Les états de conscience modifiée (3)

ou Etats modifiés de Conscience (E.M.C., A.S.C.)

(cette page est la suite de EMC-2)

Dr Bernard Auriol

We are such stuff

As dreams are made of, and our little life

Is rounded with a sleep[1]

(Shakespeare)

 

 

 

Le problème de la Transe

La transe correspond à un état modifié de la conscience[56]. Elle est connue depuis la nuit des âges et liée à une grande variété de contextes culturels et religieux. Il s'agit de franchir une limite, aller - pour en revenir - au pays de la mort, outrepasser les frontières du temps et du lieu, s'extrémiser au cours d'un voyage ou l'identité de soi se perd plus ou moins, au profit d'une divinité dont on devient la monture, qui se fait guide ou dont on se rend maître. Cet état est généralement intégré par la société dans le cadre de moments permissifs ou prescrits : processus d'initiation, sibylles institutionnelles, confréries mystiques, fêtes religieuses, danses sacrées[57], carnaval et chari-vari, expression corporelle et thérapie[58], etc...

Les caractéristiques psychophysiologiques de la transe dans les endroits où elle se pratique, sont encore mal connues; il s'agit plus d'un ensemble d'anecdotes que de l'appréhension des données scientifiques aptes à éclairer notre propos. Sur cette base, on peut cependant remarquer la parenté de la transe avec le rêve : un scénario[59] se crée, pour le sujet, au moment où il le vit, prend tous les caractères de la réalité, l'inscrit dans une nouvelle identité et le confronte à des dimensions psychiques de lui-même qu'il ne prévoyait pas et qu'il pourra même oublier à la fin du parcours.

A la différence de l'état de rêve, l'action n'est pas inhibée au cours de la transe ! La communication avec le groupe social, ou un de ses représentants, reste disponible. Le caractère fréquemment rituel, institutionnalisé et didactique de ces communications suggère qu'elles pourraient avoir une valeur fonctionnelle pour le groupe : mise à plat des tensions, re-équilibrage des excès, élicitation de percées créatives, etc... Rôle, encore une fois comparable à celui du rêve, mais dont l'efficacité concernerait plus le collectif que l'individuel...


 

La transe hypnotique

Elle pose des problèmes quant à l’état de conscience qu’elle met en jeu.

Définition

 

Selon l’Association médicale britannique (1955) : « L’hypnose est un état passager d’attention modifiée, état qui peut être produit par une autre personne et dans lequel divers phénomènes peuvent apparaître spontanément ou en réponse à des stimuli verbaux ou autres. Ces phénomènes comprennent un changement dans la conscience et la mémoire, une sensibilité accrue à la suggestion et l’apparition chez le sujet de réponses et d’idées qui ne lui sont pas familières dans son état d’esprit habituel. En outre, des phénomènes comme l’anesthésie, la paralysie, la rigidité musculaire et des modifications vasomotrices peuvent être, dans l’état hypnotique, produits et supprimés. »

La relation entre l’hypnotiseur et l’hypnotisé

 

L’hypnose représente la forme la plus ancienne de la relation psychothérapique moderne. En 1784, un élève de Mesmer, le marquis de Puységur, décrivit le somnambulisme artificiel sans crise convulsive, qui permet une communication verbale avec le sujet. Il inaugura ainsi la thérapie par le langage. La psychanalyse s’est édifiée en bonne partie sur l’étude et la critique de cette relation ; elle l’a, à son tour, rendue plus intelligible en permettant d’entrevoir les lois qui la régissent.

La suggestibilité ne doit pas être confondue avec l’hypnose qu’elle accompagne selon des doses variables. Il existe une forme de suggestion, qui est, selon Freud, « un fait fondamental de la vie psychique de l’homme ». Cette suggestion indirecte, non délibérée, émane du patient : « Un facteur dépendant de la disposition psychique du malade influence, sans aucune intention de notre part, le résultat de tout processus thérapeutique introduit par le médecin. » « Cette attente croyante », comme dit encore Freud, n’est « ni dosable, ni contrôlable, ni intensifiable ». La relation comporte alors un élément archaïque non accessible à la verbalisation.

Ainsi doit-on doit mettre l’accent sur la relation mère-nourrisson, saisie au stade pré-langagier. Mais on connaît la possibilité d’obtenir l’hypnose par une action sans transfert (auto-hypnose par exemple) ce qui met en valeur la réalité physiologique de l’état hypnotique[60].

Physiologie de l’hypnose

 

Certaines conditions sont généralement requises pour obtenir l’hypnose :

        « rapport » de confiance entre le médecin et le malade.

        stimulations auditives par l’opérateur qui répète des suggestions d’une voix monotone « terpnos logos »;

        fixation de l’attention, soit par un objet visuel ou sonore, soit par un groupe d’idées

A titre subsidiaire, on peut ajouter :

        diminution ou exclusion des stimulations extérieures ou au contraire débordement sensoriel (châteaux sonores)

        position assise ou allongée (utile mais non indispensable)

Les théories physiologiques sont centrées sur les rapports entre le sommeil et l’hypnose mais l’assimilation de l’hypnose au sommeil n’a pu être confirmée par des tracés électroencéphalographiques. Elle est qualifiée par les pavloviens de sommeil partiel. Il se crée artificiellement des « points vigiles » qui rendent possible la communication entre le sujet et l’opérateur. Cet état de sommeil partiel, intermédiaire entre le sommeil et la veille, comporte des phases hypnoïdes, ou phases de suggestion, pendant lesquelles diverses modifications physiologiques, impossibles dans l’état de veille, peuvent se produire. Cette description invite à ranger cet état, comme le fait François Roustang dans le cadre de l’éveil paradoxal…

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Les états de la Conscience

 

Non-Agir (repos)

Agir

E

V

E

I

L

 
Eveil Paradoxal
  1. métabolisme très diminué
  2. besoins en oxygène diminués
  3. respiration très lente (phases d’apnée par diminution de la production de gaz carbonique et des besoins en oxygène )
  4. ralentissement et stabilisation du pouls 
  5. tonus des vaisseaux périphériques plutôt diminué, égalisé pour les différentes zones.
  6. diminution de la Tension Artérielle
  7. tonus localisé limité au maintien de la posture
  8. Immobilité (parfois soubresauts)
  9. EEG à alpha et thêta dominants
  10. Interactions intéro-internes synchronisantes (vide mental)
  11. stabilisation hormonale
  12. Unification et simplification psychologique par abandon d’informations. Intuition, intégration globale, distanciation, tolérance accrue à la frustration.
  13. état ou domine la jouissance
 
Eveil Trivial
  1. métabolisme très actif
  2. besoins en oxygène très augmentés
  3. respiration courte, rapide et très variée
  4. accélération et déstabilisation du pouls 
  5. tonus des vaisseaux périphériques plus élevé, varié selon les zones au travail
  6. augmentation de la Tension Artérielle
  7. tonus global d'action
  8. Mouvements orientés vers un but.
  9. EEG à bêta dominant
  10. Interactions intéro-externes désynchronisantes (perceptivité, activité)
  11. variations hormonales
  12. Processus variés focalisés par l’action en cours, complexification par apport d’informations. Effort, combat, lutte pour la vie
  13. état où domine la satisfaction.

S

O

M

M

E

I

L

 
Sommeil Trivial
  1. métabolisme faible
  2. besoins en oxygène diminués
  3. respiration lente et régulière caractéristique
  4. ralentissement et stabilisation du pouls
  5. tonus des vaisseaux périphériques plutôt diminué, égalisé pour les différentes zones.
  6. diminution de la Tension Artérielle
  7. Tonus musculaire diminué
  8. Immobilité globale
  9. EEGà delta dominant
  10. Interactions cortico-viscérales synchronisantes, Processus d’harmonisation organique
  11. stabilisation hormonale ?
  12. Pensée logico-pratique et remise à plus tard
  13. état où domine le besoin
 
Sommeil Paradoxal
  1. métabolisme actif
  2. besoins en oxygène augmentés
  3. respiration d’amplitude variable
  4. pouls variable
  5. tonus vasculaire ?
  6. Tension artérielle ?
  7.  Tonus musculaire extrêmement diminué
  8. Mouvements rapides des yeux
  9. EEGà bêta dominant
  10. communications cortico-corticales désynchronisantes. Processus focalisé endogène
  11. sympathicotonie sexuelle
  12. renforcement des motivations, enrichissement des perspectives, séquences de représentations
  13. état où domine le désir

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 Les quatre états de la conscience

Le cycle des états de conscience

C’est avec raison que l’Universalis écrit : « Une stricte hygiène de vie, créant des habitudes régulières, dans laquelle l’activité physique, la relaxation sont pratiquées avec persévérance (…) sont des conditions nécessaires au traitement correct des insomnies. » Ainsi, le sommeil trivial nécessite-t-il, peu ou prou, une forme d’éveil paradoxal pour s’instaurer… De même, le sommeil paradoxal ne survient qu’après un temps suffisant de sommeil trivial. Enfin une activité efficace au cours de l’éveil trivial nécessite certainement une préparation par une bonne nuit de sommeil, c’est à dire, au final, par une provision suffisante de rêves qui lui fournisse le carburant du désir… L’éveil paradoxal lui-même nécessite pour s’approfondir une activité consciente préalable avec une mise en jeu de l’interaction entre le sujet et son environnement, plus ou moins frustrant…

 

C’est dire que les états de conscience s’organisent dans le temps sous forme de cycles d’environ 24 heures pour l’alternance veille-sommeil et de cycles d’environ 90 minutes pour l’alternance entre les quatre états de conscience.

 

De même qu'il existe des cycles de 90 minutes pendant le sommeil, il existe un comportement alimentaire spontané, périodes de pointes espacées de 90 en 90 minutes durant lesquelles des patients portent instinctivement la main à leur bouche, boivent une gorgée ou prennent une bouchée de n'importe quoi.

(Ian Oswald et coll., CR in La Médecine Praticienne, 26°A, N°393, Mai 1970).

 

 

La modalité triviale est tout d’abord prépondérante puis la modalité paradoxale se renforce ; c’est à dire que le dormeur rêve davantage en fin de nuit et l’être éveillé éprouve d’autant plus la nécessité de faire le vide que la nuit approche… Grosso modo, il paraît souhaitable de dormir au moins sept heures (avec plus d’une heure de sommeil paradoxal) et de bénéficier au cours de la journée de plus de trois heures de « détente[61] ».

En fait, passer de la veille au sommeil[62] suppose d’abandonner l'organisation physiologique propre à la veille pour aller vers le type d'organisation caractérisant le sommeil. Entre les deux états trouve place un moment de « neutralité organisationnelle[63] » qui devrait logiquement survenir aussi  quand on passe du sommeil profond au sommeil paradoxal ou du sommeil paradoxal à l'éveil.

 

Nous avons remarqué ailleurs qu'il semble exister un calcul neuro-physiologique non-conscient du temps (euchronie), d'une très grande précision, qui permet à certains dormeurs de programmer leur réveil à une heure arbitrairement choisie au moment de l'endormissement. Le même phénomène semble à l'oeuvre chez les personnes qui méditent : nombre d'entre elles arrêtent leur méditation, lorsque la durée fixée s'est écoulée, avec une très grande précision et sans avoir à regarder leur montre.

Point de vue plus spécifiquement sophrologique

La sophrologie étudie la conscience humaine en partant de ses propres conceptions, définies par Caycedo. Il propose de distinguer les niveaux de conscience d’une part, les états de conscience d’autre part :

Dans cette perspective, l'être humain évolue :

·         soit dans un état de conscience ordinaire, soi-disant  « normale »

·         ou bien, il renforce les éléments positifs de sa personnalité et accède progressivement à la conscience sophronique

·         soit provisoirement ou définitivement dans un état de conscience pathologique (de la névrose à la psychose, sans oublier toutes les possibilités psychiatriques connues).

Remarques sur les états développés d'éveil paradoxal

Il nous reste beaucoup à apprendre quant à l'éveil paradoxal. Les traditions qui l'ont cultivé et promu font état de différents niveaux, allant de l'éveil paradoxal basique que nous avons décrit, à des niveaux beaucoup plus sophistiqués, décrits comme "cinquième état de conscience", "mariage mystique", etc. Ils décrivent aussi des états différents (types particuliers de méditation, culture des siddhis, etc).

Une étude intéressante a étté publiée qui tente de décrire l'évolution des paramètres physiologiques de l'un de ces états particuliers. Voici le compte rendu qu'en a publié "Yahoo Actualités" :


La méditation agit sur le cerveau, selon une étude sur des moines tibétains.

WASHINGTON samedi 6 novembre 2004, (AFP) - Une longue pratique de la méditation entraîne des modifications physiques dans le cerveau, selon une étude réalisée sur des moines boudistes qui doit être publiée lundi dans les annales de l'académie nationale des sciences américaine.

L'équipe de chercheurs de l'université du Wisconsin à Madison a comparé un groupe de dix étudiants volontaires novices en méditation, âgés d'une vingtaine d'années, à des moines formés dans la tradition tibétaines ayant de dix mille à 50.000 heures de pratique dans cet exercice spirituel et dont l'âge médian est de 45 ans.

Alors que les groupes pratiquaient une méditation visant à engendrer un état "de compassion et d'amour pour le prochain", les chercheurs ont constaté avec des électro-encéphalogrammes, "une très forte augmentation des ondes à haute fréquence gamma" chez les moines boudhistes alors que le changement a été modeste chez les étudiants.

Ces ondes, dont on pense qu'elles signalent l'activité des neurones, les cellules nerveuses, sont associées à une activité mentale intense.

L'activité mentale des moines a été dans tous les tests nettement plus intense que celle dans le groupe de novices.

De plus, le groupe de chercheurs a observé le cerveau des sujets avec un système d'imagerie par résonance magnétique qui a également montré une activité nettement plus élevée chez les moines boudhistes que chez les étudiants.

L'activité dans la partie préfrontale gauche du cortex cérébral, le siège des émotions positives, était intense chez les moines en méditation, submergeant l'activité de la partie droite de leur cortex, centre des émotions négatives et de l'anxiété.

Les résultats de cette étude laissent penser que le cerveau comme le reste du corps pourrait être intentionnellement modifié physiologiquement tout comme l'exercice physique accroît le volume musculaire, ont estimé ces chercheurs.

 

Les états de conscience pathologiques

Les états de transe, de délire, les excès quant au niveau de vigilance (léthargie ou au contraire excitation ), les dysfonctionnements qui échangent la réalité de la veille pour le Réel du Délire et des Hallucinations propres au sommeil paradoxal, alors qu’en rêve le sujet retrouve la platitude du quotidien rationneln sont des exemples de conscience pathologique. Cependant, selon la valorisation spirituelle, artistique ou philosophique que le sujet et son environnement social promeut, on avoir à classer différemment certaines expériences phénoménologiquement identiques ! Par exemple une « hallucination » peut se reconvertir en « Vision inspirée », une léthargie en extase. Il est difficile de se prononcer sur de tels cas et personnellement, je trouve inaccessible à la raison et à la science le classement des Prophètes et des Messies (faux ou vrai) …

Conclusion

 

La découverte du quatrième état de conscience (état sophroliminal, éveil paradoxal) constitue une avancée majeure car elle nous permet de construire un équilibre de vie de grande valeur en prenant conscience de la nécessité de se donner un temps quotidien suffisant d’éveil au repos.

 

Pour accéder au début de cet article, cliquez ici.

Bibliographie

  1. Nous avons fait de larges emprunts à divers articles de l’Encyclopædia Universalis (éd.1995)
  2. Ainsi qu’à la Britannica (version CD-Rom - 1997 et version Web - 2000)
  3. Pierre Commelin, Mythologie grecque et romaine, Éditions Garnier et Frères, Paris, 1960
  4. Hennevin-Dubois E., Comment dormir vient aux bébés, La Recherche, HS N°3, Avril 2000, pp.14-17.
  5. Horne Jim, Why We S – The Functions of Sleep in Humans and other Mammals, Oxford University Press, 1988.
  6. Horne Jim, Variations sur la fonction du sommeil, La Recherche, HS N°3, Avril 2000, pp.8-11.
  7. Tobler Irène, Le sommeil a-t-il besoin du système nerveux central ?, La Recherche, HS N°3, Avril 2000, pp.12-13.


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Psychosonique Yogathérapie Psychanalyse & Psychothérapie Dynamique des groupes Eléments Personnels

© Copyright Bernard AURIOL (email : )

14 Juillet 2005


 

[56] « état modifié de la conscience » plutôt que « ASC » (« altered State of consciousness ») qui pourrait faire croire qu’il s’agit d’états pathologiques ou défectueux, alors que nous visons des états particuliers mais de nature le plus souvent « saine », « normale »…

[57] qu’elles soient anciennes comme dans la culture africaine ou juive ou récentes comme dans le Buto japonais ou les essais de danse religieuse tentée par telle moniale catholique…

[58] On pense évidemment à la transe-terpsichore-thérapie de Jacques et Alain Donnars…

[59] ce terme est particulièrement adapté, dans la mesure où nombre de sujets, racontant leur rêve parlent du « film » (pour dire « rêve »)… Tout film est un rêve préfabriqué !

[60] Nous nous référons pour l’essentiel de ce passage à l’excellent article de l’Encyclopædia Universalis, dont nous recommandons la lecture intégrale !

[61] détente aussi proche que possible de l’éveil paradoxal ! exercices physiques « doux » mais aussi sophronisation, relaxation, méditation, etc…

[62] Cf. P. Etevenon, Du rêve à 1'éveil. Bases Physiologiques du sommeil, Albin Michel, 1987.

[63] Cultiver l'état d'éveil paradoxal peut conduire à « Turyia », état recherché par les mystiques indiens. Le sujet se place en position de neutralité et de témoignage permanent à l’égard de sa conscience. Cela a suggéré à certains la notion « d’attention constante » d’une façon qui peut se révéler extrêmement nuisible à l’équilibre mental.