l’unité de tous ces points de vue, auxquels nous ajoutons le point de vue psychologique et spirituel.

 

Nous nous proposons, dans la présente étude,  concernant le  monde sonore de l'enfant, de faire une approche objective de l'intimité de l'écoute et de nous interroger sur le rôle de celle-ci vis à vis des processus cognitifs et affectifs de l'enfant en référence à  des  courants  impliquant E. Lecourt (1985,1988), Michel (1951), Rosolatto (1985), Vasse (1974), et  tendant  à explorer différents points de vue quant au son,  qu’il s’agisse de la pulsion invocante (Lacan 1973) ou de l'enveloppe sonore (Anzieu 1974, 1985).

 

Seront étudiés certains paramètres de l'oreille comme la sélectivité, la spatialisation et l'étude des perturbations des seuils au niveau de certaines zones de fréquence de l'audiogramme, objet d'un protocole et d'une statistique particuliers. Au cours de ces différents chapitres, sera abordé, outre le codage temporel de la fourniture sonore, le codage spatial, tonotopique de la hauteur tonale par la cochlée, toujours en référence à l'audiogramme. Tonotopie vient de TONOS :  cordage, tension, énergie, ton aigu /grave de la voix, et TOPOS : l’espace. Il s’agit de l’espace engendré par le son et qui est soumis à certaines fluctuations et déformations, espace bien connu des audio-psycho-phonologistes et les musicothérapeutes tels que Benenzon, Pr. de Pédiatrie et musicien (1988), Ducourneau (1987),  Jost , Tomatis (1974, 1978, 1983), Verdeau-Pailhès (1985).

La plupart des praticiens, qu'ils soient oto-rhino-laryngologistes, phoniatres, orthophonistes, musicothérapeutes, ou bien physiologistes de la perception, neurologues, phonéticiens, compositeurs, professeurs de musique et de chant, évoluent dans chacun de ces deux domaines, celui de la subjectivité pure et celui de la physique expérimentale, en fonction de leurs objectifs ; nous faisons de même en recherche pédopsychiatrique.

Langage et audition sont intimement liés, l'un conditionnant l'autre, comme le montrent les perturbations du langage plus ou moins sévères chez le sujet déficient auditif, ou porteur de certains types d'otites. Nous nous pencherons sur les paramètres relatifs à la fonction d'écoute qui permettent la communication du sujet avec autrui et avec sa propre corporéité, et qui conditionnent ses acquisitions  dans le registre instrumental entre autre avec Husson (1962,1957), Tomatis (1978), David (1985 ). Ces paramètres subissent des distorsions et nous prendrons comme exemple d'étude de l'audiogramme chez l'asthmatique.

Le langage permet à l'homme de développer la conscience de son existence, de communiquer de façon riche et nuancée avec autrui et avec l'univers, et de se distancer de son objet par la mise en jeu de la fonction symbolique. Si nous admettons l'importance du langage en ce qui concerne l'évolution de l'homme, il nous faut, du même coup, reconnaître celle de l'écoute sans laquelle le langage perdrait sa raison d'être.

Ecouter implique le fait d'entendre avec application et désir ; il s’agit d'opérer une sélection dans le message sonore, d’introduire la notion d'élément conscient et actif qui apportera la note essentielle de la différenciation entre le fait d'entendre et celui d'écouter. L'écoute représente l'aptitude spécifique de l'appareil auditif lorsque celui-ci est devenu capable de capter une information à partir de laquelle va se construire la réalisation de codages à base phonologique, sémantique et syntaxique .

Le rôle initial de l'oreille consista certainement à détecter tout indice sonore susceptible d'annoncer l'approche du danger :  par son angle d'ouverture privilégié, elle peut signaler un message situé à l’arrière d’un sujet. Ou bien c’est dans l’obscurité qu’elle doit extraire un signal sur le bruit de fond du milieu ambiant. Au cours de son évolution, elle a dû apprendre à tenir compte des divers paramètres qui composent le son, à savoir la hauteur, le timbre, la durée et l'intensité. Pourtant, malgré ces facultés déjà hautement différenciées, l'oreille n'a pas accès à l'ensemble des sons émis par la nature. Elle est limitée sur le plan fréquentiel par un seuil minimum, celui des infrasons, et un seuil maximum, celui des ultrasons, le champ des sons audibles allant en moyenne de 20 à 20.000 hertz et rapporté graphiquement sur des courbes des audiogrammes. Il nous faudra au préalable situer l'oreille dans ses connexions neuro-anatomiques, à savoir définir l'ensemble cochléo-vestibulaire, la solidarité oreille-face, ainsi que les territoires du pneumogastrique.

Nous aborderons celle-ci en tant que psychiatre, de manière multi-disciplinaire, en  suivant une ligne de crête entre un support neuro-physiologique et différentes voies  telles que la discipline O.R.L., la linguistique, la psychanalyse, et Bellet (1989) consacre un ouvrage à l’écoute de celui qui se penche sur le message qui lui est adressé par un enfant ou un adulte. L'empirisme et les hypothèses existent, nous tentons là quelques vérifications.

Parallèlement à l'approche microscopique des acousticiens et des physiologistes, nous utiliserons les vues d'ensemble de la systémique, regroupant les divers paramètres utilisés au profit de données telles que la droite et la gauche, le haut et le bas, qui régissent l'espace psychique. Ces directions seront  envisagées sur un plan topologique et  aussi avec leurs notations pathiques, au sens de Binswanger (1971) et de Bachelard (1957).

L’oreille, que nous pouvons décrire de façon imagée comme un diaphragme reliant le sujet au monde, peut être ouverte ou fermée. Son rôle, comme celui du fonctionnement de nos structures mentales, est ancré dans une organisation différentielle, et donc dans la perception des variations de l’environnement et du monde propre du sujet, ainsi que des distances dans les rapports et les structures. Différenciation au niveau du réel des sensations : les nommer, les localiser en tant qu’expérience et pouvoir situer celle-ci dans le présent ou le passé, permet au sujet de distinguer son monde propre du milieu environnant.  Distinction au niveau des représentations imaginaires et fantasmatiques par la découpe spatiale de l’image, auxquelles s’ajoutent les variations d’ordre diachronique de l’histoire, de l’événement avec la mémorisation où intervient l’axe du temps, avec la notion de durée et la capacité d’anticipation. Par des représentations comme le dessin, l’imaginaire permet à l’enfant d’émerger du chaos initial en effectuant ses premières reproductions concrètes des phénomènes réels, destinées à élaborer les manques et fondant l’ébauche du désir. Cette perception différentielle se retrouve au niveau symbolique dans la structuration verbale avec, au niveau du langage, les principes d’opposition et de commutation (transfert, renversement, substitution : par exemple : LA,LE, LI…AL,EL,IL) dans les diverses articulations de la chaîne langagière. Ainsi seront intégrées, dans un réseau de structures de plus en plus différenciées à valeur sémantique croissante, les perceptions inhérentes à la réception des formes. Cette organisation différentielle est la clé de voûte du fonctionnement psychique et fonde l’existence d’un être autonome, apte aux représentations du monde objectal. L’oreille peut être ouverte ou fermée à ces différences, phénomènes corrélatifs de l’autonomie de l’enfant ou de sa fusion sans distanciation objectivante, et privant celui-ci de toute possibilité de prise de conscience. Les principaux éléments différenciateurs de la fonction d’écoute sont la distinction de la droite et de la gauche (spatialisation et latéralisation) ainsi que la discrimination des fréquences (sélectivité), support des traits distinctifs des phonèmes du langage. Ces éléments seront étudiés dans leur signification relationnelle et subjective et situés dans certains regroupements symptomatiques définis par la nosologie classique.

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