(cette page est la suite de EMC-2)
![]() |
We are such stuff As dreams are made of, and our little life Is rounded with a sleep[1] (Shakespeare)
|
La transe correspond à un état modifié de la conscience[56]. Elle est connue depuis la nuit des âges et liée à une grande variété de contextes culturels et religieux. Il s'agit de franchir une limite, aller - pour en revenir - au pays de la mort, outrepasser les frontières du temps et du lieu, s'extrémiser au cours d'un voyage ou l'identité de soi se perd plus ou moins, au profit d'une divinité dont on devient la monture, qui se fait guide ou dont on se rend maître. Cet état est généralement intégré par la société dans le cadre de moments permissifs ou prescrits : processus d'initiation, sibylles institutionnelles, confréries mystiques, fêtes religieuses, danses sacrées[57], carnaval et chari-vari, expression corporelle et thérapie[58], etc...
Les caractéristiques psychophysiologiques de la transe dans les endroits où elle se pratique, sont encore mal connues; il s'agit plus d'un ensemble d'anecdotes que de l'appréhension des données scientifiques aptes à éclairer notre propos. Sur cette base, on peut cependant remarquer la parenté de la transe avec le rêve : un scénario[59] se crée, pour le sujet, au moment où il le vit, prend tous les caractères de la réalité, l'inscrit dans une nouvelle identité et le confronte à des dimensions psychiques de lui-même qu'il ne prévoyait pas et qu'il pourra même oublier à la fin du parcours.
A la différence de l'état de rêve, l'action n'est pas inhibée au cours de la transe ! La communication avec le groupe social, ou un de ses représentants, reste disponible. Le caractère fréquemment rituel, institutionnalisé et didactique de ces communications suggère qu'elles pourraient avoir une valeur fonctionnelle pour le groupe : mise à plat des tensions, re-équilibrage des excès, élicitation de percées créatives, etc... Rôle, encore une fois comparable à celui du rêve, mais dont l'efficacité concernerait plus le collectif que l'individuel...
|
Elle pose des problèmes quant à létat de conscience quelle met en jeu.
Selon lAssociation médicale britannique (1955) : « Lhypnose est un état passager dattention modifiée, état qui peut être produit par une autre personne et dans lequel divers phénomènes peuvent apparaître spontanément ou en réponse à des stimuli verbaux ou autres. Ces phénomènes comprennent un changement dans la conscience et la mémoire, une sensibilité accrue à la suggestion et lapparition chez le sujet de réponses et didées qui ne lui sont pas familières dans son état desprit habituel. En outre, des phénomènes comme lanesthésie, la paralysie, la rigidité musculaire et des modifications vasomotrices peuvent être, dans létat hypnotique, produits et supprimés. »
Lhypnose représente la forme la plus ancienne de la relation psychothérapique moderne. En 1784, un élève de Mesmer, le marquis de Puységur, décrivit le somnambulisme artificiel sans crise convulsive, qui permet une communication verbale avec le sujet. Il inaugura ainsi la thérapie par le langage. La psychanalyse sest édifiée en bonne partie sur létude et la critique de cette relation ; elle la, à son tour, rendue plus intelligible en permettant dentrevoir les lois qui la régissent.
La suggestibilité ne doit pas être confondue avec lhypnose quelle accompagne selon des doses variables. Il existe une forme de suggestion, qui est, selon Freud, « un fait fondamental de la vie psychique de lhomme ». Cette suggestion indirecte, non délibérée, émane du patient : « Un facteur dépendant de la disposition psychique du malade influence, sans aucune intention de notre part, le résultat de tout processus thérapeutique introduit par le médecin. » « Cette attente croyante », comme dit encore Freud, nest « ni dosable, ni contrôlable, ni intensifiable ». La relation comporte alors un élément archaïque non accessible à la verbalisation.
Ainsi doit-on doit mettre laccent sur la relation mère-nourrisson, saisie au stade pré-langagier. Mais on connaît la possibilité dobtenir lhypnose par une action sans transfert (auto-hypnose par exemple) ce qui met en valeur la réalité physiologique de létat hypnotique[60].
Certaines conditions sont généralement requises pour obtenir lhypnose :
« rapport » de confiance entre le médecin et le malade.
stimulations auditives par lopérateur qui répète des suggestions dune voix monotone « terpnos logos »;
fixation de lattention, soit par un objet visuel ou sonore, soit par un groupe didées
A titre subsidiaire, on peut ajouter :
diminution ou exclusion des stimulations extérieures ou au contraire débordement sensoriel (châteaux sonores)
position assise ou allongée (utile mais non indispensable)
Les théories physiologiques sont centrées sur les rapports entre le sommeil et lhypnose mais lassimilation de lhypnose au sommeil na pu être confirmée par des tracés électroencéphalographiques. Elle est qualifiée par les pavloviens de sommeil partiel. Il se crée artificiellement des « points vigiles » qui rendent possible la communication entre le sujet et lopérateur. Cet état de sommeil partiel, intermédiaire entre le sommeil et la veille, comporte des phases hypnoïdes, ou phases de suggestion, pendant lesquelles diverses modifications physiologiques, impossibles dans létat de veille, peuvent se produire. Cette description invite à ranger cet état, comme le fait François Roustang dans le cadre de léveil paradoxal
[
[ [
[
Non-Agir (repos) |
Agir |
|
E V E I L |
Eveil Paradoxal
|
Eveil Trivial
|
S O M M E I L |
Sommeil Trivial
|
Sommeil Paradoxal
|
Les quatre états de la conscience
Cest avec raison que lUniversalis écrit : « Une stricte hygiène de vie, créant des habitudes régulières, dans laquelle lactivité physique, la relaxation sont pratiquées avec persévérance ( ) sont des conditions nécessaires au traitement correct des insomnies. » Ainsi, le sommeil trivial nécessite-t-il, peu ou prou, une forme déveil paradoxal pour sinstaurer De même, le sommeil paradoxal ne survient quaprès un temps suffisant de sommeil trivial. Enfin une activité efficace au cours de léveil trivial nécessite certainement une préparation par une bonne nuit de sommeil, cest à dire, au final, par une provision suffisante de rêves qui lui fournisse le carburant du désir Léveil paradoxal lui-même nécessite pour sapprofondir une activité consciente préalable avec une mise en jeu de linteraction entre le sujet et son environnement, plus ou moins frustrant
Cest dire que les états de conscience sorganisent dans le temps sous forme de cycles denviron 24 heures pour lalternance veille-sommeil et de cycles denviron 90 minutes pour lalternance entre les quatre états de conscience.
De même qu'il existe des cycles de 90 minutes pendant le sommeil, il existe un comportement alimentaire spontané, périodes de pointes espacées de 90 en 90 minutes durant lesquelles des patients portent instinctivement la main à leur bouche, boivent une gorgée ou prennent une bouchée de n'importe quoi. (Ian Oswald et coll., CR in La Médecine Praticienne, 26°A, N°393, Mai 1970). |
La modalité triviale est tout dabord prépondérante puis la modalité paradoxale se renforce ; cest à dire que le dormeur rêve davantage en fin de nuit et lêtre éveillé éprouve dautant plus la nécessité de faire le vide que la nuit approche Grosso modo, il paraît souhaitable de dormir au moins sept heures (avec plus dune heure de sommeil paradoxal) et de bénéficier au cours de la journée de plus de trois heures de « détente[61] ».
En fait, passer de la veille au sommeil[62] suppose dabandonner l'organisation physiologique propre à la veille pour aller vers le type d'organisation caractérisant le sommeil. Entre les deux états trouve place un moment de « neutralité organisationnelle[63] » qui devrait logiquement survenir aussi quand on passe du sommeil profond au sommeil paradoxal ou du sommeil paradoxal à l'éveil.
Nous avons remarqué ailleurs qu'il semble exister un calcul neuro-physiologique non-conscient du temps (euchronie), d'une très grande précision, qui permet à certains dormeurs de programmer leur réveil à une heure arbitrairement choisie au moment de l'endormissement. Le même phénomène semble à l'oeuvre chez les personnes qui méditent : nombre d'entre elles arrêtent leur méditation, lorsque la durée fixée s'est écoulée, avec une très grande précision et sans avoir à regarder leur montre.
La sophrologie étudie la conscience humaine en partant de ses propres conceptions, définies par Caycedo. Il propose de distinguer les niveaux de conscience dune part, les états de conscience dautre part :
Dans cette perspective, l'être humain évolue :
· soit dans un état de conscience ordinaire, soi-disant « normale »
· ou bien, il renforce les éléments positifs de sa personnalité et accède progressivement à la conscience sophronique
· soit provisoirement ou définitivement dans un état de conscience pathologique (de la névrose à la psychose, sans oublier toutes les possibilités psychiatriques connues).
Il nous reste beaucoup à apprendre quant à l'éveil paradoxal. Les traditions qui l'ont cultivé et promu font état de différents niveaux, allant de l'éveil paradoxal basique que nous avons décrit, à des niveaux beaucoup plus sophistiqués, décrits comme "cinquième état de conscience", "mariage mystique", etc. Ils décrivent aussi des états différents (types particuliers de méditation, culture des siddhis, etc).
Une étude intéressante a étté publiée qui tente de décrire l'évolution des paramètres physiologiques de l'un de ces états particuliers. Voici le compte rendu qu'en a publié "Yahoo Actualités" :
La méditation agit sur le cerveau, selon une étude sur des moines tibétains. WASHINGTON samedi 6 novembre 2004, (AFP) - Une longue pratique de la méditation entraîne des modifications physiques dans le cerveau, selon une étude réalisée sur des moines boudistes qui doit être publiée lundi dans les annales de l'académie nationale des sciences américaine. L'équipe de chercheurs de l'université du Wisconsin à Madison a comparé un groupe de dix étudiants volontaires novices en méditation, âgés d'une vingtaine d'années, à des moines formés dans la tradition tibétaines ayant de dix mille à 50.000 heures de pratique dans cet exercice spirituel et dont l'âge médian est de 45 ans. Alors que les groupes pratiquaient une méditation visant à engendrer un état "de compassion et d'amour pour le prochain", les chercheurs ont constaté avec des électro-encéphalogrammes, "une très forte augmentation des ondes à haute fréquence gamma" chez les moines boudhistes alors que le changement a été modeste chez les étudiants. Ces ondes, dont on pense qu'elles signalent l'activité des neurones, les cellules nerveuses, sont associées à une activité mentale intense. L'activité mentale des moines a été dans tous les tests nettement plus intense que celle dans le groupe de novices. De plus, le groupe de chercheurs a observé le cerveau des sujets avec un système d'imagerie par résonance magnétique qui a également montré une activité nettement plus élevée chez les moines boudhistes que chez les étudiants. L'activité dans la partie préfrontale gauche du cortex cérébral, le siège des émotions positives, était intense chez les moines en méditation, submergeant l'activité de la partie droite de leur cortex, centre des émotions négatives et de l'anxiété. Les résultats de cette étude laissent penser que le cerveau comme le reste du corps pourrait être intentionnellement modifié physiologiquement tout comme l'exercice physique accroît le volume musculaire, ont estimé ces chercheurs. |
Les états de transe, de délire, les excès quant au niveau de vigilance (léthargie ou au contraire excitation ), les dysfonctionnements qui échangent la réalité de la veille pour le Réel du Délire et des Hallucinations propres au sommeil paradoxal, alors quen rêve le sujet retrouve la platitude du quotidien rationneln sont des exemples de conscience pathologique. Cependant, selon la valorisation spirituelle, artistique ou philosophique que le sujet et son environnement social promeut, on avoir à classer différemment certaines expériences phénoménologiquement identiques ! Par exemple une « hallucination » peut se reconvertir en « Vision inspirée », une léthargie en extase. Il est difficile de se prononcer sur de tels cas et personnellement, je trouve inaccessible à la raison et à la science le classement des Prophètes et des Messies (faux ou vrai)
La découverte du quatrième état de conscience (état sophroliminal, éveil paradoxal) constitue une avancée majeure car elle nous permet de construire un équilibre de vie de grande valeur en prenant conscience de la nécessité de se donner un temps quotidien suffisant déveil au repos.
Pour accéder au début de cet article, cliquez ici.
[56] « état modifié de la conscience » plutôt que « ASC » (« altered State of consciousness ») qui pourrait faire croire quil sagit détats pathologiques ou défectueux, alors que nous visons des états particuliers mais de nature le plus souvent « saine », « normale »
[57] quelles soient anciennes comme dans la culture africaine ou juive ou récentes comme dans le Buto japonais ou les essais de danse religieuse tentée par telle moniale catholique
[58] On pense évidemment à la transe-terpsichore-thérapie de Jacques et Alain Donnars
[59] ce terme est particulièrement adapté, dans la mesure où nombre de sujets, racontant leur rêve parlent du « film » (pour dire « rêve ») Tout film est un rêve préfabriqué !
[60] Nous nous référons pour lessentiel de ce passage à lexcellent article de lEncyclopædia Universalis, dont nous recommandons la lecture intégrale !
[61] détente aussi proche que possible de léveil paradoxal ! exercices physiques « doux » mais aussi sophronisation, relaxation, méditation, etc
[62] Cf. P. Etevenon, Du rêve à 1'éveil. Bases Physiologiques du sommeil, Albin Michel, 1987.
[63] Cultiver l'état d'éveil paradoxal peut conduire à « Turyia », état recherché par les mystiques indiens. Le sujet se place en position de neutralité et de témoignage permanent à légard de sa conscience. Cela a suggéré à certains la notion « dattention constante » dune façon qui peut se révéler extrêmement nuisible à léquilibre mental.