Les Emissions sonores vocales

Les Sons Proférés

(Chapitre 7 de "La Clef des Sons")

Dr Bernard Auriol
Avec la contribution de Mady Mesplé et de Jane Berbié

Etonnement du patient lorsqu'il découvre que sa thérapie sonique comportera de chanter, de dire des mots, de lire des textes devant un micro. Il s'était satisfait de l'hypothèse qui ferait de lui le consommateur plus ou moins attentif de musiques " spéciales ", et voilà qu'il est question de produire lui-même ce qui devrait le soigner !

La première justification de cette pratique sera de constater combien il est spontané pour l'être vivant de s'exprimer. Déjà la plante, bien plus l'animal et, à un degré incomparable, l'être humain éprouvent le besoin, en maintes occasions, de traduire par un comportement non utilitaire certains besoins, désirs ou craintes, certains états. Ceci est particulièrement net quand il s'agit de se nourrir et, plus encore, de se reproduire ou de défendre sa propre vie et son territoire. Le vivant se fait alors séducteur ou menaçant par les odeurs, les goûts, les couleurs, les formes et, bien entendu, les sons : sifflements, chuintements, murmures, susurrements, gazouillis, bourdonnements, chuchotements, marmonnements, ronchonnements, cris, hurlements, râles et plaintes, grommellements, ramages, halètements, gémissements, grognements, grondements, acclamations, pleurnicheries ou geignardises, lamentations, braillements, piaillements, beuglements, glapissements, vociférations, rugissements, trilles et arpèges, craquements et claquements, bruissements, babil, vocalises et discours. Chaque être dit ce qu'il veut ou ce qu'il craint, mais surtout signe de sa voix la moindre parcelle du message. Son identité s'affirme à chaque articulation, il est tout entier connecté à chaque bribe de sa parole. Comme le dit le Tao Te King, " le nouveau-né crie toute le journée et ne s'enroue pas ". Il s'exprime sans se l'interdire, sans mêler de culpabilité à sa réclamation !

Parmi les animaux terrestres, il existe des ressemblances comportementales et neuro-anatomiques frappantes entre les oiseaux, les chauve-souris et les humains. Les vocalises sont proférées du même lieu de commande cérébrale et leur utilité essentielle est de communiquer : séduire, mettre en garde ou menacer, informer les petits ou les congénères, etc.

Certains animaux, par exemple l'éléphant d'Afrique est capable de distinguer la voix d'un humain s'exprimant dans une langue donnée par opposition à une autre voix, exprimant le même sens, de la part d'un humain appartenant à une culture différente; et c'est bien utile à l'animal qui pourra fuir et avertir ses congénères, lorsqu'il s'agit d'un groupe humain chasseur d'éléphants. Le même éléphant ne s'enfuira pas s'il s'agit de femmes et d'enfants ou d'hommes appartenant à une ethnie non-agressive à son égard ! ( )

Tout état intérieur se donne à lire par quelques indices extérieurs qui, perçus par les êtres environnants, tendent à perdre leur simple rôle de conséquence pour devenir des agents de communication que l'émetteur parvient à moduler, amplifier, camoufler, déformer, utiliser de mille façons pour se donner un langage et s'en prévaloir comme d'une pensée. C'est dire qu'il y aura beaucoup d'artifice à trancher de la plante à l'animal, et plus encore de la bête à l'être raisonnable. Comme il serait vain de chercher quand le petit d'homme entre dans les ordres du langage : il refait pour lui-même, de ce point de vue à l'instar de tous les autres, le chemin-maquette qui résume le long chapelet des formes biologiques au cours de l'évolution ; il use d'expressions purement végétatives, il s'anime, passe des bruits au cri, puis aux jeux vocaliques, et s'essaiera plus tard aux mots-phrases, jusqu'au dialogue et à la réflexion.

Alors même que tout est acquis, la voix parlée ne peut exister (hors les machines) sans véhiculer en bloc, comme stratifié, tout le déroulement évolutif qui l'a construite ! Ivan Fonagy a insisté justement sur le double codage qu'elle comporte, de telle sorte que toute parole est transmission, à la fois d'un message linguistique fait de symboles socialement cultivés avec toute une part d'arbitraire, mais aussi d'un message para-linguistique porteur d'une symbolique universelle parce qu'il s'agit d'une action émotionnelle. Il y a même (ce qui est ennuyeux pour l'informaticien) compénétration de ces deux voies, de telle sorte que la signification transmise peut devenir ambiguë jusqu'à culbuter en son contraire selon que l'intonation, les gestes, etc., y conduisent.

La boucle audio-phonatoire

L'oreille est l'essentiel (Tomatis)

Moreau, en 1933, remarque déjà que " quand il y a des trous dans l'audition, il y en a dans la voix ". Tomatis, à son tour, insiste sur la boucle cybernétique qui soumet la voix au contrôle de l'oreille. Il a même énoncé l'axiome, souvent vérifiable, selon lequel le sujet n'est capable d'émettre correctement, dans le cadre d'une véritable action vocale, que les fréquences qu'il perçoit ; les sons produits sans être entendus ne font l'objet d'aucun contrôle immédiat en dehors des réactions de l'environnement et ne peuvent prétendre à plus de perfection que le dessin d'un aveugle. Les fréquences " interdites " étant rétablies dans l'écoute, la voix se remet à les faire entendre. Les subtiles interactions de l'écoute et de la voix permettent une éducation ou une rééducation de l'une par l'autre, et réciproquement. Sans omettre leur commerce bien serré avec l'ensemble de l'être et les énergies qui circulent en lui.

 

Nous avons déjà fréquenté l'écoute et le lecteur n'a pas oublié tous les supplices que notre attitude globale (pour une très grande part dans sa dimension inconsciente) lui fait subir. Nous avons observé que l'écoute osseuse, qui concerne pour l'essentiel notre voix, peut être fort différente de l'écoute aérienne et tout à fait individuelle. Certaines personnes sont extrêmement blessées si on fait observer une particularité de leur voix que, justement, elles ne supportent pas. Leur permettre de se réapproprier leur expression sonore, de l'embellir peut-être, voire d'en jouir, au moins de s'autoriser à l'apprécier, c'est les aider à recouvrer ou conquérir leur propre identité de personne. Votre ami vous reconnaît à vous entendre seulement dire " allo " dans votre combiné : c'est qu'il y a dans cet " allo " la vibration de vos cordes vocales, la durée de chaque son, le rythme de leur succession, l'empreinte de vos résonateurs, de leur forme, leur texture, leur dynamique.

L'observation empirique toute simple permet (Barthélemy, 1984) déjà de dresser la liste suivante :

Voix calme, mesurée, claire, nette et précise du caractère obsessionnel

Voix feutrée, atone et fatiguée, à peine audible du dépressif

Voix geignarde, qui demande toujours et toujours de la compassion.

Voix enfantine, menue, fluette, attendrissante ou naïve d'un être en besoin de maternage.

Voix claironnante, sûre de soi, " je-sais-tout ", qui n'admet pas la contradiction, envahissante, un peu sadique peut-être.

Voix agressive, défense d'un être fragile et peu sûr de lui qui craint de n'être pas écouté

Voix " commerçante ", trop aimable, voire mielleuse, peut-être arnaqueuse.

Voix séduisante, voix désinvolte, voix sensuelle, presque impudique, etc

 

 

 

 

Discours

Monologue

Dialogue

Lecture

Conférence

Discours Politique

Prononciation

-

+/-

+

+

+

Rythme

régulier

variable

spécifique

régulier

régulier

long

long

court

court

Débit

constant

variable

constant

constant

constant

rapide

lent

lent

Pauses

--

variables

-

++

+++

Accents

--

+/-

+

++

+++

Intonation

--

variable

spécifique

?

+++

Marie-Mercédès Vidal (1985) a entrepris de caractériser la voix selon l'adresse de la parole : lorsque l'individu semble parler pour lui-même, lorsqu'il s'adresse à un autre, lorsqu'il s'exprime pour quelques uns, ou pour beaucoup.


Des experts britanniques proposent trois critères de la "voix parfaite"

Des scientifiques britanniques auraient mis au point une formule mathématique pour déterminer la voix idéale, en prenant en compte l'intonation, l'élocution ou encore le débit.

Selon une étude réalisée pour la poste britannique, pour avoir une voix idéale, il suffirait :

  • de prononcer moins de 164 mots par minute,
  • de faire une pause de 0,48 seconde (environ 1/2 seconde) entre chaque phrase
  • avec une intonation retombant progressivement à la fin des phrases,


"Toutes les voix analysées étaient britanniques et, même s'il peut y avoir des composantes culturelles, cette formule devrait s'appliquer au moins à toutes les langues européennes", a indiqué une porte-parole à l'AFP.

Cette étude a été dirigée par Andrew Linn, un professeur de linguistique de l'université de Sheffield (nord de l'Angleterre), et par Shannon Harris, ingénieur du son et musicien notamment pour Rod Stewart et Lily Allen.

"Nous savons instinctivement quelles voix provoquent des sensations agréables et lesquelles nous font frémir de peur", a expliqué M. Linn. "Les réactions émotionnelles de l'échantillon testé par rapport aux voix ont été surprenantes et permettent d'expliquer comment les animateurs radios et les personnes faisant du doublage ou du commentaire sont choisies", a-t-il souligné.

Les acteurs britanniques Judi Dench, Jeremy Irons ou encore Alan Rickman s'approchent de la perfection vocale ainsi définie.


Adapté de Yahoo! Actualités AFP - Vendredi 30 mai 2008, 21h40 LONDRES (AFP) -

Elle établit ainsi un tableau qui montre qu'un individu donné tend à privilégier une de ces formes d'expression (monologue, dialogue ou discours) en conformité avec une attitude émotionnelle plus ou moins figée, notamment chez le sujet porteur de tensions pathologiques (névrose, toxicomanie, psychose, etc.).

Mady Mesplé [1]  confirme l’existence de ces différences qui se manifesteront au delà d’une éventuelle amplification tendant à calibrer le volume sonore. A volume moyen identique, l’auditeur percevra sans difficulté si le protagoniste est là pour dix ou trois mille personnes. Dans ce dernier cas, il faut « aller chercher’ les gens ; c’est plus difficile que si les auditeurs sont proches »

Les moyens informatiques permettront probablement de créer une caractérologie vocale d'une extrême richesse, bâtie sur le modèle de la graphologie. Ivan Fonagy a même tenté de tracer les premiers linéaments d'une telle science. Le style d'une voix, par la répétition fréquente et exagérée de certains traits phonétiques (occlusions, accents, traînage, etc.) ou la posture systématique du larynx (dans le sens de la contraction par exemple), invitent l'auditeur à se faire une idée préconsciente de son interlocuteur et à l'identifier. L'extraverti, et plus encore l'excité cyclothymique, aura une voix plus forte et plus sonore, alors que l'introverti schizoïde ou dépressif se tait ou laisse à peine filtrer une voix voilée, assourdie jusqu'au mutacisme. Il suffirait de systématiser expérimentalement l'intuition spontanée de tout un chacun pour édifier une " voxologie ", une " vocagnomonie " ou (en simplifiant le mot) une " vocagnomie " ou " vocanomie " !

 Eléments de Vocanomie (d'après I. Fonagy, 1983)

Caractère " anal "

Caractère " urétral "

Caractère " génital "

Articulation " tendue "

Articulation relâchée

Articulation distincte, ni tendue, ni molle

Durée des occlusives élevée

Durée des fricatives élevée

Tendance à rouler les " r "

Constriction glottique et pharyngée

Absence de constriction

Voix " pleine " (eutonie laryngée)

Attaques fortes (occlusives glottiques)

Absence d'attaques fortes

Attaques fortes de fréquence modérée (dépendante du sexe)

Accents vigoureux

Accents faibles

Accents de force moyenne (dépendante du sexe)

Accents sur des syllabes contigües

Accents rares

Accents répartis harmonieusement

Accents déplacés harmonieusement

Accents répartis

Pauses nombreuses, inutiles, longues

Peu de pauses ou très brèves

Pauses bien distribuées

Rythme staccato, quoique peu rapide

Débit rapide

Débit moyen

Ligne mélodique " angulaire "

Gamme mélodique étroite

Gamme mélodique assez large, ondulante

Mélodie dépendante des accents

Mélodie monotone

Rythme tensions/détentes dans la mélodie

Les rôles de l'opéra se distribuent selon le caractère des personnages : " Les pères nobles sont des basses, les rôles de sagesse, d'autorité, de grandeur, parfois de cruauté, leur sont attribués. " C'est une voix de basse qu'on prêtera au " Commandeur "... introverti par recherche intérieure profonde ou par refus du monde. Les barytons à la " voix d'airain " donnent l'image d'hommes puissants, dans la force de l'âge. Disposant, selon Glenn Wilson, de sécrétions hormonales (testostérone) plus abondantes, ils seraient de " meilleurs amants " que les ténors. C'est à eux qu'on demandera d'interpréter Don Juan. Le ténor est jeune, ardent, extraverti. Il touche le c±ur plus que tout autre, parfois avec une sorte d'héroïsme ou un soupçon de mièvrerie. L'étymologie du mot nous renvoie à " tenure ", " tenir ", en latin teneo et tendere donc la tension, notamment celle de l'érection. La racine sanskrite est tan : tendre, allonger, multiplier, prolonger sa lignée, se répandre (en paroles). Les ténors disposeraient de sécrétions féminines (±strogènes) quelque peu supérieures à celles des barytons et des basses. Plus encore, le haute-contre, sommet cérébral ou spirituel, permet à l'homme d'exprimer un dépassement de sa condition virile, laquelle se laisse pourtant deviner, à la différence du castrat qui se situe dans une région sonique plus aiguë, en provenance d'un être désexué, angélique, d'un autre monde, supra-terrestre. Le contralto évoque la maturité de la femme, comme la basse évoquait celle de l'homme. Lui seront dévolus certains rôles sombres ou maléfiques, mais aussi la sagesse sécurisante des mères. Il existe des contraltos à voix relativement grave " chargée de l'expérience de la vie ", passée au creuset de la souffrance. On y entend plus de profondeur et d'intériorisation que dans des registres plus aigus. La voix est à peu près à la même hauteur que celle de ténor. Ténor et contralto forment donc une sorte d'intersection des ensembles " hommes " et " femmes " du point de vue de la voix. Le mezzo symbolise la plénitude féminine. Le mot signifie " moyen ". La voix est charnelle, reconnaît et accepte de réaliser son désir. Le soprano est toute grâce et délicatesse, innocence, plus fragile, moins sexy que les deux précédentes. Mais elle peut aussi suggérer superficialité, bavardage, coquetterie et séduction. L'idéalisation lui va bien, ainsi que le suggère le mot, qui signifie textuellement " dessus ", plus élevé.

Cette typologie officielle (Barthélemy, 1984, p. 36 sq.) se doublera d'observations plus personnelles : on s'accorde à dire que le caractère de la basse n'est pas identique à celui du ténor, que le soprano diffère du contralto, etc. Deux hypothèses, au moins, sont disponibles : tel genre de personnalité conduit à une morphologie et un fonctionnement eux-mêmes adaptés à une certaine tessiture (on en revient donc à une vocanomie) ; ou bien c'est le fait de chanter fréquemment tel ou tel type de rôle qui induit telle donnée de caractère : le role déteint sur le comédien ; d'autant que le type de rôle est toujours le même, comme pour enfoncer le clou. Quelle que soit la tessiture d'un chanteur, il dispose de plusieurs registres. Dans le meilleur des cas, il peut en parcourir toute l'étendue avec aisance, passant du " strohbass " (extrême grave) à la voix de poitrine (grave), puis à la voix de tête et à l'extrême aigu (" sifflet "). Lorsque la personnalité est moins épanouie ou que manque l'entraînement, on rencontrera des difficultés pour utiliser l'un ou l'autre de ces registres, et surtout pour passer de l'un à l'autre.

Mady Mesplé insiste sur cette difficulté que l’œuvre de Mozart impose par moment à son interprète ; « passant de l’extrême grave à l’extrême aigu, il faut préparer mentalement ces changements et veiller à la position du larynx, au changement de souffle, à la posture et au diaphragme ». Du point de vue psychothérapique - et théâtral - les exercices proposés par le Roy Hart Theater méritent beaucoup d'attention car ils étendent à l'extrême les possibilités de " descendre " ou de " monter " l'échelle des sons et touchent ainsi des points très sensibles de notre être. On peut les rapprocher des pratiques immémoriales que nous transmettent certains mantras yogis et le bouddhisme tibétain.

En accord avec ce que nous venons de voir de la psychologie des différentes tessitures vocales et à l'inverse de ce qu'une vue superficielle des chapitres précédents pourrait faire supposer, c'est dans " le plafond " - entendre le haut du corps - que seront placés les graves et dans " le plancher " les aigus. Pour aller aux aigüs, il ne faut pas forcément penser « haut, aigu » et de même pour descendre dans les graves, « il faut », nous dit Mady Mesplé « aller un peu contre la nature : quand on pense aigu, le larynx a tendance à monter (et à baisser quand on pense ‘grave’ ; il convient de se représenter le contraire pour bien réaliser ce qu’on veut. ».Les dysphonies peuvent être - et sont très souvent - d'origine psychique révélant une inhibition du désir, tout spécialement du désir de communiquer par la parole avec sensations de brûlure, de picotement, de gêne au niveau de la gorge et même d'étouffement. Elles peuvent aussi manifester une force interdictrice inconsciente qui enlève à l'individu sa capacité de parler (il n'a pas " voix au chapitre "), avec spasmes, contractures, enrouement, voire aphonie totale. Enfin, si l'on désire et si l'on peut - encore faut-il oser - la timidité se manifestera par la précipitation du débit : les propos s'embrouillent et se bredouillent, la voix faiblit ou se fait criarde (Pommez, 1981). « Les émotions de la vie se portent sur le larynx qui tend à se contracter, devenir plus ‘raide’. Le spectateur, même s’il ne sait précisément pourquoi, et alors même que le chanteur ou la cantatrice cherche à faire oublier ses soucis, éprouve alors un vague malaise ». (Mady Mesplé).

De même, pour Tomatis (1987), toute souffrance du chanteur se transmet à l'auditeur qui éprouve plus qu'un vague malaise : s'il est réceptif, il entre " dans la peau " de celui qu'il écoute et souffre de ses maux, physiques ou psychologiques. " Il se crée entre eux (...) soit un sentiment de sympathie et de bien-être, soit un refus sous forme d'antagonisme qui, en fait, constitue un processus automatique de protection. " La Calas a eu des difficultés vocales au moment de ses problèmes avec Onassis, Régine Crespin a également eu des difficultés vocales en lien avec des problèmes sentimentaux.

Le pédagogue Edouard Seguin, dès 1846, fait des constatations analogues : « l'attention des élèves, leur curiosité, leur stimulation intellectuelle ne peut s'escompter si la voix du maître est sourde et sans timbre, si l'articulation est vicieuse et empâtée, si le choix des mots est dissonant, nasal, muet, long, monotone ». Yva Barthélemy insiste aussi sur la fréquence des dysphonies au moment des fêtes ou avant les vacances, lorsque la solitude se fait plus criante d'être apposée aux joies communautaires. Et de grommeler : " Je hais les dimanches "...

Les liens entre le fonctionnement corporel et le chant sont variés : qu'il s'agisse de la corrélation entre écoute et soma ou de l'interaction entre muscles directement impliqués dans la performance vocale et muscles moins triviaux : respiratoires et posturaux, sans parler des influences viscérales ou neuro-végétatives.

Attention au reflux en poussant le contre-ut !

Des auteurs Italiens ont examiné la prévalence des symptômes de reflux gastro-œsophagien (RGO) chez 351 choristes d’Opéra, travaillant dans des chœurs de régions différentes et l’ont comparée à celle retrouvée dans un échantillon de 578 sujets contrôles, provenant des mêmes régions que les choristes, avec une même répartition d’âge et de sexe, afin de rechercher une éventuelle susceptibilité professionnelle.

Les symptômes de reflux au cours de l’année précédant l’étude, ainsi que les habitudes de vie et les caractéristiques des sujets ont été évalués dans les deux groupes par le biais d’un questionnaire spécifique. L’analyse des ratios de prévalence des symptômes de reflux a été réalisée après ajustement sur l’âge, le sexe, le tabagisme et d’autres facteurs de confusion.

Les choristes d’opéra rapportaient une prévalence significativement plus élevée, que les sujets contrôles, de brûlures épigastriques, de régurgitations, de toux et d’épisodes d’enrouement, avec des ratios de prévalence ajustés de 1,60 (IC95 %, 1,32-1,94), 1,81 (1,42-2,30), 1,40 (1,18-1,67), et 2,45 (1,97-3,04), respectivement.

La survenue de régurgitations semblait être associée de façon significative avec la durée cumulée d’activité comme choriste d’opéra (P = 0,04), ainsi qu’avec la durée hebdomadaire de chant (P = 0,005)

Des études ultérieures seront nécessaire pour expliquer cette augmentation de prévalence du RGO, (est-elle, par exemple, en rapport avec un niveau de stress élevé ?), et déterminer si le RGO des choristes d’opéra doit être considéré comme une maladie professionnelle.

Pr Marc Bardou

Palli D et coll. “Reflux Symptoms in Professional Opera Choristers” Gastroenterology 2006 ; 132 : 890-898

 

Aux interactions somato-sono-psychiques et psycho-sono-somatiques qui établissent une unité entre le fonctionnement auditif et la psychomotricité, il conviendra d'ajouter les connexions bien connues entre le geste et la parole, le chant et l'activité physique : chants de marche des soldats, ho hisse des travailleurs, comptines enfantines, etc. Il existe aussi une synergie entre le sens du rythme et le " vibrato " (cf. Barthélemy, 1984), cet effet particulier dont l'exagération conduirait au " chevrotement " de la personne âgée. Le chanteur lyrique laissait se développer, autour de la fréquence qu'il était censé produire, de bien plus légères variations (inférieures à 1/2 ton), ce qui passait pour enrichir son timbre, nuancer son interprétation, donner vie à la mathématique du solfège telle qu'elle est tracée par le compositeur. Cette pratique du vibrato est passée de mode et n’a de charme que lorsqu’il s’agit d’un vibrato très modéré, naturel, lié à un style de personnalité. Mady Mesplé n’encourage pas ses élèves à le cultiver et se plaint même qu’il soit difficile à abandonner chez les élèves qui s’y sont livrés.

La boucle phono-auditive

L'écoute, comme tous les processus perceptifs, s'instaure, se structure, se développe et mûrit selon les empreintes et le modelage que lui confère l'environnement physique et social. L'individu guette de manière inconsciente certains patterns sonores ou même certaines caractéristiques physiques du son, alors qu'il se rend imperméable ou plus réfractaire à d'autres. Il existe des surdités partielles dont un certain nombre sont purement fonctionnelles. Nous savons agir sur certains troubles de l'écoute : par la répétition, l'apprentissage, l'évolution psychodynamique globale (liée par exemple à un fait d'analyse), etc.

Si vous faites l'expérience de parler ou chanter dans la chambre " anéchoïque " (sans écho, sans réverbération) d'un laboratoire d'acoustique, vous éprouverez probablement une émotion complexe, faite de frustration, comme si une part de vous-même s'était évanouie, il devient même difficile de penser et certains sujets sentent une forte angoisse. C'est que ce lieu ne nous dit rien, ne nous répond d'aucune façon, alors que chaque lieu de notre environnement signe sa structure par sa façon de résonner, tout comme chaque individu révèle son identité lorsqu'il parle... Je ne me souviens pas si Robinson Crusoé meublait de chants sa solitude, mais c'eût été le moyen d'un dialogue minimum... Cela différencie, dès le niveau pratico-pratique, le " narcissisme " vocal de celui qui se sert du miroir : quoi qu'on dise, l'écho parle du lieu où cela se passe. Il marque le territoire de manière dynamique et vécue (les loups ne l'ignorent pas) tout comme l'odeur qui est aussi celle de l'autre, limite à ne pas franchir. L'écho rend le lieu familier, rappelle qu'il est mien, que je suis " en terrain connu ", dans la " matrie ".

Ces remarques ne peuvent nous faire oublier ou négliger les raisons psycho-physiques qui donnent à cette expérience toute sa richesse. La chambre anéchoïque, en nous privant de toute source sonore extérieure, nous confine à l'écoute inévitable de nos bruits corporels, parmi lesquels le premier n'est autre que celui qui nous vient de l'instrument sensoriel lui-même : notre oreille, nos cellules ciliées externes dont la sensibilité nous permet presque d'entendre le son des molécules d'air frappant au hasard notre tympan. C'est ce qu'exprime bien Weber :

"Sitting in the enveloping quietness of an anechoic chamber, or other quiet spot, you soon become aware that the ear makes its own distinctive sounds. Whistling, buzzing, hissing, perhaps a chiming chorus of many tones—such continuous sounds seem remarkably nonbiological to my perception, more in the realm of the electronic.

Even more remarkable, put a sensitive microphone in the ear canal and you will usually pick up an objective counterpart of that subjective experience. Now known in auditory science as spontaneous otoacoustic emission, the sound registered by the microphone is a clear message that the cochlea uses active processes to detect the phenomenally faint sounds—measured in micropascals—that our ears routinely hear. If the ear were more sensitive, we would need to contend with the sound of air molecules raining upon our eardrums".


Andrew Bell, Hearing: Travelling Wave or Resonance ?
PLoS Biol. 2004 October; 2(10): e337. Published online 2004 October 12. doi: 10.1371/journal.pbio.0020337.| PDF–145K |

 

Narcisse a besoin d'un plan d'eau ou d'un miroir, il lui faut le désir d'une autre pour se croire le seul et s'y noyer. Echo, elle, est primaire solitude, unité brisée par le désir (de Pan). Dès lors divisée, mais ubiquitaire. Réexpression toujours là, répétition d'autant plus vibrante qu'est dur le lieu source. Possible remède de la mésaventure de Narcisse qui ne peut se délivrer sans donner de la voix, sans chanter un hymne aux dieux. Ne fait-elle point penser au dieu hindou Ekata ? Il est associé à Dvita et Trita. Ce dernier est jeté dans le puits dont il a soif par les deux premiers (les sémioticiens s'y retrouveront !). On peut aussi rapprocher, et pas seulement pour sa ressemblance phonique, Narcisse de Nara-Simha, l'homme-lion, triomphateur des notions contradictoires, fort et courageux, sauveur permettant le dépassement d'une vision persécutive du monde, fût-ce au prix du risque dépressif.

L'utilisation des appareils modificateurs d'écoute (A.M.E.) et de filtrages électroniques répétitifs permet un certain type d'ouverture (cf. chap. 8), ouverture utile et bien souvent indispensable : l'auto-écoute distordue (spécialement concernant la conduction osseuse) peut largement perturber la justesse d'une émission, y compris chez un chanteur doué et exercé. Mais, après le travail " standard " d'éducation, d'entraînement auditif que nous avons déjà évoqué (sons filtrés, défiltrage), il peut subsister des problèmes d'écoute d'apparence insurmontable. Que faire alors ? Persister ? Tout recommencer ?

Un procédé consiste à tenter de " forcer le passage " : si, par exemple, la personne se montre sourde ou mal écoutante à 1 000 Hz, on peut tenter - parfois avec succès - d'insister. Il ne s'agit pas de lui faire entendre des salves de vibrations pures ou de sons wobulés, mais plutôt de renforcer, dans un morceau de musique disponible, une bande de fréquence (centrée sur 1 000 Hz dans ce cas précis). On assiste bien souvent à une " guérison " du trouble qui s'avère ainsi peu ancré, relativement superficiel et facile à dépasser. Par contre, il arrive qu'il résiste ou même s'accentue à l'occasion d'une telle pratique, vécue plus ou moins comme agressive. On pourra alors " accompagner " ce refus et proposer un traitement paradoxal (" homéopathique " pourrait-on dire) consistant à prescrire l'écoute d'une musique dont on aura éliminé la zone audiométrique incriminée : dans notre exemple, on opérera une réjection d'une bande autour de 1 000 Hz (par exemple de 750 à 1 500). Il est alors fréquent de voir l'écoute s'harmoniser peu à peu. On peut combiner les deux procédés en utilisant un appareil modificateur d'écoute à bascule, de sorte que les intensités fortes subissent un filtrage et les intensités faibles le filtrage inverse. Cette façon de faire pourra, si l'appareil le permet (bancs de filtres, équalizers de haute performance), se réaliser pour plusieurs fréquences simultanément.

Mars 2009

Pourtant, bien des personnes restent rivées à leurs distorsions tant qu'on se limite à l'administration " passive " de sons. On peut alors remplacer la musique-source par la voix du sujet lui-même qui lui est renvoyée par un casque à travers l'A.M.E. pendant qu'il s'exprime devant un micro. On dit de certains personnages qu'ils " aiment s'entendre parler ". En réalité, c'est vrai de la plupart d'entre nous, bien heureusement. Personne ne semble d'ailleurs pouvoir échapper à l'écoute de sa propre voix, de sorte que l'efficacité de la stimulation est très fortement augmentée par cette dernière façon d'opérer. Une constatation bizarre met bien en valeur la force de ce circuit phono-auditif : alors que l'écoute de textes ou de chants induit rarement des réactions notables de somnolence, la répétition par le patient de sons riches en hyper-aigus (répétition de mots avec des sifflantes, telles que S ou CH, sous filtrage passe-haut) conduit la quasi-totalité des participants à bâiller, parfois de manière incoercible et répétée.

« Le baillement permet superbement de décontracter la gorge en soulevant le voile du palais ; tout devient souple, grand, facile. Avant un spectacle, on s’étire pour bailler, pour libérer le corps et la gorge, pour se ‘décorseter’ ! » (Mady Mesplé).

L'étirement-baillement, préconisé en fin de séance de hatha yoga, serait fort utile au chanteur comme préalable à ses exercices de vocalises. Il existe peut-être un cercle vertueux entre écoute des harmoniques de la voix, étirement-baillement, détente psychique, libération des tensions musculaires pharyngées et thoraciques, production d'un son vocal bellement timbré. Des études sont en cours afin de déterminer l'utilité pour des parkinsoniens de chanter : en effet, ils peinent à s'étirer et les circuits neuro-physiologiques du baillement ne se remettent chez à eux à fonctionner que lorsque le traitement atténue leurs symptomes neurologiques.

On trouvera une vision de synthèse intéressante concernant le baillement à cette adresse.

Si on explore la Banque Informatique sur l'Action des Médicaments (BIAM), à la recherche de l'effet "baillement", on ne trouve bizarrement qu'une seule substance, à savoir : la lidocaïne et ses dérivés. Ce produit sert surtout comme anesthésique local ou loco-régional. Sa seule indication par voie générale concerne la cardiologie (fibrillation ventriculaire). Mais on note aussi que ce médicament est actif sur la migraine. Il existe cependant d'autres produits générateurs de baillement, notamment le pirebedil (trivastal, prescrit pour renforcer le traitement de la maladie de Parkinson) ainsi que la scopolamine (scopoderm, utilisé contre les vomissements du mal des transports). Le baillement est souvent accompagné d'une augmentation de la sécrétion de salive qui témoigne d'une stimulation du système nerveux para-sympathique.

Cet effet est probablement encore plus net quand le sujet a un retard de sommeil mais il peut survenir en l'absence d'un tel manque. Les jeunes écoliers bâillent beaucoup plus souvent au cours préparatoire que dans la grande section des maternelles, même si les temps de sommeil sont analogues (Koch, 1986). Ce qui change, c'est la contrainte plus grande exercée sur l'enfant pour qu'il concentre plus efficacement son attention, freine ses mouvements spontanés, exerce une activité d'abstraction et de symbolisation portée à un régime supérieur. Le bâillement pourrait traduire l'effort de l'organisme pour étirer, détendre et relaxer les organes impliqués dans ces contraintes et dans cette symbolisation : les organes du langage, de la parole, de la voix. De là le caractère si localisé de ce " stretching " : le besoin de sommeil prenant une expression plus globale, généralisée à tous les muscles du corps, en particulier de type antigravifique. Ainsi s'expliquerait le même phénomène dans les salles de conférence alors qu'il est plutôt rare au cinéma où on peut aussi bien s'endormir de tout son corps.

Ce phénomène doit être rapproché de celui qui lui est symétrique, à savoir l'effet facilitateur sur la voix, précisément, des exercices volontaires de bâillement, dont fait état Yva Barthélemy (1984). Ainsi se constitue un cercle vertueux tel que le bâillement favorise l'émission correcte dont l'auto-écoute produit une meilleure détente encore du système phonateur et une meilleure qualité de la vocalisation. On peut détailler plus encore cet enchaînement en se référant à Jaléna Krempotic selon qui les influx nerveux commandant les muscles qui donneront sa forme au son (lèvres, langue, mâchoire, pharynx) arrivent plus vite à destination que les stimuli destinés aux cordes vocales elles-mêmes. L'ordre des phénomènes serait donc : parole intérieure ---> mise en posture de l'écoute ---> muscles d'articulation ---> cordes vocales ---> écoute du résultat ---> comparaison à la parole intérieure visée, etc. Se mettre en posture, se mettre dans la position du son qu’on va attaquer est essentiel. Si le son doit être haut, on prépare son souffle, le voile du palais, la pression d’attaque ; « c’est comme préparer la monture d’un bijou avant d’y sertir une pierre précieuse » (Mady Mesplé).

Certaines personnes éprouvent un empêchement massif, voire une invincible résistance, à passer de la phase passive d'une cure sonique à sa phase active. Ils n'ont aucune envie de s'entendre émettre des sons, ou plutôt se défendent farouchement contre un tel désir ; ils se comportent alors un peu comme l'anorexique, d'autant plus sévère sur son régime que son corps manque d'aliments ! Ceci doit, en première approximation, être rapporté au jeu des pulsions inconscientes vers la passivité ou vers l'activité, mais traduit aussi une incapacité à s'approprier les effets les plus intéressants des filtrages acoustiques proposés. A savoir le réel de sa propre voix (qui est souvent masqué par une écoute osseuse dominante et distordue) et ses composantes subtiles (en particulier celles qui seraient en rapport avec les parties hautes de notre organisme et leur rôle " responsabilisant ") (cf. chap. 12).

Techniques vocales

Ouvrir les oreilles

Nous chantons selon ce que nous entendons de notre chant. Dès lors, le B-A-BA du bien chanter réside dans une écoute aussi fine, claire, subtile, nuancée que possible. Il existe des moyens de progresser dans l'écoute : bain musical aussi précoce dans la vie que possible, et dès l'époque intra-utérine; fréquentation des concerts; pratique d'un ou plusieurs instruments (piano, violon, etc), assiduité au solfège, plaisir de la danse, écoute des oiseaux et des bruits de la nature, incursions quotidiennes dans un espace de silence et de relaxation.

« Il est également important pour l’athlète de la scène – comme le font les sportifs de haut niveau – de se faire le témoin assidu des champions du passé : écouter les autres in vivo ou par le biais d’enregistrements, voir ce qu’ils réussissent et ce qu’il ne faut pas faire, etc . On gagne ainsi beaucoup de temps ! » (Mady Mesplé).

A côté de ces moyens quotidiens, il existe des méthodes "techniques" précieuses, parfois irremplaçables, dont nous devons le concept à Alfred Tomatis : entraînement de l'écoute sous appareil modificateur de l'écoute, tout spécialement "oreille électronique".

L'économie du souffle

On tend naïvement à confondre le déplacement des vibrations (qui modifient de proche en proche la pression locale) avec un déplacement d'air, imaginant dès lors que " tout est dans le souffle " : plus on veut se faire entendre et plus on croit qu'il faut souffler, pousser, s'époumoner. La voix n'est plus alors une émanation " éthérée " venant de la gorge. Il s'agit au pire d'une conception anale qui en fait une expulsion de matière. Au mieux c'est le cri phallique, puissant, victorieux de Tarzan ou la libération exceptionnelle, ébouriffante, du cri primal, effrayant et douloureux.

Mieux vaut repérer la voix comme une " castration " du souffle, une transformation subtile. Non seulement une évacuation d'air, un " vent " venu d'en haut qui nous échappe dans le cri (de peur, de joie, de douleur, de jouissance), mais aussi l'expression nuancée de tout ce que le chant, la mélodie maîtrisée, permet au chanteur de dialoguer. Yva Barthélemy nous y conforte lorsqu'elle affirme : " La grande capacité thoracique ne fait pas le bon chanteur ; c'est la maîtrise du souffle qui le caractérise ". Pour avoir la maîtrise du souffle, il convient de savoir inspirer, d’apprendre surtout à inspirer « bas ».

Cette sublimation phallique, qui fait l'art vocal de celui qui a un " bel organe ", injecte, par la mélodie, un réel communicable. Elle autorise l'expression émotionnelle, permet de la nuancer, de la moduler, d'en dire beaucoup sans un mot. Dire à chacun ce que ses oreilles peuvent entendre, ce qui appartient à son propre registre, le plus intime, sur la place publique. Et le secret de cette confession sera pourtant gardé : nous ne vibrons que de nos propres vibrations à la mélodie de notre voisin. Son champ, nous n'y entrerons pas, il est gardé par l'ange flamboyant du subjectif. Ainsi faut-il distinguer la voix du langage où s'introduit, s'appuyant sur cette possibilité de " mélodier ", le découpage des mots. Ce pas de plus nécessite, selon Dolto (1982), une " castration " de l'envie de mordre. Est ainsi permis l'accès à la parole, à la communication symbolique. Le mythe hindou d'Ekata, Dvita et Trita suggère que le dépassement de la jouissance de la voix dans l'usage de la parole ne peut se faire sans l'abandon de la prétention à vouloir atteindre toute la vérité (dont Lacan, 1975b, rappelle qu'on ne peut, au plus, que la mi-dire). En pratique : éviter toute sensation (anale) de " pousser ". « Pousser » est bien différent de « soutenir » : il s’agit seulement d’une pression de l’air bien distribuée, « bien en main » et pas forcément exagérée, affolée, mal dirigée, violente. Il s’agit de « descendre » la centration de la respiration : le débutant croit descendre alors que c’est très insuffisant !

Le thorax est fixé en position ample, tandis qu'on envoie l'air seulement par le mouvement du diaphragme (Bunch, 1982). " Il n'est pas nécessaire de projeter l'air avec pression ", mieux vaut le distiller souplement et lentement, paisiblement, en maintenant la dilatation abdominale. Il s'agit d'obtenir un débit minimal avec une pression sous-glottique constante (Scotto di Carlo, 1991). Le chanteur prendra exemple du trompettiste qui respire d'en bas, plus en arrière qu'en avant : il s'agit de mobiliser le bas du thorax dans sa partie inférieure et postérieure, de sorte que le professeur, placé derrière et mettant ses mains à plat, un peu au dessus de la ceinture de son élève, perçoive clairement un écartement, manifestant une expansion de la région des "reins". « Pour une longue phrase, hyper-expressive, dans le haut médium, il faut beaucoup de souffle et pourtant ne pas s’époumoner : les côtes s’écartent comme un bandoneum, comme un livre qui s’ouvre » (Mady Mesplé). Pour y parvenir, Jane Berbié demande à son élève d'imaginer qu'il charge un sac bien lourd : cette représentation mentale l'amène à gonfler le bas du dos, au niveau des côtes flottantes notamment.

La liberté respiratoire est très importante : il ne s'agit pas seulement d'éviter rhinites, laryngites, bronchites ou angines, il convient aussi d'assurer une circulation optimale de l'air au niveau des narines. On pourra utiliser dans ce but le lavage périodique du nez grâce à de l'eau légèrement salée qu'on fait pénétrer par une narine et qui sortira spontanément par l'autre narine ("neti kriya" du yoga).

 

Laissez tomber vos épaules !

Les phoniatres ne remettent plus en question le fait que la liberté de la voix dépend très largement de la relaxation des épaules. La tension de cette région est d'influence réciproque. Chanter détend, détendre permet de chanter. Un film de Faure (1986) a bien illustré ce phénomène en montrant combien le relâchement des muscles du dos et du cou transformait l'émission vocale. Le respect de son outil est la première vertu du compagnon. Le surmenage des cordes vocales est la hantise de l'orateur comme du chanteur, elle guette l'ivrogne, le fumeur et l'excité. La sagesse en préserve. Et l'harmonie psycho-somatique ! L'angoisse peut en effet se nicher là, non seulement comme serrage, mais aussi par abandon aux mains de l'ennemi : laryngites infectieuses ou angines récidivantes, mycoses glottales chroniques, etc.

La relaxation des épaules est un élément nécessaire d'une détente plus générale : éliminer la constipation qui nuit à la souplesse abdominale, dépasser le trac, fréquenter le silence intérieur. « Il s’agit de donner profondeur à la musique, l’aller chercher au centre de l’âme ; on se sent alors très bien ! » (Mady Mesplé).

Exercez les abdominaux

Wedin a montré que l'entraînement des abdominaux à fibres longues (muscles latéraux) permet une augmentation de l'intensité vocale (plus de 5 dB) ; ceci est surtout vrai pour les notes tenues qui font travailler la sangle abdominale, « jusqu’au centre du corps, jusqu’à toucher la colonne vertébrale ; lorsqu’on y parvient, on fait ce qu’on veut !» (Mady Mesplé). Pour les notes " piquées ", détachées, ce sont les intercostaux qui seront employés (Cornut, 1986).

Bâillez !

La prononciation de sifflantes filtrées (en passe-haut) - et plus généralement l'audition d'aigus à haute dose - provoque des réflexes réitérés de bâillement. Réciproque : l'usage de postures imitant ou déclenchant le bâillement semble d'une extrême valeur pour assouplir et optimiser les organes de la phonation. La technique de respiration continue, connue sous le nom de " rebirth ", déclenche une diminution du gaz carbonique dans le sang, qui s'associe, entre autres, à la survenue fréquente d'expressions émotionnelles variées et/ou de contractures à type de crampes. Cela peut aller jusqu'à l'émission du " cri primal " (Janov), suivi d'une extrême détente (release). On voit parfois survenir des phénomènes vécus comme érotiques ou mystiques, à moins qu'on ne cède à la somnolence. On assiste alors à des bâillements incoercibles avec polyurie.

Le bâillement a très peu fait l'objet de recherches (je n'en ai trouvé aucune référence, par exemple, dans la base Téléthèses) et les physiologistes se contentent de signaler qu'il met en jeu la plupart des noyaux bulbaires (VII, IX, X, XI, XII). On doit y adjoindre les cornes antérieures de la moelle grise cervicale et nos propres remarques nous permettent d'ajouter le noyau du VIII.

http://perso.libertysurf.fr/baillement/Index.html

http://www.chanteur.net/articles/aBaillem.htm

 Le bon sens populaire affirme qu'il s'agit du désinvestissement de l'action en cours : soit qu'il existe un besoin impérieux à satisfaire (faim, froid, sommeil), soit qu'elle manque d'intérêt (ennui). Il existe aussi quelques déclencheurs métaboliques (acidose, barbituriques, opiacés) ou physiques (pression intra-crânienne, " étirement " des bras signifiant un désinvestissement de l'action manuelle). Enfin la contagion en est bien connue : elle procède directement de l'image du bâillement ; qui semble suffire, si elle est vive, à produire ce qu'elle représente.

L'ensemble suggère que le bâillement peut avoir pour fonction centrale d'inhiber la pensée et la relation au profit de mécanismes d'apparence moins nobles : dormir, manger, se réchauffer, se relaxer. Mais notre ignorance reste grande ! Il faudrait encore parler de la mise en condition de l'appareil phonatoire par l'ouverture de la trompe d'Eustache qui assure l'équilibre des pressions de part et d'autre du tympan, permettant ainsi une écoute aérienne satisfaisante.

Cette gymnastique de la mâchoire inférieure aurait une efficacité sur la récupération de la justesse vocale. Yva Barthélemy insiste : " Tous les principes qui mènent à la découverte de la bonne place vocale sont fondés sur le mouvement de bâillement répétitif. " Pour elle, c'est l'action relaxante sur la mâchoire qui serait ainsi mise à profit. Les sentiments aversifs, anxieux et dépressifs qui serrent la gorge et la mâchoire sont parfaitement incompatibles avec le chant, tant du point de vue physiologique que psychologique, comme avec le rire (à moins qu'il ne soit " sardonique "). Nous devrions sans doute ajouter l'amour à la liste des actes que prépare le bâillement. Le chant s'améliore radicalement par la décontraction des organes phonateurs qu'il favorise en retour. Chanter repose, dilate, détend, aide à dissoudre cette - ou " ces ", comme on dit quand " on les a " ! - " boule " à la gorge.

La gym de bouche

Tomatis, utilisant une synergie qui lierait le muscle de l'étrier (dans l'oreille moyenne) et la musculature de la face, propose de prononcer autant que possible en projetant les lèvres vers l'avant (à la Giscard) plutôt que de tirer sur les commissures comme Chirac. Barthélemy abonde en ce sens : " L'émission sonore avec les lèvres projetées vers l'avant change immédiatement la couleur et l'aisance du son, décelable tout de suite par l'auditeur et par celui qui émet " (fig. 25). Ceci concerne la traction vers l'arrière des commissures des lêvres qu'il convient d'éviter, notamment lors des exercices d'entraînement de l'écoute. Il ne s'agit bien sûr aucunement de s'empêcher d'ouvrir la bouche, et de l'ouvrir autant que possible, notamment pour donner de la puissance et de l'agilité aux aigüs. Mais ceci peut se faire sans "tirer les commissures", comme l'explique bien Gilles Denizot en rappelant que l'école de chant italienne recommande une "forme" de bouche ovale et verticale. Cette posture ovale et verticale offre une sensation de précision et de sécurité à tout chanteur avec un meilleur contrôle sur son ou sa production vocale. La posture ovale et verticale des lèvres a aussi une forte influence sur l'homogénéisation des registres, surtout entre registres de poitrine et de tête. La raison s'explique dans l'influence d'un larynx en position basse et un voile du palais élevé. Là encore nous voyons que non seulement les lèvres doivent travailler correctement, elles doivent en plus collaborer avec d'autres éléments de la cavité buccale."

La forme à donner à la bouche dépend aussi de la tessiture et des sons à produire : pour « ou, eu , au, u » il convient de tirer la bouche vers l’avant. Dans l’aigu – surtout l’extrême aigu - on va tirer vers les pommettes ; quand ça monte il faut vraiment ouvrir la bouche en l’ovalisant et sans tirer les commissures en arrière. (Mady Mesplé).

Fig. 25 (Dessin de Benjamin Auriol.)

 

 

Jaléna Krempotic a découvert que la stimulation des cordes vocales est toujours précédée d'une " mise en condition " de la bouche, du pharynx et du larynx (voire de toute l'expressivité mimique), d'où l'intérêt d'une gymnastique " pré-phonatoire ". Il s'agit d'ailleurs plus d'une relaxation, d'une eutonisation, que d'une véritable gymnastique. Le but est de desserrer le larynx, les mâchoires (qui se crispent en guise de rigueur, de moralisme, de concentration ou d'agressivité). On s'exerce tout d'abord à étirer la langue " en souplesse, avec bâillement total en largeur et hauteur ", tout en surélevant les pommettes. Pour vérifier la symétrie d'un tel mouvement, on peut placer un doigt dans le creux libéré par l'ouverture de la mâchoire près de chaque oreille : si la mâchoire n'a pas de problème, les deux creux seront identiques. Dans le cas contraire, la gym de bouche tendra à corriger le défaut, procurant du même coup un progrès dans l'occlusion dentaire. Les matrones du Midi avaient coutume de sectionner d'un coup d'ongle le frein de la langue : trop court il aurait pu, pensait-on, gêner la mobilité de la langue et engendrer quelque défaut d'élocution (bégaiement, blésité, etc.). Les Celtes montraient la langue de l'ennemi qu'ils avaient tué en combat singulier comme d'autres en exhibaient le prépuce. L'étirement de la langue évoque aussi ce geste de la tirer, si mal toléré par l'éducateur. Exhibition d'un phallus dérisoire ou prématuré, il s'agit plus d'une effronterie que d'un affront : l'enfant, comme Einstein, mesure très bien sa faiblesse, mais aussi sa part d'autonomie et jusqu'où peut aller sa provocation. A moins qu'il ne s'agisse de s'appliquer à son devoir.

Dans l'exercice des bâillements, il s'agit, sans mouvement respiratoire, d'ouvrir complètement la bouche (comme dans l'étirement de la langue qui, cette fois, restera molle, au repos, derrière les dents du bas). On surélève le voile du palais, les amygdales s'écartent, la lèvre supérieure se relève. Pendant ce temps, la nuque s'arrondit et se courbe légèrement. Puis sans refermer la bouche, on peut mettre la mâchoire du bas en avant en découvrant les dents du bas et prononcer alors " ix ". Cet exercice et d'autres non seulement apaiseront l'angoisse mais iront jusqu'à éliminer le bruxisme, ce tic de grincer des dents tellement agaçant pour les proches et nocif à la dentition. Yva Barthélemy préconise d'autres exercices comme ceux qui font jouer le voile du palais et sa petite luette avec son muscle bien à elle. Il sera intéressant de les expérimenter, sous contrôle, car cette gymnastique est loin d'être anodine : elle peut déclencher non seulement des courbatures de la langue au lendemain des exercices, mais aussi un grand nombre de contre-réactions psychologiques ou physiologiques. L'une de ces conséquences est plutôt favorable : le ronfleur verra disparaître, sans appareil électronique ni chirurgie mutilante, l'orchestration pernicieuse de ses nuits..

La gym des yeux

Yva Barthélemy a aussi décrit une interaction puissante entre certains mouvements des yeux et la tension du larynx. Décontracter celui-ci, c'est-à-dire alléger, au moins pour un temps, l'angoisse, peut s'obtenir fort simplement : en chantant ou disant un texte, on ouvre les yeux très grands et on regarde très loin vers la droite, puis, sans se précipiter, très loin vers la gauche, et ainsi de suite... Cela débloque la voix chantée : " Le vibrato se déclenche et la porte de l'aigu s'ouvre ". On observe aussi (Feldenkraïs, 1967) un assouplissement de tout le corps et surtout de la nuque (favorable à la phonation). Les exercices de convergence oculaire (" tratak ") proposés par la tradition du yoga et repris dans le Training Autogène de Schultz (1958) pourraient aussi recevoir une application dans cette culture vocale.

Chanter comme on parle

Chanter consiste à jouer, avec art, de l'intonation déjà présente dans la parole. Il est des accents plus ou moins chantants ; l'émotion colore ou altère la voix. Tomatis a relevé une intéressante observation du génial Caruso : " J'ai remarqué combien vous avez de belles voix en France, mais je n'ai jamais compris pourquoi les Français chantent en donnant l'impression d'être à l'octave au-dessous ". Fabuleuse remarque qui souligne le lien entre les fréquences utilisées par le parler français courant et le " chanter " des Français, le parler italien et le " chanter à l'italienne ".

L'exagération de la voix parlée peut traduire la peur de n'être pas entendu, une réaction au sentiment d'humiliation ou de rage qui peut résulter de l'absence d'auditeur ou de l'impression qu'il se ferme à notre voix. Les disputes engendrent les décibels, parce que, ne s'entendant pas, les antagonistes crient comme s'ils étaient sourds ! Bizarre équivoque : comme si augmenter le " jus " pouvait améliorer la compréhension, hausser le ton entraîner la conviction. Il est pourtant vrai que, parfois, ça marche. L'adversaire finit par enregistrer le message auquel il se fermait de toutes ses forces (il n'est pire sourd...) et se laisse intimider par la gerbe d'aigus supplémentaires, dynamogène pour son surmoi.

Les recherches de J. H. Amado ont montré que les sujets munis d'une voix très puissante (plus de 110 dB à 1 mètre) étaient des hyper-cortico-surrénaliens, du point de vue endocrinien (Barthélemy, 1984). Leur caractère serait marqué par l'agressivité, un grand appétit sexuel, le goût pour l'action, la vitalité, la tonicité et l'optimisme. On a appelé la surrénale " glande de l'énergie ", il faudrait dire " de l'énergie manifestée " (Manipoura). Pour le chanteur, il existe une vraie jouissance de la puissance vocale et des réverbérations qui en témoignent : plaisir des salles de bains et des cathédrales ! Les cures sous appareil modificateur de l'écoute installent l'usager dans cette position de jouir pleinement de sa propre voix, jusqu'à chanter à gorge déployée dans la voiture ou dans les rues.

Des graves et des aigus

Comme nous l’avons vu, plus on veut chanter grave, plus on doit agir vers le haut des poumons, plus on vise les aigus, plus il faut agir vers le bas du ventre. Ceci concerne l’activité musculaire. Son résultat spatial étant paradoxalement inverse !

Pourtant, non seulement chacun de nous possède une voix de poitrine, plus grave, et une voix de tête, plus aiguë, mais aussi, dans le cadre de chacune des façons de chanter, il existe une échelle spatiale de bas en haut qui répond, point pour point, à la gamme (fig. 26). L'expérimentation scientifique (Scotto di Carlo, 1990) le confirme : le chanteur d'opéra aide son oreille en contrôlant où se produisent, en son corps, les plus fortes vibrations. Plus il monte dans les aigus et plus les " résonances " s'élèvent, jusqu'à atteindre le sommet du crâne dans l’extrême aigu : « le contre Fa fait vibrer le synciput et aussi un point très précis, juste au dessus du nombril, comme une piqure d’acupuncture » (Mady Mesplé, comm. personnelle). Pour jouer ses graves, le chanteur lyrique fait plutôt vibrer sa poitrine et de plus en plus bas. Chacun en fera l'expérience pour peu qu'il s'y exerce (par exemple avec Iégor Reznikoff).

Nous venons de le voir, et d'autres remarques plus haut citées nous y avaient préparé, il existe deux échelles contradictoires : celle des résonances corporelles qui tend à s'élever selon l'axe vertical, mais aussi une échelle de sens inverse : pour chanter de plus en plus haut, il s'agit de se centrer de plus en plus bas. Ce n'est pas seulement qu'il y ait des répercussions physiologiques comme ce point sus ombilical remarqué par Mady Mesplé, il y a aussi une charge d'investissement accru vers le bas, au point que d'autres chanteuses, "soprano léger", ont avoué avoir parfois vécu un orgasme lors d'excursions dans le plus extrême de leur aigü.

Lorsque, pour des raisons médicales, une chanteuse est amenée à prendre des hormones mâles, la voix peut se mettre à baisser (d’une tierce ou plus). Les gynécologues devraient tenir compte de ce fait et se montrer prudent à l’égard des professionnelles du chant qui pourraient dans un tel cas perdre leurs aigus pendant plus d’un mois et demi !

Chanter par quelle oreille ?

Si l'individu " tout-venant " s'intéresse à la musique par le biais de son oreille gauche, le musicien ou le chanteur exercé utilisent plutôt la droite, ce qui peut entraîner des résultats contradictoires suivant que la recherche s'adresse aux uns ou aux autres. L'entraînement audio-psycho-phonologique, puisqu'il conduit à une maîtrise bien assise du chant, y compris pour ceux qu'on faisait taire, devra, au moins " in fine ", induire une écoute de professionnel par la droite. C'est donc à juste titre qu'Alfred Tomatis préconise de renforcer le son du côté droit pendant les exercices.

Ceci pour l’entraînement spécifique sous oreille électronique. Mais dans l’exercice de son métier, comme le souhaite Mady Mesplé, le chanteur essaiera de travailler de manière à entendre, à égalité par les deux oreilles, le son qu’il produit, sans tordre la bouche comme font certains chanteurs afin de mieux s’entendre d’un côté plutôt que de l’autre. C’est aussi la pratique – non généralisable - de Gilbert Bécaud ou des choristes corses qui utilisent leur main pour diriger le son de façon dissymétrique.




Fig. 26. Localisations subjectives des sensibilités internes phonatoires en fonction de la tessiture pour un soprano léger (d'après Lilli Lehmann).

 

Une remarque pourra jeter quelque lumière sur cette polémique naissante : la gestion du langage, dans ses composantes signifiantes (le sens du texte tel qu'on pourrait le lire), est l'affaire du cerveau gauche, dans ses composantes émotionnelles c'est celle du cerveau droit. La ligne mélodique, " le chant du parler ", intervient pour les deux (déjà, dans notre langue, pour marquer l'interrogation, l'exclamation, etc.). Les langues à ton (thaïlandais) et celles riches en voyelles (japonais) impliquent de ce fait beaucoup plus le cerveau gauche dans l'écoute mélodique. Le chanteur (et à un moindre degré le musicien) utilisent la mélodie selon une technique et en accordant à chacun de ses détails une signification (ce qui permet d'écrire une partition). Nous sommes dès lors en présence d'un langage et il n'y a pas de paradoxe à ce qu'il soit pris en charge par l'hémisphère gauche. Comme Tomatis le remarque, toute la valeur professionnelle du chant est située du côté de l'oreille droite et du cerveau gauche. Il restera ces infimes nuances, ces perturbations émotionnelles, ces altérations impondérables qui font échapper l'exécution à ce qu'on en attendrait strictement d'après un solfège d'ordinateur. Même le chanteur virtuose - et tant mieux pour nous - glisse un peu de son cerveau droit dans sa prestation. Tomatis n'en disconviendra pas qui préconise une rééducation sous oreille droite certes, mais en gardant toujours un filet de son de l'autre côté (ce qu'il appelle " équilibre 1 ").

Chanter de tout son corps

Et pas seulement de tout son coeur. Surtout pas de tout son larynx : mettre toute la mise sur cet organe délicat a peu d'effets sur l'auditeur, mais, en aboutissant au " serrage ", se révèle destructeur pour le chanteur. Notre corps est un instrument musical, le larynx produit un son qui a la même valeur que de faire vibrer une anche. Le son laryngé (enregistré dans le voisinage immédiat des cordes vocales) correspond au son fondamental de la voix. Il est donc grave et ne nous livre du discours que sa prosodie : les mots sont incompréhensibles, ils ne livrent que leur part d'exclamation, d'interrogation, les points et les virgules qui les séparent.

La transcendance du stradivarius est dans sa caisse, non dans ses cordes. L'être humain est aussi formé de résonateurs fixes comme les cavités mastoïdes, les cellules ethmoïdales, les sinus faciaux. Il est également pourvu de résonateurs animés, tels les cavités nasales, buccales, les poumons, et jusqu'au tube digestif qu'il n'est pas bon d'avoir trop plein (ni trop vide). « L’estomac doit être assez libre ; si on a faim, on mangera sans trop, en évitant les plats trop lourds. Si on n’a pas faim, il convient pourtant de s’obliger à manger quelque peu » (Mady Mesplé). Les creux du crâne, non seulement ceux de la bouche, du cavum, des fosses nasales, mais surtout les sinus frontaux, mastoïdiens, maxillaires, ethmoïdaux, etc. La tête est la caverne vibrante de tous les trésirs d’Ali Baba. A cette utilisation savamment intuitive de nos creux doit s'ajouter la subtile mise en jeu de notre corps tout entier, notre façon d'être présent au monde, ici et maintenant.

Comment réaliser facilement cette posture ? La colonne est verticale comme dans la méditation, la tête bien campée sans inclinaison ni redressement excessif. Il convient (Tomatis, 1987) que la fente qui sépare les deux paupières soit à la même hauteur que le conduit auditif. La tête doit être bien droite, mais il ne s'agit pas de relever le nez comme Jean de la Lune : le cou doit plutôt atténuer sa cambrure. Ainsi le larynx s'applique mieux sur la colonne vertébrale qu'il pourra faire vibrer. Les reins ne doivent pas être creusés, ni les fesses relevées en arrière comme le réclame l'usage du zafou lors de la méditation zazen. Au contraire, même au bas du dos, la colonne vertébrale doit être tenue aussi droite que possible, ce qui nécessite l'usage d'un siège occidental ou une longue pratique d'assouplissement préalable rendant le zafou inutile (hatha yoga, méthode Mézières ou makko ho par exemple, Nagai, 1972). Le rôle de la colonne vertébrale dans le chant est déterminant, on s’appuie dessus, on compte sur sa consistance, sa solidité voire sa dureté. Solidité et verticalité : « il ne faut pas s’asseoir dans le bassin ».

La gymnastique de la tête et du cou proposée par Yva Barthélemy va tout à fait dans le même sens. Le renforcement général et différencié des muscles de la région a un effet immédiat : la voix devient " plus ronde, plus claire ", monte mieux dans les aigus. Pour se centrer sur les finesses du son, bien capter les harmoniques les plus subtils, Tomatis (1987, p. 207) répète inlassablement à ses élèves que, la posture générale étant acquise, " il faut imaginer que tout le cuir chevelu file en arrière comme si on désirait bâtir un petit chignon très serré, très dense ", au vertex (au sommet du crâne), les rides horizontales du front tendent alors à disparaître, " on a l'impression que le front devient lisse, la peau souple comme du velours ", une sensation de fraîcheur l'inonde ; on imagine alors qu'on l'élargit au maximum, ce qui atténue ou fait disparaître les rides verticales, la face " rougit et s'échauffe, puis pâlit ", la respiration se régularise, s'amplifie, se ralentit : " en fait, elle se débloque ", les paupières se laissent aller, les yeux sont mi-clos. On peut alors " étirer " de la même façon les oreilles vers le haut, en arrière, la peau des joues, du menton, de tout le visage comme si on la rassemblait autour du " petit chignon " : la bouche prend l'expression paisible qu'on reconnaît dans le demi-sourire du Bouddha ou du Christ en majesté, les sons se purifient, s'éclaircissent, deviennent plus lumineux. L'écoute de sa propre voix surtout bénéficie de cette attitude.

Si le thérapeute demande de bien installer et tenir souplement une posture, c'est parce qu'ainsi l'énergie augmente, la vigilance s'accentue et la concentration s'améliore. J'en ai posé les bases psycho-physiologiques dans ma thèse sur la yogathérapie (Auriol, 1970) et Descamps (1974) a su montrer la précision de tels effets en étudiant certains des " asanas " du yoga. La posture d'écoute favorise un bon contrôle de la voix, qui devient " plus vibrante, chaude, harmonieuse... c'est la structure osseuse, le squelette qui chante en sa totalité... La coque fait chanter les cavités " (Tomatis, 1987, passim). Le larynx donne des sons fondamentaux relativement insipides qui s'orneront d'un " timbre " lié aux dispositifs de résonance. S'intéressant plus à l'émission qu'à l'écoute, Yva Barthélemy rejoint pourtant Tomatis et préconise une posture analogue qu'on dirait inspirée des pratiques tao. Elle s'enorgueillit d'observer l'acquisition par ses élèves " d'un très beau port de tête ". Le cou s'allonge, la démarche elle-même paraît plus souple.

(Bien) placer sa voix

Une voix " bien placée ", mettant en jeu de manière adéquate les bons muscles sera belle à entendre et se renforcera en harmoniques élevés (à peu près 3 kHz : " Ring " ou " Singing Formant "), or 3 kHz est classiquement la fréquence de sensibilité maximum pour l'oreille humaine, et ce renforcement des harmoniques aigus se retrouve dans le son des cuivres, le chant du coq et le filtrage des A.M.E. Le choix de la tessiture appropriée conduit le chanteur à se sentir « à l’aise » ; le bon professeur, d’expérience, entend cette adéquation, cette souplesse. C’est immédiat, intuitif. Si l’élève force, serre, souffre, rougit en chantant, manifeste de la crispation, c’est qu’il « n’est pas dans sa voix ». Chanter doit donner du plaisir, de l’exultation, non des efforts laborieux et pénibles. Si nécessaire, on changera de tessiture pour habiter avec joie sa propre maison, tel Placido Domingo qui a dû abandonner les rôles de baryton au profit de ceux de ténor.

La voix osseuse

Pour travailler la " voix osseuse ", Tomatis préconise un exercice qu'on aura intérêt à pratiquer avec persévérance jusqu'à réaliser tous ses effets et le " saut qualitatif " qu'il doit faire ressentir. En posture d'écoute, bouche fermée, mâchoires au contact sans serrer, langue épanouie dans la bouche et la comblant. Contrairement à ce que conseillent certains yogi (Muz Murray), il est préférable d'éviter la nasalisation (l'accent texan). On imagine qu'une oreille nous écoute au niveau de la nuque, comme si nous chantions pour un public à qui nous tournerions le dos.

Lorsque je reçus cet enseignement, dans les années 70, il m'indisposa par son allure irrationnelle. Pourtant son efficacité s'avère indéniable en pratique et je ne peux oublier la qualité de ce " OM " vibrant dans toute la pièce, tout le centre Tomatis de Carbonéras, on ne pouvait en situer la provenance, il était partout et ne venait de nulle part. Bien prononcé, il paraissait le fidèle reflet de l'absolu comme je l'avais appris dans les écrits de l'Inde. C'est Ibos (Barthélemy, p.173) qui aurait découvert l'utilité de bien positionner la mâchoire pour y accéder : " Ce soir-là, il sentit toute sa gorge s'ouvrir largement " et il émit la note avec une puissance et une couleur qu'il n'avait jamais entendues, tout en éprouvant une résonance bizarre, jamais encore ressentie, dans le haut de la tête. Il sut reproduire cet effet de manière tout à fait régulière en utilisant la posture en " bâillement qu'il avait bien mémorisée. " Actuellement, on insiste sur le fait qu’il ne faut pas mettre sa voix « dans le masque », mais au contraitre lui donner de la portée. Essayer de la faire sonner sans la fatiguer ; on peut chanter longtemps (par exemple pendant deux heures et demi) en fatiguant le corps mais non l’appareil vocal !

Cette mise en vibration des os du crâne utilise tous les résonateurs disponibles, à savoir les cavités si nombreuses de la face, du front et... de l'oreille (mastoïde). On sent alors avec une sorte d'exaltation joyeuse vibrer les pommettes, les os du crâne, les sinus, avec une impression de jeunesse et de dynamisme. Les sons sont dirigés derrière les dents du haut pour les graves ou les médiums mais reculent dans le voile du palais en allant vers les aigus. Et puisque les aigus correspondent à la partie supérieure de l'organisme et les graves à sa partie basse, les sons prononcés en avant correspondent à la partie inférieure et les sons prononcés en arrière à la partie haute. Remarquable convergence de deux somatotopies bien distinctes.

Effets du chant

Joëlle de Gravelaine (1984) affirme que les séances d'entraînement vocal conduisent à " une plus grande assurance dans la vie, à une prise de parole publique plus aisée, à plus de vitalité dans le quotidien et à un meilleur équilibre général. Lorsque, après beaucoup de travail parfois, les résonateurs se mettent en marche, la voix commence à vibrer, à émettre un "beau son", on éprouve une joie indicible, vitale, violente, que je qualifierais volontiers d'orgastique. Le chant, comme l'amour, libère bien des tensions ! " La personne change de façon d’être, et cela se lit dans son allure, sa distinction, sa meilleure façon de s’exprimer (Mady Mesplé). Les tensions musculaires, surtout celles de la mâchoire et du cou, s'atténuent ou disparaissent dans une grande débauche de bâillements, fous rires, crises de larmes, picotements de gorge, besoin de parler excessif, sentiment d'euphorie, etc. Ces effets ne vont pas sans un plus grand désir d'autonomie, des prises de décision plus fermes et plus rapides, ou parfois quelque agressivité transitoire, notamment à l'égard de la mère (Barthélemy, 1984). Ils ne seraient certes pas reniés par les praticiens de l'audio-psycho-phonologie (A.P.P.) et les utilisateurs d'appareils modificateurs de l'écoute (A.M.E.) en général. Ils se produisent déjà lors des séances d'écoute passive sous A.M.E., surtout avec l'emploi des sons filtrés en passe-haut, et se renforcent lors du passage en phase active. Comme nous l'avons remarqué à plusieurs reprises, l'écoute améliore la posture des muscles phonatoires et la qualité de la voix, de même que la " gymnastique phonatoire " améliore l'écoute.

Jeux de voix : vocalises

Le chanteur ou la cantatrice, comme tout sportif, sont dans l’absolue nécessité de s’entraîner tous les jours, c’est à dire de « faire des vocalises ». Il s’y doit dès le matin, en commençant tout doucement, sans forcer. Il s’agit de mettre le corps au travail, d’abord très prudemment en début d’exercice puis avec un investissement croissant. Il est impératif de vocaliser avant de chanter. Pas forcément très longtemps, en dix minutes, on peut « faire sa voix ». Il est bon d’y consacrer peu de temps le jour d’une performance, beaucoup plus les autres jours.

Voyelles. Il est très utile pour l'écoute, la voix et l'évolution psycho-physiologique d'émettre des sons : vocalisation de voyelles selon les exercices du " bel canto " ou sur un mode grégorien.

Comptines. Les mères de tous les continents et de toutes les époques ont balancé doucement leur bébé pour le calmer en lui chantant des berceuses. Plus tard les enfants jubilent de se regrouper pour faire la ronde en rythmant des " comptines ". Ces créations populaires ont des vertus thérapeutiques éminentes : non seulement elles excitent la nostalgie de ces moments oubliés avec certains effets cathartiques, mais surtout elles font une profonde et charnelle association du rythme et de la mélodie. Exercices idéaux pour asseoir les bases de la communication et de la parole.

« En ce qui concerne l'origine des chansons, je ne suis pas certain qu'il soit possible de les dater avec précision. On peut toujours trouver des repères çà et là, mais il se pourrait bien que ça soit loin de correspondre à une origine réelle.

Je crois qu'il faut tenir compte du fait que les chansons, telles qu'elles nous sont parvenues aujourd'hui, sont le produit de la fixation par l'écriture et le solfège. Elle sont donc déjà bien "amidonnées".

Dans le fonctionnement traditionnel, les paroles étaient plus importantes que ce que nous appelons aujourd'hui la musique, la mélodie. La mélodisation se faisait en suivant les rythmes de ce que l'on disait. Il suffit, pour s'en rendre compte de "parler" les paroles de la chanson "A la claire fontaine" en forçant un peu les intonations pour se rendre compte que la mélodie connue suit parfaitement une intonations normales du parler. C'est très remarquable dans le chant grégorien : la mélodisation suit de près les rythmes et les accents de la parole en se construisant sur eux. (c'est pourquoi mettre des paroles sur une mélodie, c'est faire l'inverse de ce qui se faisait chez les traditionnels.) D'autres chants nous renseignent aussi sur cette réalité : "Alouette", "C'est un p'tit oiseau qui prit sa volée", "Aux marches du palais" etc. c'est vrai aussi pour "Dans les prisons de Nantes".

De même, les mélodies, réduites aujourd'hui au seul système tonal à 12 demi-tons, donc affadies et exagérément mélodisées, devait s'accompagner de jeux de gorges et de mélismes. Ce qui donnait une vie considérable à la vocalisation. Nous avons malheureusement perdu cette pratique. Nous ne chantons plus avec la gorge mais avec les joues. Il faut entendre chanter les arabes qui pratiquent la gorge, pour se rendre compte de cette richesse.(même les "modernes" comme l'étonnant Faudel) Il faut entendre chanter le Pansori : à mi chemin entre le conte et le chant (tiens, à propos, un nouveau film coréen est sorti : "la chant de la fidèle Chunhyang" : Pansori à volonté) (revoir aussi le film "La chanteuse de Pansori : superbe)

Il devait aussi exister des sortes de "véhicules" structuraux, autant langagiers que mélodiques qui devaient servir à caser des improvisations souvent octosyllabiques, connues de tous et chantées en "responsorial". (tel "Alouette") Dans la logique de l'oraliture, on appelle ça "formulisme". (Cf. Marcel Jousse : "l'improvisateur traditionnel crée avec des formules que, pourtant, il n'a pas inventées mais qu'il puise dans le langage courant." Un exemple est celui des improvisateurs basques qui se servent de formules existantes pour créer un chant nouveau mais construit avec des "morceaux" de phrases ou de mélodies. (en tapant, j'ai fait un lapsus et j'ai écrit "mélodire", serait-ce un lapsus de conteur ?). J'ai assisté à une performance de chanteurs basques qui prenaient n'importe quel thème, au vol, pour nous servir de longs discours chantés octosyllabiques ou en huit temps. C'était formidable. Dommage que leurs mélodisations soient tellement fadasses et d'un banal... Ca devait être différent autrefois. Mais le tonal est passé par là !

C'est pourquoi il me semble que l'origine des chansons se perd dans un ensemble peu précis de procédés rythmo-musicaux propres aux fonctionnement traditionnels dans lesquels la chanson n'était pas un substantif mais un verbe. On chantait pour mettre en poésie un drame du moment qui concernait la communauté et qui se formulait selon les mythes ambiants et selon le jeu communautaire. Mais la chanson "objet" ne devait pas exister telle que nous la connaissons aujourd'hui sous nos latitudes.


C'est à peu près comme pour les contes - mais le conteur n'est-il pas aussi un chanteur ? - Ils sont remplis de thèmes sans doutes vieux comme le monde et qui sont indéchiffrables aujourd'hui. Mais le conte "objet" n'a jamais existé sauf dans la littérature ».

Willy Bakeroot

Grégorien. Nous devons aux attaches spirituelles de Tomatis la présence de chant sacré en début de phase active. Le curiste, après la stimulation des sons filtrés et les désenchantements de l'accouchement sonique, a besoin de paix, de sérénité, d'acceptation, tout en conservant un tonus suffisant à l'affrontement de la réalité. Il est vrai que le grégorien convient tout à fait à ce propos. Les moines qui l'ont créé devaient échapper aux passions et tumultes du " siècle " sans pour autant s'effondrer et laisser leurs champs et leurs bibliothèques en friches. Ils ont su créer des mélodies fortes, simples, sereines, sans mièvrerie, pleines d'élan et de retenue, toniques et souples, élevées, mais pas trop " planantes ".

La valeur des chants médiévaux et de la musique du moyen âge, pour la musicothérapie et pour l'art en général, se retrouve exaltée pour qui se sent submergé et assourdi par l'incessant convoyage bruyant de notre environnement. On se prend à rêver d'ambiances sereines et fortes, où l'on entendrait le madrigal et la cantilène, dans l'obscurité amie d'un ciel, lui aussi purifié des lumières de la ville !

Extrait du "Paroissien Romain", Desclée, 1959
Extrait du "Paroissien Romain", Desclée, 1959

Leur effet, multiplié par les filtrages variables des A.M.E., se manifeste, indépendamment ou presque, de la culture de l'auditeur : " presque " car certains adultes de culture catholique sont renvoyés à de multiples souvenirs plus ou moins nostalgiques ou révoltés ; ils ne peuvent mesurer l'action spécifique du grégorien qu'après avoir épuisé ces effets cathartiques. Les personnes élevées loin du catholicisme peuvent, dans un premier temps, présenter une réaction de rejet de sonorités qui leur paraissent par trop éloignées de leur propre culture ; s'ils persévèrent, ils en remarquent pourtant les effets positifs. J'ai pu observer que le phénomène symétrique était vrai : les mélodies sacrées reçues des autres champs religieux (ba'haï, islamique, hindouiste, bouddhiste, israélite, etc.) ont aussi, passé un premier moment de xénophobie ou de xénophilie, des effets apaisants, tonifiants, " sublimatoires ", y compris pour les individus qui ne les ont jamais fréquentés.

Sifflantes

Les mots comportant des sons sifflants (S, CH, etc.) permettent un travail d'écoute active centrée sur les phonèmes les plus aigus. Tomatis a proposé avec beaucoup de sagacité de les filtrer selon un schéma progressif, tout en demandant au client de les reproduire. Ce type d'exercice affine l'écoute dans de très hautes proportions et constitue sans doute un pilier déterminant du training sonique, avec d'importantes conséquences psychothérapiques concernant notamment le sentiment de sécurité et l'attitude de responsabilité.

Lectures avec utilisation de contes populaires

Après avoir exercé différents matériaux préparatoires, la cure sonique comportera des textes lus, choisis d'un commun accord par le patient et son thérapeute. Plutôt que l'utilisation de littérature scientifique ou de romans, il me paraît opportun de suggérer, entre autres, l'utilisation des contes enfantins les plus " parlants " pour le sujet, et ce jusqu'à extinction apparente de leur charge émotionnelle. Les maîtres indiens, et certains thérapeutes récents comme Milton Erickson (1986), utilisent la méditation sur un conte ou une anecdote en guise de " psychothérapie à emporter " : une seule entrevue pendant laquelle le thérapeute donne un seul récit peut avoir des conséquences majeures quant à l'évolution de son partenaire... Il y faut du génie ! Peut-être les moins bons cas sont-ils oubliés au profit des meilleurs. Pourtant, même en se contentant d'un profil bas, cet usage paraît prometteur : lire sous filtrage des contes, et relire ceux qui engendrent une émotion pour autant qu'elle subsiste.

La programmation

La programmation d'une cure se fait généralement selon un schéma standard hérité de l'enseignement tomatisien et basé sur l'idée développementale suivante : travailler d'abord ce qui aurait dû être acquis en premier et, sur cette base seulement, se rendre à l'étape suivante. On administre successivement des retours soniques musicaux, des musiques filtrées, des séances de voix maternelle filtrée dans les aigus, un défiltrage appelé " accouchement sonique ", des vocalises, des sifflantes, des textes et lectures. Cependant la durée de chaque phase et son contenu précis sont déterminés en s'appuyant sur les tests d'écoute successifs et l'évolution clinique du protagoniste. Selon les buts poursuivis et les caractéristiques individuelles, une telle progression peut largement être personnalisée. Une scientificité croissante aboutira à modifier, ou même à bouleverser, ce schéma devenu classique. On en arrivera vraisemblablement à proposer des cures très différentes selon le diagnostic psycho-somatique, psycho-dynamique et audiométrique de départ, et selon l'évolution du sujet. Il est remarquable que certains auteurs se soient affranchis de cette structure, pour proposer - non sans résultats - un autre protocole. Par exemple Isi Beller néglige presque complètement la phase passive de la cure (mais il semble qu'il y soit, depuis quelques années, revenu).

Lectures

Tomatis A., L'oreille et la voix

Sylvie Oussenko : L'Art Vocal

Roberta Prada : différents articles.

pour continuer : (Chapitre 8 de La Clef des Sons)

 

Google
  Web auriol.free.fr   


PsychosoniqueYogathérapiePsychanalyse & PsychothérapieDynamique des groupesEléments Personnels

© Copyright Bernard AURIOL (email : )

Lundi 23 juin 2014



[1] Communication personnelle (Février 2005)