Les arts Martiaux : Origine et paradoxe

 

Melissa PIZARRO-GONZALES , Fabien DELLA MAESTRA , Elodie BOUAZZA

et Elsa MOREL-CIVERA

 


1-Des origines lointaines et mystérieuses :

Le paradoxe entre combat et paix spirituelle est extrêmement ancien puisqu’il remonte à l’an 3000 avant J.C.. A cette époque ont eu lieu toute une série de migrations successives des tribus aryennes, originaires de la péninsule du Caucase. Ces tribus sont allées, à des époques différentes, jusqu’en Irlande et en Inde. Il s’agissait de peuples guerriers, nomades, mangeurs de viande rouge, fiers de leur propre généalogie, rudes, combattant habiles et instinctifs. Nous pouvons les identifier avec la force masculine yang dans le symbole du tao. Au cours de leur migration, ils sont entrer en contact avec la civilisation qui s’est développée dans la vallée de l’Indus. Celle-ci vénérait la divinité féminine Kali qui n’attribuait aucune valeur à la guerre et à l’héroïsme. Les populations conquises pratiquaient la non-violence et l’ascétisme. Elles avaient développé des techniques psychophysiques semblables au yoga et, contrairement aux conquérants, se nourrissaient d’une alimentation essentiellement végétarienne. Ces notions, que nous pouvons identifier à l’énergie féminine yin, furent, dans un premier temps, écrasées par la nouvelle culture des guerriers. Toutefois, le temps passant, les éléments fondamentaux de ces deux traditions se sont fondues en un système harmonieux.

Les formes d’arts martiaux les plus anciennes semblent être originaires de cette région précisément. Ils pratiquaient une forme de combat appelé vitaramuki (terme signifiant : « homme dont le point est fermé en forme de diamant ») qui présente des analogies avec le karaté, qu’aucun adepte ne pourrait nier (ne serait-ce qu’à cause du nom…).


publicité non évaluée par le Dr Bernard Auriol

Les symboles du pa-kua :

Il s’agit d’un symbole, formé de trois lignes, appelé pa-kua et utilisé dans l’art de la divination. La discipline des pa-kua est extrêmement simple et se base sur l’ensemble formé par l’opposition entre l’énergie positive et négative, entre ligne droite et brisée et entre ombre et lumière. L’énergie féminine passive (yin) est représentée par une ligne brisée alors que sont opposé (yang) est la forme masculine qui s’identifie à une ligne droite. L’harmonie des énergies opposées représente celle de l’univers.

Cet art atteint sont apogée aux environs de 550 avant J.C., grâce aux études du maître Kongfuzi (Confucius) qui accomplit une étude approfondie du pa-kua. Presque à la même époque, Lao-tseu, partant des mêmes bases, a élaboré la discipline du taoïsme, dont l’objectif est de comprendre l’harmonie de la nature. Le taoïsme repose sur le « tao » qui signifie voie, chemin, que chacun possède et dont il appartient à chacun de découvrir ce qu’il peut apporter :liberté, bonheur, longévité, éternité… D’autre part, la vertu du taoïsme réside, d’après Lao-Tseu, dans la capacité de combattre la dureté par la souplesse, ce qui peut être rapproché à la pensée de Gandhi qui affirmait que, contrairement à la résistance passive qui est l’arme des faibles, le rejet de l’emploi de la violence est conçu pour être l’arme du plus fort : « la recherche de la vérité n’admettait point que l’on eût recourt à la violence contre son adversaire et il fallait arriver à le tirer de l’erreur par la patience et la sympathie. » Philosophie qui est également proche de celle de Socrate qui privilégiait le dialogue aux actes de conversion violents.

Le confucianisme et le taoïsme sont importants, non seulement pour comprendre la spiritualité orientale mais également pour appréhender l’évolution des arts martiaux. Par ailleurs, même les formes externes apparemment les plus violentes des arts martiaux orientaux ont des liens spirituels avec le taoïsme et le confucianisme.

Ces écoles spirituelles partagent des caractéristiques importantes avec les arts martiaux chinois : selon leur enseignement, les maîtres de combat, tout comme les sages, se doivent de faire preuve d’une grande rectitude morale et de rechercher en permanence l’harmonie entre les forces positives et négatives de la nature.

Bodhidharma et Shaolin :

Que ce soit dans la doctrine taoïste ou bien bouddhiste, la vertu morale recherchée ne peut s’atteindre que par de long exercices de méditation. Ainsi, lorsque le moine indien Bodhidharma fonda sa secte « chan » (le « zen » au Japon) au monastère de Shaolin, en Chine, il se rendit compte que ses disciples n’étaient pas en mesure de se concentrer et de se livrer aux longues séances de méditation prônées par sa doctrine. Celle-ci repose sur la conviction que le développement spirituel et l’accès à l’illumination ne sont pas possible si l’on ignore son propre corps. Bodhidharma décida donc de renforcer la résistance physique de ses disciples d’une part grâce à une position du corps et une respiration correcte, et d’autre part grâce à des technique de combat, destinée à se défendre des brigands (dont certaines postures étaient imitées des animaux comme la grue, le tigre, l’ours, le singe, le léopard…). Ainsi naquit, au VIIe siècle, la fameuse boxe de Shaolin, technique de combat la plus rapide au monde, dont est issu le Karaté.

Les Shaolin étaient donc capables d’enseigner une discipline fondée sur de solides principes moraux en promettant l’illumination sur terre, à condition d’abandonner tout désir matériel. Cette philosophie est comparable à celle des Stoïciens qui s’efforçaient d’ignorer la douleur, d’accepter la mort et de n’attacher aucune importance à leurs biens matériels, à la différence que les Shaolin admettaient aussi la possibilité de se défendre par la force, si nécessaire.

 


2-La légende du Japon :

 

Le lien entre les valeurs martiales, la religion et le mythe revêtent une importance fondamentale dans le monde des samouraïs. Le mythe de l’origine divine est le pivot de l’ascension de la classe militaire japonaise. L’archipel Nihon-No, lui-même, c’est-à-dire le Japon, est né d’un acte divin. La divinité Izanagi a projeté sa lance depuis le Pont du Ciel, jusqu’aux profondeurs de l’océan, pour montrer son habileté à son demi-frère Izanami. Lorsqu’il retira sa lance, des gouttes tombèrent de la pointe et se coagulèrent, donnant naissance aux îles de l’archipel du Japon. Le shintoïsme, la religion des kami (les dieux primordiaux), est la première forme de spiritualité japonaise. Il subsistera après l’introduction des disciplines bouddhistes, provenant de la Chine. Les principes philosophiques issus de l’Asie ont évolués et se sont transformés en une tradition mythique, ce qui a donné une culture nouvelle pour laquelle les valeurs martiales revêtirent une importance prédominante.

Le meilleur des hommes est le guerrier :

Un ancien dicton japonais dit : « Hana wa sakura gi / hito wa bushi » ce qui signifie : « La meilleure des fleurs est la fleur du cerisier / le meilleur des hommes est le guerrier ». Le parallèle entre la fleur de cerisier et le guerrier japonais est particulièrement évocateur de la vision philosophique japonaise. La fleur de cerisier est considérée comme la meilleure des fleurs pas uniquement d’un point de vue esthétique. Il s’agit d’une fleur dont la vie ne dure que trois jours, destinée à périr au moment de son épanouissement total. De même, le bushi, le guerrier, réalise pleinement son existence uniquement au moment qui précède le sacrifice ultime.

 Au départ, les guerriers pratiquaient le bu-jitsu, qui n’étaient pas des disciplines sportives et dans lesquelles l’on enseignait guère de principes philosophiques étrangers au duel. Mais durant les périodes de paix, les guerriers furent amenés à s’interroger sur leur position dans le monde et sur la nécessité réelle d’être un simple instrument dans les mains du pouvoir. C’est ainsi que l’on passa du bu-jitsu au budo qui prévoit l’étroite corrélation entre la pratique du combat et le développement spirituel.

 

3-Les samouraïs :

 

Le terme « samouraï » a été adopté conventionnellement pour indiquer non seulement le guerrier japonais dans son sens le plus large, mais aussi le pratiquant d’art martiaux en général, quelle que soit son appartenance sociale. Il sous-entend un rapport de « services et de fidélité » envers son supérieur direct : souvent, par exemple, il arrivait qu’un samouraï se fasse tuer sur un champ de bataille en endossant la cuirasse et en portant l’étendard de son supérieur, dont il prenait la place pour lui permettre de fuir.

L’engagement à servir fidèlement son maître était inscrit sur un parchemin, avec un pinceau imbibé du sang du samouraï. Par la suite le parchemin était brûlé face aux divinités protectrices du clan, les cendres étaient dissoutes dans de l’eau et avalées par le nouvel affilié. Il ne restait donc aucune trace de son engagement si ce n’est la conscience d’avoir contracté une dette qu’il devait honorer. Ce rituel renferme toute l’essence du giri (« devoir »).

 

Les ronin : samouraïs sans maître :

Les ronin, dont le nom signifie « hommes vagues »,ce qui rend parfaitement le sentiment d’incertitude et le manque de stabilité caractéristique de leur condition, ne constituaient pas un phénomène nouveau. Mais la figure du « samouraï sans maître » acquit une importance particulière pendant l’époque de Tokugawa avec la dissolution des armées et le démantèlement des clans. Ils avaient le droit de porter le sabre mais ils étaient considérés comme un danger à la fois par leurs ex-camarades et par le peuple. En effet, le ronin errant considérait avec un égal mépris à la fois les samouraïs qui étaient au service d’un maître et les paysans. Mais il était contraint, par sa situation, de développer une discipline morale qui a inspiré l’image classique du guerrier japonais tel que nous l’imaginons en Occident.

Les ronin et l’évolution des arts martiaux :

Indéniablement, les ronin ont eu un rôle fondamental dans le développement du bu-jitsu. En effet, ils étaient contraints d’affronter seuls toute une série de pièges et de situations diverses qui imposaient des changements continus de stratégies et des expérimentations destinées à la recherche d’une efficacité maximale. Parallèlement, la doctrine zen, mise en œuvre grâce à une pratique continue des arts martiaux, permettait d’affronter la solitude et la conscience de se trouver sur un territoire hostile. Plus que jamais, ces arts martiaux constituaient une règle de vie. Ils étaient soumis à d’incessantes vérifications sur le terrain dont l’efficacité était indéniable ce qui a permis à ces guerriers de développer les arts martiaux d’une manière beaucoup plus stimulante qu’il ne l’auraient fait dans un affrontement de masse. On peut se demander si cette excellence technique et cette position psychologique favorable aux combats étaient associées à un code moral. Quoi qu’il en soit, de toute évidence, le zen s’adaptait parfaitement à l’exigence d’hommes qui, par choix et par nécessité, devaient toujours regarder la mort en face.

Le bushido, le zen et la philosophie des samouraïs :

Le bushido, « la voie du samouraï », était un code de comportement non écrit mais extrêmement strict. En réalité, il n’était pas nécessaire d’énoncer de préceptes, car le bushido était l’expression d’une culture dont les valeurs étaient enseignées aux jeunes samouraïs, dès les premiers jours de leur apprentissage, avec une insistance quasiment maniaque. Les règles les plus importantes du bushido, exprimant la culture martiale et la réalité de l’époque où il s’est développé, sont au nombre de deux. La première, l’obligation de servir le maître, peut s’appliquer assez difficilement aux ronin. Ceux-ci, bien que n’étant pas liés par l’obligation d’accepter le sacrifice ultime, étaient toutefois bien conscients de ce précepte fondamental de la classe militaire. Par ailleurs, ils se trouvaient tous les jours confrontés au problème posé par le deuxième principe : l’acceptation sereine de la mort, liée au giri, bien entendu, mais allant bien au-delà. Tout comme le samouraï, le ronin était bien conscient qu’il pouvait perdre la vie à tout moment. Il était par conséquent nécessaire que le guerrier professionnel trouve une base philosophique grâce à laquelle il pourrait développer une spiritualité l’aidant dans sa vie quotidienne. A cet égard, il n’aurait pas pu trouver meilleur instrument que le zen. L’école de méditation zen ne se limite pas aux disciplines de combat, même si selon la légende, elle est étroitement liée à la tradition martiale de Shaolin. Le zen est une voie qui mène à l’illumination et qui est basée sur la réalisation de soi et l’éveil de la conscience. Par la pratique d’une discipline (qui peut être la poésie, l’art de la disposition des fleurs, la calligraphie ou la préparation du thé), le disciple zen se dépouille de tout désir terrestre, accomplissant une série d’acte, répétés rituellement. Avec l’abandon des besoins matériels (la cause première de l’obscurcissement de l’âme), le disciple parvient au satori, l’illumination, qui lui permet de trouver sa juste place dans le grand paysage de l’univers. La pratique d’un art de combat est, à l’origine, uniquement liée à la quête du satori.

« Le samouraï doit apprendre une seule chose : affronter la mort avec fermeté. »

Une disposition de l’esprit qui ne laisse pas de place pour l’hésitation ou pour la peur et un vide mental qui consiste à ne pas se préoccuper de sa propre sécurité sont les caractéristiques de l’état d’âme nécessaire à la survie victorieuse dans un duel. Un célèbre maître de Karaté, interrogé sur le principe de base de l’autodéfense, répondit : « Celui qui hésite méditera étendu au sol. »Mais il ne faut pas considérer le mépris pour le danger comme une recherche stupide de la mort.

 

Un autre aspect fondamental de la formation spirituelle du guerrier est la capacité à « deviner » l’habileté d’un adversaire et donc la présence d’un danger, ainsi que la capacité de choisir une stratégie appropriée et le bon moment pour frapper. Elles reposent sur le développement du ki : centre d’énergie, qui permet de supporter la douleur et la souffrance et de renforcer sa volonté pour atteindre les limites de l’humain.

 

4-L’art de combattre sans combattre :

 

Anecdote de Tsukahara Bokuden :

Voyageant sur un bateau, il rencontra un ronin errant, désireux de prouver sa valeur à tout prix. Lorsque ce personnage arrogant lui demanda quelle était sa spécialité, Bokuden répondit simplement : « L’art de combattre sans combattre ». Le jeune homme interpréta alors cette réponse comme une offense (ce qu’elle était, d’une manière subtile). Il insista pour avoir une démonstration immédiate de cette technique, sûrement prodigieuse. Bokuden, avec la sagesse du vétéran sûr de lui, accepta, proposant une petite plage voisine comme lieu d’affrontement. Bouillant du désir de dégainer son sabre, le ronin se laissa attirer sur une barque dont Bokuden largua les amarres, sans y monter. Le jeune sabreur se retrouva donc à la dérive, « battu » par l’art de combattre sans combattre. Cet épisode, caractérisé par une ironie typique du zen, est une preuve de la manière dont l’exercice des arts martiaux développait la capacité de déterminer s’il valait la peine ou non de s’engager dans un duel et permettait d’éviter les affrontements inutiles.

 

La philosophie du samouraï équivalait-elle à un code moral ou éthique ? Non, certainement pas d’un point de vue de la philosophie occidentale. Certes le confucianisme et le bouddhisme avaient pénétré la culture japonaise, mais le zen, tel qu’il était interprété par les bushi, ne tenait compte d’aucune norme éthique autre que celle contenue par le giri, c’est-à-dire le devoir. Il est difficile de juger les samouraïs et la discipline des arts martiaux selon des paramètres modernes occidentaux.

Les arts martiaux sont le miroir de la société dans laquelle il se développent. Au temps des samouraïs, c’était une technique étudiée pour obtenir la victoire dans un combat mortel. Leur philosophie était fortement influencée par la nécessité de développer un état d’âme permettant la survie à tout prix. C’est une attitude qui peut nous sembler impitoyable ou même amorale mais qui était parfaitement conforme aux exigences de l’époque. D’autre part, cela ne signifiait absolument pas que les arts martiaux formaient des hommes inutilement violents ou, a contrario, sages et très respectueux de leurs prochains. La méchanceté et la générosité sont des caractéristiques innées chez l’homme qui peut les développer ou les étouffer. Parmi les samouraïs il y avait donc des hommes justes et des hommes violents, des fous et des sages. La capacité de survivre, de tuer son ennemi de mille manières différentes ou de l’épargner ne constituait qu’un vernis qui recouvrait, sans les annuler, les tendances personnelles. Cela était vrai alors et le reste aujourd’hui.

Cependant de nos jours, la nécessité de survie n’est plus l’élément le plus important des arts martiaux puisque le contexte ne l’exige plus. Tout les arts martiaux, dont le Karaté, ont subit cette évolution qui les a progressivement transformées en disciplines sportives.

 

Glossaire minimal du karate

 

 

Google
  Web auriol.free.fr   


Psychosonique Yogathérapie Psychanalyse & Psychothérapie Dynamique des groupes Eléments Personnels

© Copyright Bernard AURIOL (email : )

6 Mars 2006