Dr Bernard Auriol
¤ De voir, l'écriture du bien-voyant et de l'aveugle (15 Août 2001)
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Pour la communauté des bien-voyants il s’est avéré avantageux, au delà de la symbolisation qu’opère le langage, de sur-symboliser ce dernier dans un second degré étonnant, de le retourner à la trace dont il sortit : ils ont inventé l’écriture !
L'oral et l'écrit si intimement liés ont engendré pourtant deux voies culturelles, deux façons d'être à l'autre, deux lieux du cerveau : à côté des cultures orales qui subsistaient, se sont constituées des cultures écrites, capables d’aller, avec Champollion au delà de la perte du code, de l’oubli collectif.
La parole est la manifestation matérielle de l'esprit, ombre qui le révèle et le mortifie. Elle est foisonnante de questions. L'écrit est comme le reflet de cette ombre. Plutôt que de dire « la lettre tue et l’esprit vivifie », Jousse préfère rester au plus près des étymologies, ce qui donne : « Le graphisme donne la mort et le souffle donne la vie » (II Cor, 3-6).
L’éthologie nous met en présence d’une origine anale de l'acte graphique qui se laisse découvrir dans les frontières qu'on trace, le bornage des propriétés, les marques apposées aux objets personnels (ex-libris, initiales du trousseau, tatouages des bestiaux ou des humains, etc.). Les brahmanes, dit-on, ne devaient pas regarder leurs fèces : cela eut pu les souiller.
L'histoire de l'écriture nous enseigne (Leroi-Gourhan, 1964 et 1965) que l'idéographie tend à une symbolisation, une abstraction contractuelle toujours accrue, jusqu’à la phonétisation de l’alphabet, à la typographie, à l’abréviation des sigles et de la sténotypie.
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Les codes morse et braille vont dans la même direction. Notons ici que le morse, de moins en moins nécessaire chez les marins ou les militaires, est peu à peu abandonné. Pourtant, il eut pu être un intéressant compétiteur du Braille. En effet le morse est un système de points, de traits et d’espaces qui peuvent se lire tactilement, auditivement et visuellement, sans ambiguïté et à grande vitesse, que ce soit par des individus mal ou normo-voyants pourvu qu’ils soient entraînés (Février, p.540-541).
Désolation du traitement de texte informatisé : plus de trace de ces ratures, de ces pâtés qui donnent tant de prix au manuscrit de Madame Bovary...
L'algèbre est une élévation de l'écriture à sa propre puissance, une formation réactionnelle relativement à l'analité dont elle procède. La lettre algébrique est symbole de symbole de symbole, c'est le joker qui permet de généraliser le maniement du jeu et sans y perdre aucune rigueur !
Le langage des signes permet au mal-entendant ou au marin de communiquer avec des gens très éloignés par la langue parlée. Il va plutôt à rebours de l’algébrisation en raison de son utilisation de la simultanéité spatiale !
L'Ecrit invite au Commentaire et à l'Herméneutique. C'est l'explication, la désintrication, le défilement du texte (qui en reçoit consécration) [12] , dévoilement jamais pris en défaut par absence de feed-back; dévoiement diront les tenant de l'orthodoxie; suspecte infaillibilité, dans tous les cas infalsifiable...
Le fatum c'est l'inévitable, la destinée qui aboutit toujours à la mort, au cadavre. Le fatum correspond à une énonciation divine qui ne peut être modifiée, tout comme un écrit, elle demeure. Le destin c'est le dessin de quelque divinité ou de l'Inconscient. Telles les bonnes sœurs sorties de l'esclavage, je parle des Papins qui écrivent en dehors de la page : elles font à leurs maîtresses défense d'y voir puis s'acharnent à en marquer le corps, gratuitement pourrait-on dire, s'il ne s'agissait d'un salaire, et de s'écrier d'anti-écriture en anti-phrase : "en voilà du propre !".
C’est dit, l'écriture est une sublimation anale de la parole !
D’un point de vue neurophysiologique, l’écriture dépend avant tout du cerveau et, si elle dépend aussi de l’organe utilisé pour la produire, c’est seulement en cas de handicap. Ce sont déjà les expériences de Preyer (1895-98) qui ont permis de l’affirmer : il se fixa un crayon à la tête, à la bouche, au coude, au genou, aux orteils, et après quelques exercices, l’écriture obtenue reproduisait chaque fois la forme fondamentale de son écriture habituelle ! Il put en conclure :
« Die Handschrift ist Gehirnschrift [1] »
Plus tard (1937), S. Pellat et R.A. Schuler renchérissent déclarant que « l’organe traceur n’est qu’un appareil passif ». A cela, H. Callewaert, s’appuyant sur des enregistrements cinématographiques, objecte que la façon de tenir le porte plume peut entraîner des modifications notables du graphisme.
Comment l’œil et la main se partagent-ils la production des éléments significatifs – au sens graphologique - de l’écriture ? Le cerveau gouverne la main, décide de sa position (tenue de plume), mais il le fait en tenant le plus grand compte du résultat, de l’image qu’il tient à produire, laquelle ne se borne pas au sens du texte.
Cependant, ce résultat laisse ouverte la question de savoir si l’écriture le style du graphisme, est la trace d’un geste ou si elle est la réalisation d’une image.
a. L’animal et l’homme manifestent des émotions, des instincts, des désirs sous la forme d’une expression : mouvements, gestes, action sur les objets et sur l’environnement. Ceci par tous les canaux d’action disponibles sous le contrôle ou sans le contrôle des canaux sensoriels correspondant.
b. L’écriture est produite par des mouvements. Quel type de mouvement ?
i. Volontaires plus ou moins servis par des automatismes (ex. : la marche, la technique de l’écriture en tant que production de structures alphabétiques reconnaissables). Ces mouvements servent une compétence neurologique (praxie) en vue d’une formulation symbolique (ce que le scripteur veut signifier). Ils dépendent, à la base, des conditions matérielles de production (stylo, papier, support, etc.) et de l’existence d’un apprentissage correct (lecture, technique calligraphique transmise par l’instituteur, etc.).
ii. Réflexes (ex. : la fermeture de l’œil quand on touche la cornée, la crampe de l’écrivain par réaction à une technique d’écriture défectueuse)
iii. Expressifs (ex : mimique de frayeur, de joie, de colère, irrégularités de l’écriture liées à l’émotion)
iv. Volontaires (ex : aller chercher un objet )
v. Volontaires automatisés (ex : la marche, se rattraper quand on trébuche, tricoter, lire, écrire )
c. Ces quatre types de mouvements coopèrent dans la plupart des actions. On cherche alors à déterminer dans un mouvement quel qu’il soit la façon dont ces différentes catégories interviennent : on remarquera avec Ludwig Klages que « le caractère personnel se manifeste dans tout mouvement volontaire (notamment l’acte d’écrire) ». Assurément, celui qui a des gestes raides, saccadés, rectilignes aura aussi un trait graphique rigide, droit, saccadé… L’émotion qui modifie les gestes en général, modifie aussi l’écriture qui en représente la trace, comme l’a montré Georg Meyer en 1898. Il étudie le fait que les lignes, au lieu d’être tracées horizontalement, peuvent monter ou descendre. Il s’appuie sur la théorie de l’expression de Lange. L’écriture est une production individuelle et de même le mouvement qui la produit. Ce caractère individuel est rattaché non seulement aux émotions du scripteur mais aussi à son caractère, par les graphologues.
(l’aveuglé s’en tient à sa première impression)
Thèse de Saudek : l’écriture des personnes qui deviennent aveugles cesse d’évoluer ; elle se fige dans la forme qu’elle avait avant la cécité. Il appuie cette affirmation sur de larges statistiques.
Le résultat logique de cette théorie est que les formes de l’écriture cessent de s’adapter à l’évolution du caractère, quand l’organe de contrôle, l’œil, cesse de fonctionner.
Les observations et expériences de Saudek concernent des personnes devenues aveugles : par exemple, l’expertise en écriture attribue facilement à la même personne son graphisme d’autrefois et celui qu’elle trace après être devenue aveugle à la guerre.
Par contre, l’écriture du bien-voyant à qui on bande les yeux est très troublée par ce procédé, par exemple il a beaucoup de difficulté à produire des m ou des n avec le nombre exact de jambages qu’ils requièrent : c’est dire l’importance du contrôle visuel pour réaliser le graphisme anticipé dans la représentation.
Chez l’aveugle, l’image graphique des derniers temps avant sa cécité joue un rôle tellement déterminant que le style graphique ne change plus [2] , dominé qu’il est par les automatismes acquis et manquant du contrôle qui serait nécessaire à en créer de nouveaux.
Emile Javal a proposé une planchette conçue pour permettre au sujet devenu aveugle d’écrire selon des lignes successives horizontales : la planchette à écrire. Ou planchette « scotographique ». C’est dire que la stabilité de l’écriture dont parlait Saudek doit se réfèrer plus aux détails de la forme qu’à l’ordonnance de l’ensemble !
A l’importance de la mémoire visuelle, il faut bien sûr adjoindre celle des capacités kinesthésiques. Le devenu aveugle est amené à reconstruire son espace à partir des sons, des mouvements et de leur résultat tactile ou auditif. Il reste fidèle quant à l’image à ce qu’il en peut saisir, celle de son passé de voyant. Le voyant quant à lui évolue, voit évoluer les représentations qu’il se fait de lui-même et du monde ; il adapte sans cesse sa production à ces changements, ce qui rend compte des modifications – d’ailleurs assez peu fréquentes – de sa représentation graphique et de son écriture.
Les observations de Saudek sont à rapprocher de la théorie de Ludwig Klages sur l’image directrice individuelle.
Pour H. Callewaert, l’acte d’écrire, est (…) l’équivalent de « l’articulation » et de la « phonation ».
d. Le sourd de naissance peut être « oralisé », c’est dire qu’on l’oblige à parler sans qu’il puisse en percevoir le résultat, il parle mais ne sait ce qu’il dit !
e. Le devenu sourd ne désapprend pas la parole mais, avec les années, on perçoit un changement notable du timbre de sa voix.
Klages l’affirmait déjà en 1906 : « le contrôle de l’ouïe influe sans cesse inconsciemment sur notre parler ». C’est à la base des trois lois énoncées et validées par Alfred Tomatis :
o la voix ne contient que ce que l’oreille entend.o si l’on modifie l’audition, la voix est immédiatement et inconsciemment modifiée.o il est possible de transformer la phonation par une stimulation auditive entretenue pendant un certain temps.
Plus généralement, Klages démontre que pour toute action, se forme inconsciemment une image anticipée de son résultat et les mouvements mis en œuvre pour cette action sont conditionnés par cette représentation du résultat.
Ainsi l’écriture nécessite-t-elle l’intégrité des voies optiques et du centre gnosique visuel, parce que ce centre de la reconnaissance des mots nous sert constamment à vérifier que ce que nous écrivons correspond suffisamment bien à ce que nous projetions d’écrire. Si le sujet devenu aveugle reste capable d’écrire c’est qu’il a conservé le centre gnosique de l’écriture. Il s’agit du centre cérébral qui supporte les automatismes (ou praxies) acquis avant que ne survienne la cécité.
Il convient aussi d’admettre que ce contrôle peut – avec l’entraînement – substituer l’ouïe à la vue !
Un illusionniste entraîné parvient en effet, le dos tourné au scripteur, à distinguer par l’ouïe les crissements de la craie des lettres tracées au tableau noir. Il parvient à en reproduire le texte et même les caractéristiques dominantes du graphisme.
L’homme (seul ou beaucoup plus que l’animal) a des représentations qu’il introduit dans son expression.
C’est ainsi que le mouvement graphique est conditionné, non seulement par le texte à communiquer, mais aussi par la représentation symbolique de l’espace propre au scripteur. Autrement dit, le scripteur choisit, par l’intermédiaire de l’œil, la forme graphique qui correspond à ses vœux inconscients (Hegar). Ce choix est de nature non-consciente alors même que le scripteur en recouvre les raisons profondes par des motifs qu’il croit connaître.
Le sujet écrivant cherche à produire une certaine impression chez soi-même et chez autrui, il offre ainsi une sorte d’autoportrait permanent ; l’expression représentation est une expression-impressive ! Cette expression-impressive signifie plus qu’elle n’exprime.
D’après Klages complété par Hegar, tout mouvement conscient est, à tout instant, modelé par l’attente inconsciente de son résultat intuitif quant à impressionner un être vivant. En fait « les mouvements impressifs présupposent la communauté des êtres à laquelle ils s’adressent ».
L’individu subit toutes sortes d’impressions de la part des objets et personnes qui l’entourent et dont certaines sont privilégiées par son inconscient, d’autre part il agit pour les impressionner ou s’impressionner lui-même. Partant d’impressions inadéquates pour lui, le sujet tente de produire des impressions qui lui conviennent mieux, cela par identification, identification négative (être l’inverse de l’autre), visée symptomatique, etc.
Pour Hegar, tout dans l’écriture dépend de l’image anticipatrice sauf le trait qui échapperait à cette activité de représentation. Il ne serait pas iconique mais purement expressif, impact du réel du sujet dans sa production. On pourrait le rapprocher du fondamental de la voix, plus dépendant de l’âge, du sexe des hormones et de la morphologie que le timbre, plus proche de la représentation dans sa version sonore.
On voit combien il est important – et difficile – de différencier le principe d’expression du principe de représentation !
L’attitude de manifester sa propre représentation du monde, sa propre représentation de soi à travers une action de nature « impressive » est inhérente à notre nature d’animal social, ou même d’animal tout court ! Cependant, elle est plus facilement – ou plus grossièrement – marquée chez celui qui voit et se rend compte des réactions d’autrui à ce qu’il montre.
L’aveugle est limité dans ce domaine aux autres canaux sensoriels, moins aptes à exacerber la rivalité, le narcissisme, etc. D’où peut-être, l’impression qu’il donne d’être plus conciliant, plus amène, plus sage que le sourd ou même le normo-voyant en général.
On trouve une illustration de cette opposition dans « Le bon petit diable » de la comtesse de Ségur. Dans la dédicace qu’elle en fait à sa petite fille, la comtesse résume Juliette par « la douceur, la bonté, la sagesse et toutes les qualités qui commandent l’estime et l’affection » ! L’aimable Juliette est aveugle, le détestable sonneur de cloches du collège sera sourd et frappera le malheureux Charlot en conséquence !
(de l’alphabet en relief aux demi dominos)
La mise en code de la pensée nous permet le langage, ouvert à une communauté, mystérieux pour l’autre. Le codage du langage en signes gravés, peints, tissés, noués ou écrits restreint la communauté des parleurs à celle des lettrés. Lesquels s’ils veulent se former en sous groupe et échanger secrètement chiffrent leur écriture. Par des procédés éventuellement très simples et très habiles comme ces jeunes du siècle dernier qui condensaient une correspondance secrète, formée de plusieurs dizaines de mots, dans l’espace réservé au timbre poste, celui-ci n’étant collé ensuite que par son bord dentelé ! (Callewaert, p.25).
L’écriture, de hiéroglyphique, dessinée, est devenue, en occident, alphabétique. Sa scription a été facilitée par l’habitude de lier entre elles des lettres par ailleurs schématisées, ce qu’ont malencontreusement refusé les romains et les germaniques (gothique).
Les enfants apprennent plus rapidement à écrire en « simple script [3] » que si on leur propose la calligraphie traditionnelle. D’après Walter Hegar, cela serait attribuable à la plus grande homogénéité entre caractères vus au cours de l’apprentissage de la lecture et caractères à produire soi-même. L’envers de la médaille est que cette séparation des lettres oblige l’enfant à soulever sa main du papier par à coups, pour dessiner chaque caractère l’un après l’autre, au lieu de glisser en suivant le fil d’une écriture « cursive ». En revanche, l’admirable écriture de Bergson montre qu’il existe une forme de juxtaposition sans interruption du rythme (Crépieux-Jamin, p. 256).
Il est évident que cette disjonction des lettres nuit à la rapidité et à la lisibilité si l’espace entre les mots est peu différent de celui qui sépare les lettres. Mais à cette « scriptio continua » échappent le morse et le braille qui établissent des espacements suffisants, en deçà desquels s’installerait la plus parfaite confusion !
Partage avec la typographie, l’ordinateur, la machine à écrire, un conventionnalisme accru du graphisme par rapport à la calligraphie. Même chez le voyant devenu aveugle, il a le mérite de permettre un contrôle tactile, une relecture pendant et après l’action d’écriture.
En droit, on devrait pouvoir mettre au point une sorte de graphologie de la scription braille, difficile et subtile certes, sans doute trop ardue à acquérir pour mettre en œuvre les moyens pratiques de la permettre, mais théoriquement possible !
Comme le calligraphe, le scripteur en braille se trouve affronté à une page blanche : elle représente métaphoriquement les objets réels auxquels le scripteur est affronté.
Hégar a établi, chez le normo-voyant, que le point symbolise l’affrontement du sujet à la matière, à l’objet physique représenté par le papier. L’écriture braille est une succession de combats symboliques dont les nuances pourraient s’énoncer à partir du symbolisme de l’espace.
On peut inscrire le signe avec plus ou moins de force, de rapidité, de souplesse, produire plus ou moins d’erreurs, localisées préférentiellement au point 1, au point 2 … au point 8 ! Avec bien sûr l’éventualité de lapsus plus complexes. Notre inconscient injecte ses représentations et son espace propre dans les formes que nous voulons produire et dans l’espace où nous les projetons, tel que nous nous le représentons et tel que nous nous représentons en lui !
On sait que « Le braille peut être écrit à l'aide d'une tablette en métal, creusée de sillons parallèles et munie d'une réglette percée de plusieurs rangées d'ouvertures rectangulaires et d'un poinçon. Il s'écrit de droite à gauche et il faut inverser les lettres afin de les lire en relief au verso ».
Nous devons reporter ces notions dans les tableaux ci-dessous :
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Passé idéalisé |
Haut Gauche |
Haut Droit |
Futur idéal |
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Mère |
Milieu Gauche |
Milieu Droit |
Père |
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Origine, Naissance |
Bas Gauche |
Bas Droit |
Projet, Réalisation |
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Passé idéalisé |
Haut Gauche |
Haut Droit |
Futur idéal |
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Mère |
Milieu Gauche |
Milieu Droit |
Père |
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Origine, Naissance |
Bas Gauche |
Bas Droit |
Projet, Réalisation |
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En rapprochant une partie des deux tableaux précédents, nous avons :
En lecture |
Passé idéalisé Mère Origine, Naissance |
Futur idéal Père Projet, Réalisation |
En écriture |
Futur idéal Père Projet, Réalisation |
Passé idéalisé Mère Origine, Naissance |
Gauche |
Droite |
Le symbolisme graphologique évoqué ici est basé sur deux types de considérations :
Dans le cas de l’écriture du braille, on se trouve dans un cas de figure analogue, pour cette question, au problème que pourrait poser aux graphologues l’écriture de l’arabe ou de l’hébreu qu’on écrit également de droite à gauche.
Il faut aussitôt remarquer que, dans ce dernier cas, lecture et écriture sont soumises à la même direction, alors qu’en braille, le sujet doit inverser le sens de son parcours selon qu’il lit (GàD) ou qu’il écrit (DàG) ! L’usager du braille est plus proche dans son comportement cognitif de celui des anciens grecs qui, pour économiser les déplacements de la main, écrivaient une ligne de G à D, la suivante de D à G, la suivante encore de G à D, et ainsi de suite, tels les bœufs traçant un sillon après l’autre (boustrophédon) …
Un des tests d’exploration de la latéralité, consiste à écrire, yeux fermés pour un voyant, un crayon dans chaque main, deux colonnes de chiffres de 1 à 11. Ainsi peuvent apparaître, à côté du cas ou les deux colonnes présentent des chiffres grossièrement identiques entre Droite et gauche, des chiffres dont l’un est en miroir par rapport à son homologue de l’autre colonne. C’est ce que l’on peut appeler un phénomène de bilatéralité : un hémisphère compétent pour la forme des chiffres communique ses informations de structuration à l’autre hémisphère, sans correction. De ce fait, ce dernier préside à un tracé symétrique du modèle. On a pu dire que l’écriture en miroir est le tracé normal pour la main gauche. D’autres considérations amènent pourtant à envisager l’hypothèse qu’on se trouve là en présence d’une dominance latérale incomplète, qu’on nommera une « bilatéralité ».
Dans le cas de l’écriture braille, ce qui serait en calligraphie une forme d’insuffisance, devient une nécessité, sous réserve qu’elle soit maîtrisée, gérable. Dans le meilleur des cas, sur la base d’une latéralité neuro-cognitive bien établie, devra s’installer une capacité d’alterner la gestion représentationnelle à dominante droite et à dominante gauche. On peut rapprocher cette capacité de celle de certains sujets bilingues dont on a découvert qu’ils parlaient une langue avec un hémisphère et une autre langue avec l’autre hémisphère !
Si la vue est liée à l’hémisphère droit, on s’attendrait à ce que sa perte conduise à une perte des fonctions neuro-psychologiques de cet hémisphère. En fait, l’espace se construit sur les bases tacto-kinesthésiques et auditives essentiellement. Le côté linéaire, digital du langage, et tout spécialement du langage écrit ne triomphe pas comme défaut, il agit plutôt comme manque et créateur d’une riche bilatéralité, que l’écriture Braille elle-même suppose et engendre …
21. Zaouche-Gaudron C. et coll., La problématique paternelle, Eres, 2001.