Après avoir décrit la réalité de l'espace psychique
au moyen de sa composante sonore, nous nous proposons de décrire celle-là dans
tous ses plans et avec ses objets, tout en tenant compte des principes du structuralisme
qui nous ont guidés, en considérant l'espace psychique comme hiérarchisé et vectorisé haut-bas, le
bas symbolisant sur le plan temporel : le début de la vie du sujet, le haut :
le devenir, l’anticipation , le futur.
Ces positions
sont aussi celles de deux traditions qui se sont intéressées au monde sonore
et qui se sont penchées sur la conceptualisation effective de la structure du
sujet selon des lignes de forces que nous décrirons sommairement. Dans la bassin
méditerranéen, il s'agit de la Kabbale hébraïque, issue
de la mystique juive, et dans la tradition indo-aryenne, du tantrisme, (tantra
signifie trame). Dans le structuralisme, Claude Lévi-Strauss (1958) appréhende
l'espace du mythe qui fonde l'espace psychique, au moyen du système binaire
où les couples d'opposés subissent une série de transformations qui permettent
l'élucidation d'une conduite, d'une filiation, d'une origine (par exemple le
cycle feu - tabac - viande chez les Bororos), l'ensemble des oppositions se
déroulant de façon cyclique ou bien selon un axe haut-bas du sujet, métaphoriquement ciel-terre. (Au bas
sont dévolus les éléments d’ordres matériels, concrets, automatiques, au haut
les éléments d’ordre plus abstraits et spirituels). Dans sa remarquable analyse
du mythe d'Œdipe, par la disposition des "mythèmes" (éléments constitutifs
du mythe recueillis à travers toutes les cultures), envisagés "comme une
série mélodique continue et qu'on chercherait à restituer dans son arrangement
initial", nous remarquons la disposition des éléments du mythe en quatre
colonnes :
Cadmos cherche sa sœur Europe, ravie par Zeus |
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Les Spartoï s’exterminent mutuellement [1] |
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Labdacos (père de Laïos) = « boiteux »Laïos (père d’Œdipe) = « gauche » |
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Œdipe tue son père Laoïs |
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Œdipe immole le Sphinx |
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Œdipe = « pied enflé » |
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Œdipe épouse Jocaste, sa mère |
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Etéocle tue son frère Polynice |
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Antigone enterre Polynice, son frère, violant l’interdiction |
Disposition des mythèmes concernant le mythe d’Œdipe
(Claude Lévi-Strauss, Anthropologie
structurale, Plon 1974)
-
Dans la colonne 1, les rapports
de parenté sont exagérés ;
-
Dans la colonne 2, les rapports
de parenté sont sous-estimés ;
-
La colonne 3 concerne les monstres
et leur destruction par l’homme pour que les hommes puissent naître. Dans la tradition
archaïque le sphinx est un monstre femelle
chtonien ; auto-chtonie associe les termes « autos » : elle-même
et « chhton » : la
terre : naissance à partir de la terre elle même, et par analogie de la
mère seule, mais le monstre étant tué cette autochtonie est niée. Elle est cependant
vacillante comme l’atteste la colonne suivante :
-
La colonne 4 énonce, outre les noms
propres de la lignée paternelle d'Œdipe, la difficulté, pour les individus (ou
les monstres chtoniens), lorsqu'ils sortent de la terre, de marcher droit (persistance
de l'autochtonie) :il y a boiterie, « problème de pied »
pour cette lignée, que nous expliciterons ultérieurement.
Le mythe d'Œdipe exprimerait pour une société le fait de résoudre le problème de l'origine, c'est-à-dire : naît-on d'un seul (autochtonie, terre-mère) ou naît-on de deux ? (reproduction bisexuée ): le même naît-il du même ou de deux ? C. Lévi-Strauss souligne le passage "du pied à la tête" qui apparaît en corrélation significative avec un autre passage, celui de « l'autochtonie niée (naissance de deux parents) à la destruction de soi ». Nous proposons de situer ces notations dans l'approche des plans de l'être que nous ferons en dernier et sur un mode synthétique, en suivant ce cheminement du "pied à la tête" qui nous montre que toutes les instances du sujet sont intéressées dans ce mythe.
|
Nous nous permettons de souligner deux remarques que
l'auteur émet dans le domaine scientifique et qui nous paraissent avoir leur
importance sur le plan épistémologique, car en affinité avec les éléments de
notre mémoire, sur le versant langagier. Explicitant les rapports entre langage
et parenté, dans le premier tome de L'Anthropologie structurale, notamment à propos du continuum des lignées,
C. Lévi-Strauss signale, page 40, l'importance de la phonologie qui a renouvelé
les perspectives linguistiques. Citant Troubeskoy, il retient quatre démarches
fondamentales : en premier lieu, « la phonologie passe de l'étude des phénomènes
linguistiques conscients à celles de l'infrastructure inconsciente. Elle refuse
de traiter les termes comme des entités indépendantes, prenant au contraire
comme base de son analyse les relations
entre les termes ; elle introduit la notion de système. Enfin, elle vise à la
découverte des lois générales qui sont trouvées par induction ».
Ainsi, dans une perspective nouvelle, « …comme les phonèmes,
les termes de parentés sont des éléments de signification ; comme eux ils n'acquièrent
cette signification qu'à la condition de s'intégrer en systèmes ; les systèmes
de parenté, comme les systèmes phonologiques, sont élaborés par l'esprit à l'étage
de la pensée inconsciente… Le problème peut donc se formuler de la façon suivante
: dans un autre ordre de réalité, les phénomènes de parenté sont des phénomènes
de même type que les phénomènes linguistiques ». A la page 104, relativisant
le principe saussurien de l'arbitraire du signe, et cherchant à étayer les phénomènes
psycho-phonétiques, il fait référence à ce que l'on nomme sous
le vocable de "synesthésie", un phénomène éprouvé pratiquement par
tous les enfants et nombre d'adultes, où sont associés spontanément les sons
du langage ou de la musique à des couleurs ou à des formes, comme en témoigne
le compositeur Olivier Messiaen ; « Bien que les couleurs associées ne soient
pas toujours les mêmes pour les phonèmes, il semble que les sujets construisent,
au moyen de termes variables, un système de relation qui correspond, de façon
analogique, et sur un autre plan, aux propriétés phonologiques et structurales
de la langue considérée » ( Lévi-Strauss). Ainsi, un sujet dont le hongrois
est la langue maternelle, voit les voyelles de la façon suivante : "i"
blanc, "e" jaune, "é" un peu plus foncé, "a" beige,
"à" beige sombre, "o" bleu foncé, etc. Et Jackobson, cité
par l’auteur, remarque à propos de cette observation, que le chromatisme croissant
des couleurs est parallèle au passage des plus hautes voyelles aux plus basses,
et le contraste entre les couleurs claires et sombres est parallèle à l'opposition
entre voyelles antérieures et postérieures, sauf en ce qui concerne les voyelles
"u" où la perception semble anormale. Ces constatations rejoignent
celle du psycho-phonéticien Fonagy (1983) dont nous résumons
les points essentiels de l’oeuvre. Concernant
le statut du style vocal, l’auteur note que « la vive voix, objet de la
phonologie, s'oppose à la lettre morte ». La vivacité est inhérente à toute
communication vocale et la parole etant expressive, elle véhicule un message, elle reflète
l'expérience affective du locuteur par l'intermédiaire du style. Fonagy pose
le problème de l'isomorphisme de l'expression et du contenu qui exige qu'aux
différents degrés d'intensité sémantique, correspondent différents degrés d'intensité
sur le plan de l'expression sonore, ainsi : « A l'intensité de l'émotion, correspond
l'intensité de l'activité musculaire, ainsi que le prolongement des voyelles
et des consonnes, voyelles pour les émotions tendres, consonnes pour les émotions
agressive ». Fonagy suppose une unité de l'acte verbal : « sans séparer la chaîne
qui conduit du message au son, ou des sons au message, et ceci suppose que les
sons concrets peuvent être expressifs ». Il définit, bien sûr, les divergences
entre les règles d'ordre linguistique et paralinguistique (encodage secondaire
gestuel, qui serait la tâche d'un modulateur qui n'est pas incorporé à la grammaire).
Les messages stylistiques peuvent être expressifs et appellatifs, mais ils n'ont
pas de fonction représentative. Se greffant sur les messages linguistiques,
ils favorisent les attitudes et velléités pré-conscientes et inconscientes (Fonagy).
S'ils sont relégués au deuxième plan par les messages linguistiques, ils jouissent
d'une plus grande liberté.
Cette dévaluation
sémiotique assure leur anonymat et leur permet d'exprimer de façon plus ou moins
vague l'indicible. Ils n'échappent cependant pas aux conventions : allongement
vocalique, palatalisation affective dans de nombreuses langues. Ce sont les
organes de la parole, langue, glotte, etc. qui actualisent le phonème, unité
abstraite qui ne peut apparaître dans le discours sous sa forme pure. Nous savons
que les organes de la parole n'étaient pas destinés initialement à véhiculer
des messages linguistiques, mais à remplir certaines fonctions biologiques,
fonctions respiratoires, fonctions digestives, etc. Il en est ainsi des muscles
abdominaux et thoraciques, qui par leur contraction servaient bien avant la
naissance de la parole et servent toujours
à exercer directement ou indirectement une pression sur les intestins afin de
faciliter la défécation. Ces mêmes muscles abdominaux servent à mettre en relief,
par ailleurs, la syllabe accentuée des monèmes : ils jouent un rôle dans l'expression
des consonnes occlusives.
Fonagy remarque,
comme Lévi-Strauss, que beaucoup de métaphores accompagnent la phonation depuis
les époques grecques et romaines, mais aussi chez les grammairiens allemands,
italiens et sanskrits. Ainsi, les sons du langage y apparaissent comme des objets
sonores, colorés (sombres ou clairs), grands ou petits, légers ou lourds, durs
ou mous, secs ou mouillés, masculins ou féminins ; et le fait que toutes les
grammaires du monde se servent de métaphores analogues, nous permet d'inférer
un rapport naturel entre les phénomènes acoustiques et le terme figuré. Certaines
constatations, dit-il, à certaines époques et dans certaines civilisations valent
bien un test psychologique.
Il y a concordance
des tests sémantiques chez les enfants
hongrois et anglais qui assimilent aux voyelles et aux consonnes les mêmes métaphores
que celles de grammairiens grecs ou français. Le "pe", le "te"
et le "ke" sont plus durs que le "r" et le "l".
Le "l" et le "m" sont plus sucrés que le "té",
le "te" et le "ke" (il s'agit de métaphore gustative dans
ce dernier cas). Différentes méthodes permettent d'établir des correspondances
entre son et signification. Il est plus difficile de trouver le lien qui les
unit. Celui-ci repose-t-il sur l'aspect acoustique, perceptif, ou sur l'aspect
articulatoire et moteur, déterminant une pression intra-orale en correspondance
avec les différents niveaux sonores du tube résonateur. Sans entrer dans le
détail de ces modalités, disons qu'il
faut chercher les traits qui déterminent la métaphore dans le domaine intra-oral
et moteur au niveau des différents lieux d'articulation. L'aspect gradient de
pression en différents lieux de projection somato-psychique serait à la source
de la différence entre le groupe de voyelles et celui de consonnes, à la source
de la dureté qui oppose les dentales aux sifflantes, le "i" au "u".
L'analyse phonétique agit au niveau pré-conscient, qui subit l'attraction de
l'inconscient et Fonagy étudie les bases pulsionnelles de la phonation, à savoir
les relations entre sons et pulsions partielles, comme par exemple les sons
doucereux de la pulsion partielle orale, c’est à dire les bilabiales "ba",
"bâ", "ma", ("mamma", "babba"), et les
semi-voyelles "ya", "wa", "la". La cavité buccale concernant l’articulation
aurait une dynamique et une structure
analogues à celles que nous tentons
de vérifier pour l’audition.
Ces notions de psycho-phonétique ne sont pas étrangères
à la tradition. Qu'en est-il de la tradition hébraïque ? Citons l’exercice
qui consiste à associer en les psalmodiant (donc en y incluant la rythmo-mélodie)
les voyelles à toutes les classes de
consonnes dans un certain ordre, puis dans l'ordre inverse, ce qui est un entraînement
à l’aptitude à l'opposition et la commutation
propres au langage. Nous faisons référence à la tradition kabbalique (le terme
Kabbale signifie recevoir), laquelle cherche
à concilier les connaissances scientifiques avec le sens littéral des Écritures,
à travers l’œuvre de Mopsik (1993). Dans cette recherche, chaque lieu de l'être
est désigné par le terme de sephira que l’on peut traduire par nombre
ou catégorie, mais aussi sphère ou lumière, avec idée de réceptacle, de contenant.
Les Sephiroth, au nombre de dix, sont disposées en sept étages, elles
sont reliées entre elle par un axe central conduisant l'énergie divine : la
shekhina. Se profile néanmoins une organisation trinitaire de ces "sphères"
le premier groupement est du domaine de la métaphysique et de l'idée,
le second est d'ordre moral, et le troisième d'ordre physico-naturel, impliquant
« l'idée de forces jetées en quelques sortes au fond des choses » Sérouya
(1987). Ces Sephiroth, réceptacles de la lumière-conscience, sur lesquelles
sont inscrites des lettres, sont référées au corps humain, « non pas à la forme
de l'homme terrestre, mais de celle dont il n'est que le reflet » (ibid.),
l'homme étant créée à l'image de Dieu.
Le corps est donc représenté d'emblée dans son aspect sémantisé. Freud dans
sa représentation de "l’appareil psychique" s’est-il inspiré de ce
modèle ou de celui de Platon qu’il cite volontiers : le divin Platon !
Dans la culture hindoue, la réalité psychique
est représentée au moyen des sept chakras ou roues, "l’énergie psychique"
circulant le long de la colonne vertébrale, étant d'essence féminine :
il s'agit de la Kundalini, à laquelle
pourrait correspondre la libido, et
qui va subir un certain nombre de contraintes et de mutations, que nous décrivons
au chapitre suivant ; celle-ci est polarisée en
énergie masculine et féminine (celles du soleil et de la lune), circulant
d’un plan à un autre, ces plans symbolisant l’organisation, la structure du
sujet, ainsi que son développement (l’ontogénèse), de même que
son évolution spirituelle. Plus précisément, chaque chakra est en relation
avec un groupe de métamères (ensemble de nerfs émanant d'une vertèbre, et correspondant
par conséquent aux étages cervicaux, dorsaux, lombaires etc.) et comporte un
organe de perception et un organe d'action
(orienté vers un but, vers l’Autre, dans un processus dynamique) ainsi que des correspondances psycho-phonétiques : les
grammairiens sanskrits nous apprennent, par leur expérience au niveau proprioceptif
et cœnesthésique d'une part, et par l'écoute subtile des traits distinctifs
des phonèmes d'autre part, que les voyelles et les différentes catégories de
consonnes inscrites au niveau de chaque étage (sur un chakra) sont évocateurs
d’un plan résonantiel, leviers subtils pour notre pratique. Dans la mystique
chrétienne Thérèse d’Avila en fonction
de ces lieux use de termes comme appartement, demeure, région,
ou cabinet céleste.
Auriol (1987,1991),
par une approche pluri-disciplinaire et inter-culturelle, fait correspondre
à chacun de ces plan ou étages une pulsion partielle, proposant une interprétation des interactions
psyché-soma, sur un plan "énergétique" » Nous suivrons donc
la classification d'Avalon (1950) dans la perspective de Baudouin (1970),
reprise par Auriol ; nous ferons aussi référence à certains mythèmes relatifs
à Œdipe, à travers l'œuvre de Vernant et Vidal-Naquet (1986) qui se sont surtout
intéressés à l’ensemble des tragédies
de Sophocle, en continuité avec l'œuvre de Lévi-Strauss, qui prit en compte
les unités constitutives du mythe à travers toutes les cultures. Notre approche théorique de la division
et de la structure du sujet conjugue donc plusieurs points de vue apparemment
éloignés, que nous regroupons au niveau de certains points nodaux, nous permettant
de mieux écouter d’où parle un sujet.
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Figure 15 |
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Fig. 16 –
Comparaison entre les chakras du
yoga et les Sephiroth |
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Fig. 17–
Structure du sujet – La Kabbale (Sephirots)
|
Il est le chakra de la réalisation de l’être ou du soi
dans l’unité et la transcendance, concernant des états se situant hors de notre
espace-temps. Conférant un sentiment océanique ineffable, il est appelé "monde
de l'En-sof", monde de l'infini dans la mystique juive, symbolisé par Kether, la couronne. Chez les chrétiens,
c’est le "royaume de cieux" . Il s'agit de l'état de pure conscience chez les hindous représenté par un lotus à mille pétales au dessus du crâne au niveau
du Sahasrara. Signalons que le bouddhisme
Zen invite à méditer sur le vide, ou plutôt la vacuité, qui n'est pas manque,
mais origine des origines et, en fait, la réalisation du monde lui-même.
On le situe au niveau du pied et de la base du corps.
Il correspond au coccyx, point de départ de l'énergie circulant dans la colonne
vertébrale. Ce centre est référé à l’élément « TERRE ».
Ce plan correspond au début de la vie, aux premières
relations mère-enfant. Organe de perception
: l'odorat ; organe d'action :
le pied, les membres inférieurs et le plancher pelvien, le tout constituant
le "support" du corps,. que nous entendons au sens de l’enracinement
au sol ainsi qu’au plan réel "d’être
porté" pendant la vie intra-utérine.
L'odorat représente
une information sensorielle qui, avec les manipulations corporelles, établit
entre la mère et son enfant une communication circulaire qui fonde les premières
orientations sociales du bébé. Au deuxième jour de la vie, le bébé parvient
à reconnaître l'odeur de sa propre mère ; au troisième jour, il manifeste une
poussée sécrétoire de ses glandes sébacées ; au quatrième jour, les mères, les
yeux bandés, parviennent à reconnaître l'odeur de leur propre bébé. Un placement
en couveuse peut donc fortement perturber l'établissement de ces liens. L'organe d'action de ce plan en est le pied
qui "porte" le corps ainsi que les structures responsables de l'équilibration
(canaux semi-circulaires proches de
l’oreille), instaurant les notions élémentaires de verticalité et d’horizontalité
pendant la vie intra-utérine. Porter et bercer représentent ce que Winnicott
a décrit sous le terme de holding. Le besoin de sécurité, l'attachement aux êtres et aux lieux, les
comportements d'inprinting répétitifs,
les attitudes fusionnelles représentent les modes d'être de ce plan basal et
narcissique. Les sons corrélés à ce plan sont les sifflantes : SHA, CHA,
SA, auxquelles est associée la semi-consonne VA, cette classe de consonnes assurant
à celui qui les prononce ou qui en est traversé un sentiment de continuité
dans son être, de sécurité, d’ insouciance, de plénitude… lesquelles sont menacées
lors de ruptures ou accidents concernant l’enfant et l’adulte (deuils
etc.) et la cure audio-phonologique insiste
sur la prononciation de ces consonnes à valeur structurante.
Œdipe et les hommes de sa lignée sont affectés au pied.
Labdacos est le boiteux, Laïos, le « gauche », est mal latéralisé, et ŒDIPE vient de OIDES, l’œdème (il eut les pieds percés,
et transporté dès sa naissance sur le mont Cithéron). Cette métaphore corporelle
atteste que leur "défaut fondamental", au sens de Balint, se situe
au début de la vie, de l'espace psychique (le temps se spatialise au niveau
de la structure) : ce qui sera pour nous, dans l'anamnèse, le trauma précoce,
l'abandonnisme, les souhaits de mort, l’attitude incestueuse
etc. Rappelons que le vers 1176 d'Œdipe
Roi relate ce que l'oracle révéla aux parents
d'Œdipe : « Qu'un jour il tuerait ses parents ».
Dans le yoga, ce centre (Mouladhara
chakra) est le point de départ de la Kundalini qui va se polariser en énergies positive
et négative circulant dans la colonne vertébrale ; un phallus (lingam) dans
le réceptacle féminin, y symbolise l’union parentale ; doté de quatre pétales,
représenté par un éléphant, évocateur de la stabilité, il se situe au point
de départ de l'ontogénèse comme matrice et comme contenant, assurant enracinement
et sécurité ; il est susceptible
d'évoquer aussi la mort, si l'énergie du sujet est "nouée" (fixée)
à ce niveau. La tradition parle des quatre anesthésies relatives à ce lieu,
à savoir : la paresse, l'inertie, "le besoin de rester là" (attachement),
le désir de sécurité avec attitudes automatiques et répétition. C'est à ce niveau
que nous pouvons situer la pulsion d'auto-conservation
où la vie se dialectise avec la mort.
Dans la mystique juive, il s'agit de Malkhout, pôle
féminin de l'édifice, aux fonctions mécaniques et biologiques, définissant un
réel assorti de tensions à la fois créatrices
et destructrices.
Un exemple clinique
: Mireille, schizoïde, n'a pu se lever ce matin en raison de l’état de raideur extrême de ses jambes :
je suis un vrai légume… c’était mort. Elle peut avoir de nuit comme de jour
des mouvements automatiques au niveau
de ses jambes, de même une incontinence
anale dans certaines situations (ce centre intéresse tout le bas du corps).
Marcher redevient une épreuve… Je suis amenée à parler du bas du corps… du support
sur le plan structural ainsi que des conditions de sa naissance : elle associe :
sa mère avait déjà le cancer, son père ne la voulait pas… Elle
apprit par la suite que sa mère voulait un enfant qui s'occuperait de
son père (survie, auto-conservation).
Au niveau de ce centre se pose le problème des origines, dont l'une est tournée vers l'infiniment grand, vers le haut… les idées et l'autre vers l'infiniment petit, le bas ou plan "terrestre", le biologique, les gènes. Nous donnons un exemple de l'utilisation de cette topologie dans un cas clinique : tel enfant de 7 ans, phobique, endeuillé par la mort de son chien, demande à ses parents "où celui-ci est allé, maintenant qu'il est mort". A quoi il lui est répondu que "l'âme du chien est montée au ciel". Demandant ensuite : "d'où on naît", sa maman lui raconte l'histoire de la petite graine, du papa et de la maman, et l'enfant de demander à ses parents d'où vient l'âme et la graine ! Cette interrogation s'avérant angoissante et répétitive concernant le sujet et son devenir quant à son origine et sa fin, je suis moi-même questionnée : avec une gestuelle à l'appui, et après avoir pris connaissance des propres conceptions de l'enfant et de celles de sa famille relatives à la chose, je situe les deux origines dans la verticalité de l'espace propre de l'enfant et du monde (ô kosmos) du haut en bas.
Situé au niveau du sacrum et de la région du nombril,
il correspond à la zone que les chinois appellent le chaudron ou réchauffeur
inférieur, termes évocateurs de la sphère digestive et du
plan de l'oralité. L’organe de perception
en est la bouche et l’organe d’action la main. Ce centre est représenté par un crocodile
tenant un lacet, symbole de l'aliénation et son élément est l’EAU. L’océan,
symbolisant l'inconscient, y est figuré surmonté d'un ciel sombre parsemé d'étoiles. Ce plan correspond au désir
de prendre, de découper, d'absorber dans la sphère orale, mais cela peut être
aussi, sur les plans intellectuel et spirituel, une préfiguration de la pulsion
épistémophilique (connaissance) ; l'univers de l'enfant —décrit en autres
par Mélanie Klein— avec son effervescence et son hyperactivité, assorti de sentiments
persécutifs et de fantasmes de corps morcelé, peut être relié à ce centre. Selon
la tradition la crédulité, l’illusion, la fausse connaissance, l’absence de
pitié sont associées à ce centre.
D. Quinodoz réserve le terme :
- de clivage à la scission radicale entre des parties incompatibles,
impossibles à synthétiser ou intégrer : comme l'aspect
légiférant (des parents ou d'une institution
) et l'aspect
permissif ! L'aspect idéalisé/dénigré, destructeur/séducteur.
Les affects non liés pouvant entraîner des réactions très
violentes, en cours de cure, comme tentatives de suicides, agressivité,
réactions vertigineuses, somatisations graves, psychose
- de dédoublement : à la scission d'aspects compatibles entre
eux, apparemment du même registre, comme l'aspect tendre et l'aspect sensuel
d'un parent L'évolution de l'Oedipe implique que le sujet dépasse
ces deux identifications en une position qui soit la synthèse des deux
imagos, leur intégration assurant un sentiment de cohésion du
moi., l'intégration des affects permet que l'agressivité liée
à l'amour, n'exerce plus une action destructrice. Voir autres étages
Les consonnes
relatives à ce plan, selon les grammairiens sanskrits, sont évocatrices de l’oralité.
Ce sont les bilabiales BA, MA, (baba, mama) ainsi que les semi-voyelles YA,
RA, LA. Selon Fonagy ce sont
les plus sonores des consonnes, qui
auraient de ce fait un impact sur les phénomènes perceptifs en général. Le M
et le L exigent peu d’effort musculaire, surtout
par rapport aux palatales. Elles seraient liées à la succion, surtout au niveau
du M, bilabiale-nasale, qui préfigure l’appel de nourriture, ainsi que le désir
inassouvi. Le L, semi-voyelle, appelée aussi « liquide » évoque le
mouvement de succion en un mouvement de la langue qui glisse vers les alvéoles
supérieures en touchant doucement le voile du palais.
Pour la Kabbale
il s’agit de Yesod, le fondement.
Il est situé en regard du plexus solaire et de la région
lombaire. Il régit la zone que les chinois appellent
le réchauffeur moyen situé au niveau de l'estomac, du foie, de la rate et du pancréas, organes régulateurs
à action endocrinienne et métabolique. Il est associé à l’élément FEU.
Son
organe de perception est l'œil lequel
participe à l’organisation de l’espace environnant et de l’image du corps avec
le concours de l’oreille et de l’organe de l’équilibre. Comme pour l’audition
dans laquelle nous distinguons entendre
et écouter, l’intentionnalité du regard s’oppose à la passivité de la vision.
Regarder implique pour un sujet sa présence
ainsi que son investissement libidinal. Les auteurs insistent au moment du stade du miroir sur l’importance
du regard maternel dans la constitution de l’image du corps, en une identification
primordiale qui va promouvoir la structuration du « JE » (Zazzo, Lacan,
Sami-Ali). Au départ le sujet est un visage
qui n’est visible que par un autre et qui commence par être le visage
de l’autre. L’enfant, simultanément lui-même et l’autre familier et cependant
étrange, est celui dont le visage se met à exister selon le point
de vue de l’autre qui est perçu comme un être réel qu’il tente d’approcher comme
son double. Il y a confusion entre soi et l’autre, entre l’intérieur et l’extérieur, la partie et le
tout. Puis sur un fond de présence/absence : l’enfant découvre que l’autre
du miroir n’est pas un être réel mais une image
en un début de différenciation.(cf. p. 45 la genèse de la latéralisation). Avec
la vision binoculaire et la convergence s’affine la perception de l’espace et
de sa profondeur avec instauration de la projection
visant à mettre l’objet à distance ainsi qu’à unifier l’image du corps
qui jusqu’alors était vécue de façon morcelée. Ajoutons que l’instauration du
monde de la représentation visuelle tant
corporelle que spatiale nécessite de
la part de la motricité oculaire une attitude active « Il s’agit de la mise en œuvre
d’une énergie pulsionnelle, libidinale et agressive qui permet de détacher l’objet
de soi et de le localiser dans l’espace » Sami-Ali : (1974). Et l’auteur
de faire référence à la dynamique anale : laquelle permet de séparer le
sujet de ses perceptions afin que celui-ci
admette que quelque chose se séparant
de lui puisse exister extérieurement
à lui : « Séparation de l’objet maternel permettant
sa récupération sur le plan imaginaire » Cady (1988). Nous notons
la clairvoyance des yogis qui au niveau de ce centre ont relié l’œil et le regard
à l’analité. En effet :
Son
organe d'action est l'anus
: celui-ci a en commun avec l'œil le même type de musculature sphinctérienne
lisse ou striée ; problématique de la rétention ou de l'expulsion, avec la possibilité
de se séparer d’un produit du corps en l’anticipant en une maîtrise de sa corporéité.
Discipline du besoin pouvant être exigée à une certaine heure précise
par le parent éducateur, “ le sujet ne satisfait un besoin que pour
la satisfaction d’un autre” nous dit Lacan dans le « Le transfert »,
avec risque de passivisation du sujet.
Opiniâtreté, ténacité, volonté sont structurantes pour un sujet et nécessaires
à la poursuite d’un objectif, comme
le fait de se mettre en colère à bon escient. Ces traits de caractère subissent-ils une inflation avec agressivité
latente ou manifeste, le sujet tendra à avoir des attitudes dominatrices
et impulsives, et il lui sera difficile de céder lorsqu’il le faudra. Apparaîtront
tensions dans la situation, colères,
menaces. Nous rencontrons quotidiennement ces situations au cours desquelles
un parent fait travailler son enfant. Ce dernier ne comprenant pas ou ne se
concentrant pas… le ton monte… et la jeune oreille qui ne demande qu’à écouter
la parole de l’adulte se ferme à tout message et à toute acquisition. A nous
de faire découvrir à cet adulte ses possibilités vocales dans le but d’apporter
sérénité à la situation… avec ses vibrations, la voix reflétant l’intention
de l’être.
Sur le plan sonore, les dentales TA, THA, DA, DHA, NA,
PA, PHA, y sont reliées. Selon le tableau de distribution statistique des consonnes,
selon Fonagy, il y a une affinité entre les occlusives sourdes, le P et le T
, et les velléités agressives. Concernant
les dentales en général le gradient de pression musculaire est élevé au niveau
de l’articulation et nous savons que la colère et la haine accroissent
la tension musculaire, prolongeant la
durée de l’occlusion et rétrécissant le canal buccal au cours de l’articulation, la
phonation agressive et haineuse, produisant souvent une voix étranglée.
La kabbale le représente par deux Séphiroth, HOD, l’honneur, et NEDZAH,
la victoire
Sur le plan clinique, Sami-Ali (1974) attribue aux troubles de la vision binoculaire à l’orée de la constitution de l’image du
corps et de l’espace tridimensionnel un certain nombre de désordres psychomoteurs globaux comme les troubles de la latéralisation
et de l’orientation temporo-spatiales ou partiels : strabisme, bégaiement, dysorthographie,
dyslexie.. Il leur attribue d’autre part une gamme étendue de troubles psychosomatiques :
glaucome, céphalalgies, asthme, diabète, rectocolite-ulcéro-hémorragique. Les
différentes divisions que nous proposons dans l’espace psychique au niveau de
chaque étage nous permettent de pouvoir spécifier chaque somatisation, qui est souvent pluri-factorielle, avec le
concours entre autre des plans suivants où se dialectisent la problématique
phallique et la fonction symbolique
du père. Nous avons par ailleurs mis
en perspective et développé le rôle
du miroir sonore dans
la structuration de l’image du corps.
Concernant les troubles de la personnalité il
peut s’agir de sujets recherchant le regard d’autrui, soucieux d’être fidèles
à l’image qu’ils offrent au monde avec
comportement spectaculaire, séduction et troubles
au niveau du corps .
Pouvoir sortir,
affronter la foule sans s’effondrer, pouvoir parler en public sans se figer
sous le regard des autres sont les situations qui peuvent engendrer une grande
anxiété, assorties de culpabilité, pensées intrusives et doutes que supportent les sujets atteints de phobie
sociale. A l’inverse il s’agira du voyeurisme, avec érotisation du champ du
regard.
Que dit le
mythe ? Œdipe, roi de Thèbes, est trop sûr de lui, trop confiant dans son jugement ;
il n'est pas porté à mettre en doute son interprétation des faits. Il se veut
toujours et partout le maître, le premier. Il se définit avec une altière assurance,
comme celui qui déchiffre les énigmes ; il existe un jeu de mots sur le nom
d'Œdipe, qui signifie "pied enflé" (selon l'expression populaire :
"avoir les chevilles qui enflent", inflation de l'ego, orgueil), mais
aussi oida,"je sais" ;
son savoir, sans le secours des dieux (la divination) se double de pouvoir,
mais l'enquêteur se découvrira lui-même assassin. Il est obstiné et jaloux,
et ses soupçons se portent d'abord sur Créon, son beau-frère, qu'il considère
comme un rival de son pouvoir. Il a tous les caractères de l'hubris (insolence, orgueil) propre aux tyrans
: « Tu te rebelles, tu refuses de m'obéir ! » dit-il à Créon. S'il domine
le destin de sa cité au début de la pièce, il est à la fin une souillure abominable,
un monstre d'impuretés qu'il faut chasser comme un bouc émissaire. Il ne peut
plus soutenir le regard d'autrui. Il lui faudra, au prix de ses yeux, payer
la clairvoyance.
Il se situe au niveau de la région dorsale et thoracique :
le yoga nomme ce centre Anahata,
nous indiquant qu’à ce niveau le son est entendu sans le choc de deux objets., mais plutôt à la
manière d’une caresse.
Organe de perception : le tact fondant l'enveloppe
cutanée. Apparaît avec ce plan le concept de limite et de contenance
par rapport aux excitations externes et Freud
attribue ces fonctions au Moi qui se
constitue à partir de l'expérience tactile et de l'ensemble des expériences
sensorielles et symboliques des plans sus-jacents tournés vers l’être et des
plans sous-jacents. dévolus aux pulsions partielles, à orientation narcissique
et matérialiste , la tradition symbolisant ces deux modes d’être par les deux
triangles inversés figurés par le sceau de Salomon..
On peut assigner
au Moi le rôle d'enveloppe contenante qui fait que l'appareil psychique est
susceptible d'avoir des contenus. Le moi peut être figuré comme une sorte de
structure à double feuillet, que nous appellerions de nos jours "interface",
le feuillet superficiel figurant le pare-excitation, le feuillet profond figurant
une surface d'inscription des diverses traces. Le Moi assure une continuité
temporelle de l'appareil psychique ainsi qu'une continuité
dans l'espace lui conférant de la sorte un
sentiment d'unité.
Dans Le moi-peau,
Anzieu (1985) assigne trois fonctions à celui-ci : « une fonction
d'enveloppe contenante et unifiante, une fonction de barrière protectrice du
psychisme, une fonction de filtre des échanges et d'inscription des première
traces, rendant possible la représentation. A ces trois fonctions correspondent
trois figurations : le sac, l'écran et le tamis ». Ajoutons la fonction
de soutien de l'excitation sexuelle : « …sur le fond de laquelle des zones
érogènes peuvent se localiser et la différence des sexes peut être envisagée
».
L’Organe
d'action est le
phallus dans les deux sexes, symbole de la création et du désir associé à la loi. et au dépassement dans le renoncement. Il s’agit
dans ce cas du phallus imaginaire lequel
donne corps à la jouissance dans la dialectique du désir, l’enfant oscillant
entre le statut d’être le phallus qui comble le désir sa mère, ou de l’avoir par suite de la portée
structurante de la fonction symbolique du père. Lieu du tact, de la limite par
rapport au réel, du contact mais aussi pare-excitation donc lieu de défense du sujet sur un plan réel
(c’est la région du thymus, organe immunitaire), comme au plan symbolique, en ce sens qu’il est le lieu de l’affirmation de soi, à la suite
des identifications du sujet et
nous pouvons le rapprocher du stade phallique de Freud.
Les consonnes
palatalisées et vélaires sont associées à ce plan : KA, KHA, GA, GHA, GNA,
TCHA, CHA, JA, JHA, NYA, elles se distinguent des non palatalisées par une plus
large surface de contact entre la langue et le palais dur. Leur lieu de projection
dans la résonance étant le thorax. Ce groupement de consonnes se définit par
une pression intra-orale maximale lors de l’articulation de celles-ci, cette
pression étant nécessaire à la fonction de coupure et de limite dévolue à ce
plan qui situe le sujet comme étant nettement individualisé par rapport à l’extérieur.
Pour la Kabbale, il s'agit de Tipheret, la beauté.
La circoncision du pénis est la marque visible d'une
culture sur le corps ; elle représente l'affiliation de la partie sauvage
du sujet. Elle concerne la relation à l'Autre, la transmission des générations.
La puissance de l'homme passe de l'organe procréateur à la parole créatrice,
du pénis au phallus, symbole de la création. « Le Verbe s'est fait chair,
afin que la chair devienne Verbe » (Prologue de St-Jean). Dans la théorie psychanalytique,
le terme de phallus s'est imposé pour connoter une fonction symbolique, dont
la mise en place est essentielle à la juste position du sujet quant au désir,
l'être humain étant marqué de la castration (renoncement). Le complexe d'Œdipe
fait intervenir la fonction paternelle qui introduit, dans la relation, la médiation
de l'interdiction et le registre de la loi (Conté et Safouan, article Phallus, Encyclopædia Universalis).
Si nous nous penchons sur le problème du sacrifice,
et donc du renoncement, (castration ou –phi) nous notons un continuum :
les prémices d'une récolte, la tête du bétail ou le premier enfant étaient sacrifiés
et parvenaient de ce fait au monde des dieux et des mythes, arrachant la victime
au monde de l'utilité ainsi qu'aux lieux de subordination au réel. Au moment
où Abraham consent à sacrifier son fils, il y a substitution du bélier, mutation
d'une violence interne ; puis un autre type de substitution apparaît :
l'organe qui sert à unir les humains et à transmettre la vie servira d'union
avec le divin (circoncision). Les faits, ensuite, se métaphorisent : le nom
de la victime ou du bouc émissaire sera sacralisé. La métaphore prolonge l'opération
de substitution avec rupture, transport et transfert de sens ; le nom de la
victime est psalmodié. Sur un tout autre plan, dans l'infini renoncement, il
s'agit de la répétition des noms du divin sous forme de prières, oraisons, mantra…
D'autres types de circoncisions (purifications) sont
requis - celle de l'oreille : affiner, éliminer les blocages de son écoute (cf.
sélectivité en 3-4) - celle de la bouche : passer de la parole brute (cri) au
langage articulé, du réel au symbolique - celle du cœur : il s'agit du présent
plan de Anahata qui représente la limite entre l'amour
narcissique et l'amour tourné vers l’autre.
Examinons dans le mythe, que nous analysons
comme un rêve, comment l’espace géographique et l’espace de la subjectivité
se répondent, ainsi que les différents discours :
Sur le plan
politique, Œdipe est un roi puissant, un tyrannos ; il est le déchiffreur d'énigmes, celui
qui sans le secours d'un dieu ni d'un présage, a su deviner par les ressources
de sa seule intelligence, l'énigme du Sphinx. Il est le sauveur de Thèbes, le
"premier des hommes", mais il "avait visé au plus haut".
Il avait "lancé sa flèche plus loin qu'un autre". Il a franchi la limite assignée aux hommes.
Sur le plan religieux : il oscille entre la condition de roi divin, et celle
de bouc émissaire (pharmakos), que l'on expulse à Athènes. Le langage d'Œdipe
apparaît comme le lieu où se nouent et s'affrontent dans la même parole, deux
discours différents : un discours humain et un discours divin (Œdipe parle de
l'oracle en le niant ; il émet des doutes sur les dons de divination de Tirésias
; Œdipe est incroyant). Au début, les deux discours sont bien distincts et comme
coupés l'un de l'autre. Puis ils se rejoignent et l'énigme est résolue. A la
suite de la révélation de son crime à Thèbes comme parricide incestueux, Œdipe
arrive après son errance à Colone, qui est une circonscription
d'Athènes, dont le roi est Thésée le
représentant de la loi, celui qui va le protéger. Colone est présentée comme une zone limite
: « Le lieu que tu foules est ce que l'on appelle le "seuil de bronze"
de ce pays, le boulevard d'Athènes. Colone est à la frontière entre la Ville
et l'intérieur du pays (Mésogée). C'est un lieu sacré, mais aussi un seuil,
un lieu de passage. « Œdipe passe de sa vie errante à un état stable et
heureux. L'airain est un alliage de cuivre et d'étain suffisamment dur pour
symboliser ce qui est stable » Mouret (1986). Colone est aussi la frontière
entre les dieux d'en bas, auxquels
jadis Thésée rendit visite, et les dieux d'en haut, au point que le messager ne peut dire si la mort
est venue à Œdipe du ciel ou de la terre et que Thésée adresse sa prière à la
fois à la terre et à l'Olympe. L'espace sur lequel vivra Œdipe avant sa mort
est partagé entre le bois sacré et l'espace profane, et tout ces mouvements
vont le faire évoluer entre ces deux zones sous la protection des Euménides.
« On y voit Œdipe, ayant franchi les frontières, s'installer sur une frontière,
puis, (...) passer dans un autre monde. » (Vidal-Naquet) Remarquons qu’Antigone,
dont Lacan souligne l’éclat, ne cesse d’invoquer les dieux d’en haut ( théou
anou) et les dieux d’en bas qui appellent leur justice propre pour le
cadavre de son frère.
Il régit
le cou et la partie supérieure du thorax et les bras, L’organe de perception en est l'ouïe ; l’organe d'action : le larynx et les organes de la phonation
engendrant l’objet vocal.. L’élément en est l’ETHER, milieu impalpable de la
propagation des ondes éléctro-magnétiques. A ce niveau, ce sont les vibrations
acoustiques et la pulsion invocante nommée par Lacan : entendre, se faire
écouter, parler : passer du cri, énergie pure, au langage articulé. Notons
que celle-ci ne fut pas nommée par Freud qui ne jouissait pas de l’art le plus
océanique qui soit : la musique.
La pulsion invocante organise la pulsion orale. Celles-ci se répondent
: le cri est entendu comme une demande qui se situe en deçà et
au-delà de la satisfaction alimentaire. L'attitude de la mère,
son holding, les modulations de sa propre voix aideront l'enfant à différer
ses assauts impulsifs teintés de colère.
Nous avons dit que les chaînes signifiantes se déroulaient dans
le temps en précisant leur genèse et leur organisation.
L'être humain avant sa naissance est sensible au rythme du corps de la
mère, (bercement de la marche, respiration, battements du cur,
péristaltisme intestinal, etc.) alliés à la rythmo-mélodie
de sa voix filtrée par l'air du thorax et les différents milieux
aqueux et osseux de son organisme. Dans la continuité de la musique s'instaure
la discontinuité toute signifiante de sa parole
(Qu'en est-il lorsque
ce rythme est rompu, sidéré, gelé ? : dépression,
hémorragie, alitement ? psychose ?).
Nous avons relaté dans notre parcours les différentes articulations
pulsionnelles. Le concept de pulsion invocante évoque l'élément
temporel (voir introduction et test temporel de Leipp et
.) élément
qui va donner sa tonalité à toutes les autres pulsions partielles
étagées, temps de l'attente, de la quête et du désir
Le temps diffère l'automaticité pulsionnelle, c'est le temps de
l'évanescence de l'objet qui fonde aussi l'écart existant entre
la pulsion et son but
Il est un temps pour parler et un temps pour mastiquer
(2 étages pulsionnels différents
) avec le paradoxe de l'orifice
nasal : Il est possible de respirer et humer en même temps : de même
au niveau de la pulsion invocante, nous manions le souffle et le verbe.
Le bord pulsionnel, oreille, nez, il
est serti de mots et de lettres
qui lui donnent son existence, comme nous l'avons énoncé, lesquels
sont réunis sur le nud énergétique qu'est le chakra
ou roue, sis à un niveau bien précis du corps, lieu des différences
inscrites sur le corps
- Sur le
plan phonétique, pour les grammairiens du sanskrit, ce sont les voyelles et
les diphtongues qui sont corrélées à ce plan, le A , le I, le U étant prononcés
sur le mode bref ou long, auxquelles nous devons ajouter le AM qui nasalise
toute prononciation et le AH, appelé visarga qui fait mention de l’usage
du H aspiré, ce denier nous montrant l’importance de l’air vibré dans l’acte
de parole au plan réel comme au plan symbolique au point que le terme qui désigne
l’air est celui qui désigne l’âme dans la tradition. Il s’agit d’ANIMA,
étymologiquement : vent, air, souffle, mais aussi existence, âme,
le principe féminin de la psyché. C’est le souffle qui entretient la vie et
que reprend la mort et c’est ce souffle qui donne l’énergie à la parole lors
de la mise en vibration de l’air et des cavités résonantielles du sujet. Anima
a son correspondant ANIMUS plutôt orienté vers l’esprit, la raison, le courage,
principe masculin de la psyché, la tradition faisant déjà référence à
la bipolarité du psychisme. Il s’agit donc d’un centre identitaire impliquant
choix de vie, mutations, conversions, recherche intérieure et les sentiments
liés à ce lieu sont le respect, la dévotion,
la résignation. La Kabbale décrit ici deux Sephiroth : HESED, la miséricorde,
la grâce, qui est régulée par GEBURAH, la rigueur.
Il s’agit
d’un centre où les contraires et les structures d’opposition telles que nature/culture,
vie/mort vont se dialectiser
selon l’articulation signifiante au lieu de l’Autre du langage. Nous
avons déjà parlé du double et de la relation duelle au niveau du plan visuel,
avec le miroir au niveau de MANIPURA ;
il s’agit maintenant d’articuler par le langage ces structures en les opposant
et en les reliant, c’est à dire de les symboliser au moyen des axes du langage :
- L’axe du choix des unités linguistiques, unités qui peuvent commuter (se substituer)
dans un contexte donné, au niveau d’une classe d’éléments, ce choix fondant
l’identité du sujet à divers niveaux au moyen de la nomination (identité sexuée,
sociale, culturelle, etc.), le signifiant étant le centre d’une constellation, le point où
convergent d’autres termes dans des rapports associatifs( la libre association)
en nombre infini que constitue la langue et surgissant des différentes mémoires du sujet que l’on commence à connaître actuellement.
- L’axe des combinaisons syntaxiques, c’est-à-dire
l’axe des unités constitutives de la phrase ou d’un groupe de mots, la combinaison
se faisant selon le mode de la succession :
parler consiste à discriminer des phonèmes, lesquels forment des mots, (in praesentia)
des phrases puis des catégories ; cela implique que le sujet ne soit plus en
rapport d'immédiateté avec le monde et ses objets, ce qui a lieu dans l'établissement
d'une distance et le renoncement à la toute puissance sur l’objet du désir (avec
le concours de la pulsion de mort). Au moyen de la nomination du monde et de
lui-même, le sujet accepte ce qu'il est, mais il peut refuser de voir apparaître
à sa conscience l’image de lui-même qu’il n’accepte pas, sous forme de «
l’ombre » qu’il peut projeter sur autrui.
A l'échelon
social, c'est la collectivité elle-même qui peut désigner une victime, dont
l'exclusion assurera le retour à la stabilité du groupe. "L’ombre"
ou le "double", éléments archétypaux, furent étudiés par Rank (1973) et
une abondante littérature décrit le double. Le sujet qui vient au monde
se sépare de son double placentaire qui meurt. Pendant les premières années, c’est l’entourage
qui est son double. Ce peut être aussi le double hallucinatoire qui accompagne
le sujet ou lui parle, ou selon les cultures le double en tant qu'âme du sujet,
qui l’accompagne durant sa vie et survivant après la mort.
Comme son nom l'indique, l'ombre aurait un versant inconscient, l'autre côté, la partie cachée
de nous-même, que nous refusons, et que nous projetons sur autrui et un versant
créateur, orienté vers l'idéal du
Moi et le Soi. L'ombre est censée être dissipée par la dynamique de la chaîne
langagière qui toujours opère séparation et rapprochement des unités linguistiques
et Lacan dans « La signification
du phallus » attribue à ce dernier un rôle de copule au sens symbolique
et littéral, la fonction de celui-ci étant de lier les termes d’une phrase dans
le but faire tenir, mettre en tension celle-ci.
L’ambiguïté
de l’ombre apparaît de façon éclatante dans la tragédie par le procédé du renversement de l'action en son contraire qui, avec le pathétique
et la reconnaissance de l'identité du héros, forment les éléments constitutifs du drame selon Aristote. Derrière
le roi divin, apparaît l'autre face d'Œdipe, c'est-à-dire le bouc émissaire,
exclu de Thèbes. « Œdipe est double : l'homme de décisions et de courage, l'homme
qui pour tous est célèbre, qui le premier des humains, le meilleur des mortels,
se retrouve le dernier, le plus malheureux, le pire des hommes, un criminel,
une souillure, objet d'horreur pour ses semblables, haï des dieux et réduit
à la mendicité et à l'exil. Celui qui est déchiffreur d'énigmes est devenu une
énigme qu'il ne peut déchiffrer. Le justicier se retrouve criminel ; le
clairvoyant, un aveugle ; le sauveur de la ville, sa perdition » Vernant (1986).
Il s’agit du plan de la vision internalisée,
de la conscience et de la représentation, lesquelles sont informées par les
plans sous jacents. Nous pouvons lui attribuer la pulsion épistémophilique c’est
à dire le désir de CONNAITRE, en relation avec la fonction symbolique du sujet.,
at en association avec les plans de base II et III C’est le pôle des mécanismes
de sublimation, ainsi que de l’approche
du réel par la télépathie, qui opère
dans le silence, sans le langage, .
Sur le plan sonore lui sont reliés les phonèmes
complexes : HA et KSA, le K et le S appartenant respectivement au chakra
du cœur et au chakra de base, symbolisant la synthèse du haut et du bas.
Pour la Kabbale, qui ne dénie pas la science, il
y a deux séphiroth : il s'agit de Binah
,l'intelligence, dont le siège est au niveau du cerveau gauche, et de Hokmah,
la sagesse, qui reçoit l'influx divin, après le retrait de celui-ci du monde
(tsimtsun) au niveau du cerveau droit (intuition)
Dialectique du proche et du lointain, l'espace
étant perçu de façon tridimensionnelle et pourvu de profondeur, et non dans
la proximité et l'immédiateté du miroir. Poursuivons le mythe d'Œdipe lorsque
celui-ci à Colone, après avoir quitté
Thèbes dans la version commentée par Vidal-Naquet : « Le héros se
sépare de la cité qui le juge » ; Sophocle, par un retournement dont il
a le génie, dépeint l’arrivée du vieillard exilé. Il faut
que la séparation, la prise de distance
ait eu lieu. Si Œdipe aveugle
ses paupières c'est qu'il lui est impossible de soutenir le regard d'aucune
créature humaine ; celui-ci se situe maintenant dans le monde solitaire de la
nuit, celui du divin Tirésias qui lui aussi à payé de ses yeux avec le don de double vue l'accès à l'autre lumière, la lumière aveuglante
et terrible du divin. (...) "C'est donc quand je ne suis plus
rien que je deviens un homme". dit-il à Ismène V 393, endossant
sa mort psychique apparente, son effondrement : meurtre du double, traumatisme
et vide, ce dernier ouvrant à une autre temporalité après la destitution subjective.
Lieu des instances idéalisantes, de la relation au maître, dans le sens initiatique,
ainsi qu'à l'autorité en général : Œdipe a rencontré, avant de mourir,
la loi en la personne de Thésée, le roi d'Athènes. Auparavant il avait quitté Thèbes
qui est une anti-cité, propice aux tyrans et à la guerre civile. Athènes est
la cité modèle, dont le chef n'est pas le tyrannos, mais le roi, le guide, le responsable du pays ; c'est une
cité démocratique d'hommes libres, où le droit de parler est respecté
et où rien ne se décide sans l'aveu de la loi. Étymologiquement, en sanskrit,
la racine AJ de Ajna signifie guider, mener, conduire ;
celle-ci est à rapprocher du latin augeo
: faire croître, aider à se développer, enrichir, rehausser. Ce centre a une
valeur surmoïque indiquant que l'autorité familiale ou celle du maître est internalisée….
Puis la parole tonnante se manifeste à
nouveau d’en haut:
…Œdipe meurt
dans un lieu sacré, après la sentence prononcée par Zeus, le dieu illuminateur.
« Œdipe joue donc son dernier acte dans l'entre deux. » L'espace humain, divisé,
a rejoint l'espace divin. Il s'agit de la tragédie du passage où tous les plans
de l'être sont assumés.
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[1] Le terme de "spartoï" signifie : semés, disséminés. Il s'agit des guerriers, nés directement des dents du dragon semées par Cadmos, ancêtre d'Œdipe et fondateur de Thèbes, et qui s'entre-tuèrent. Cette dispersion, cette dissémination, corrélatives du meurtre collectif, évoquent pour nous la division maximale du sujet, les angoisses de morcellement, de l’identification projective.
23 Avril 2003