Psychosonique en Pédo-Psychiatrie

Dr Joffrin, Françoise

 

12. A L’ECOUTE DES PLANS DE L’ETRE

Après avoir décrit la réalité de l'espace psychique au moyen de sa composante sonore, nous nous proposons de décrire celle-là dans tous ses plans et avec ses objets, tout en tenant compte des principes du structuralisme qui nous ont guidés, en considérant l'espace psychique  comme hiérarchisé et vectorisé haut-bas, le bas symbolisant sur le plan temporel : le début de la vie du sujet, le haut : le devenir, l’anticipation , le futur.

 Ces positions sont aussi celles de deux traditions qui se sont intéressées au monde sonore et qui se sont penchées sur la conceptualisation effective de la structure du sujet selon des lignes de forces que nous décrirons sommairement. Dans la bassin méditerranéen, il s'agit de la Kabbale hébraïque, issue de la mystique juive, et dans la tradition indo-aryenne, du tantrisme, (tantra signifie trame). Dans le structuralisme, Claude Lévi-Strauss (1958) appréhende l'espace du mythe qui fonde l'espace psychique, au moyen du système binaire où les couples d'opposés subissent une série de transformations qui permettent l'élucidation d'une conduite, d'une filiation, d'une origine (par exemple le cycle feu - tabac - viande chez les Bororos), l'ensemble des oppositions se déroulant de façon cyclique ou bien selon un axe haut-bas du sujet, métaphoriquement ciel-terre. (Au bas sont dévolus les éléments d’ordres matériels, concrets, automatiques, au haut les éléments d’ordre plus abstraits et spirituels). Dans sa remarquable analyse du mythe d'Œdipe, par la disposition des "mythèmes" (éléments constitutifs du mythe recueillis à travers toutes les cultures), envisagés "comme une série mélodique continue et qu'on chercherait à restituer dans son arrangement initial", nous remarquons la disposition des éléments du mythe en quatre colonnes :

Cadmos cherche sa sœur Europe, ravie par Zeus

Cadmos tue le dragon

Les Spartoï s’exterminent mutuellement [1]

     

Labdacos (père de Laïos) = « boiteux »

Laïos  (père d’Œdipe) = « gauche »

Œdipe tue son père Laoïs

 

 Œdipe immole le Sphinx

     

Œdipe = « pied enflé »

Œdipe épouse Jocaste, sa mère

     

Etéocle tue son frère Polynice

   

Antigone enterre Polynice, son frère, violant l’interdiction

     

Disposition des mythèmes concernant le mythe d’Œdipe

(Claude Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, Plon 1974)

-         Dans la colonne 1, les rapports de parenté sont exagérés ;

-         Dans la colonne 2, les rapports de parenté sont sous-estimés ;

-         La colonne 3 concerne les monstres et leur destruction par l’homme pour que les   hommes puissent naître. Dans la tradition archaïque  le sphinx est un monstre femelle chtonien ; auto-chtonie associe les termes « autos » :  elle-même  et « chhton » : la terre : naissance à partir de la terre elle même, et par analogie de la mère seule, mais le monstre étant tué cette autochtonie est niée. Elle est cependant vacillante comme l’atteste la colonne suivante  :  

-         La colonne 4 énonce, outre les noms propres de la lignée paternelle d'Œdipe, la difficulté, pour les individus (ou les monstres chtoniens), lorsqu'ils sortent de la terre, de marcher droit (persistance de l'autochtonie) :il y a boiterie,   « problème de pied » pour cette lignée, que nous expliciterons ultérieurement.

Le mythe d'Œdipe  exprimerait pour une société le fait de résoudre le problème de l'origine, c'est-à-dire : naît-on d'un seul (autochtonie, terre-mère) ou naît-on de deux ? (reproduction bisexuée ): le même naît-il du même ou de deux ? C. Lévi-Strauss souligne le passage "du pied à la tête" qui apparaît en corrélation significative avec un autre passage, celui de « l'autochtonie niée (naissance de deux parents) à la destruction de soi ».  Nous proposons de situer ces notations dans l'approche des plans de l'être que nous ferons en dernier et sur un mode synthétique, en suivant ce cheminement du "pied à la tête" qui nous montre que toutes les instances du sujet sont intéressées dans ce mythe.

 



 

12.1 Anthropologie linguistique et phonétique

Nous nous permettons de souligner deux remarques que l'auteur émet dans le domaine scientifique et qui nous paraissent avoir leur importance sur le plan épistémologique, car en affinité avec les éléments de notre mémoire, sur le versant langagier. Explicitant les rapports entre langage et parenté, dans le premier tome de L'Anthropologie structurale, notamment à propos du continuum des lignées, C. Lévi-Strauss signale, page 40, l'importance de la phonologie qui a renouvelé les perspectives linguistiques. Citant Troubeskoy, il retient quatre démarches fondamentales : en premier lieu, « la phonologie passe de l'étude des phénomènes linguistiques conscients à celles de l'infrastructure inconsciente. Elle refuse de traiter les termes comme des entités indépendantes, prenant au contraire comme base de son analyse les relations entre les termes ; elle introduit la notion de système. Enfin, elle vise à la découverte des lois générales qui sont trouvées par induction ».

Ainsi, dans une perspective nouvelle, « …comme les phonèmes, les termes de parentés sont des éléments de signification ; comme eux ils n'acquièrent cette signification qu'à la condition de s'intégrer en systèmes ; les systèmes de parenté, comme les systèmes phonologiques, sont élaborés par l'esprit à l'étage de la pensée inconsciente… Le problème peut donc se formuler de la façon suivante : dans un autre ordre de réalité, les phénomènes de parenté sont des phénomènes de même type que les phénomènes linguistiques ». A la page 104, relativisant le principe saussurien de l'arbitraire du signe, et cherchant à étayer les phénomènes psycho-phonétiques,  il fait référence à ce que l'on nomme sous le vocable de "synesthésie", un phénomène éprouvé pratiquement par tous les enfants et nombre d'adultes, où sont associés spontanément les sons du langage ou de la musique à des couleurs ou à des formes, comme en témoigne le compositeur Olivier Messiaen ; « Bien que les couleurs associées ne soient pas toujours les mêmes pour les phonèmes, il semble que les sujets construisent, au moyen de termes variables, un système de relation qui correspond, de façon analogique, et sur un autre plan, aux propriétés phonologiques et structurales de la langue considérée » ( Lévi-Strauss). Ainsi, un sujet dont le hongrois est la langue maternelle, voit les voyelles de la façon suivante : "i" blanc, "e" jaune, "é" un peu plus foncé, "a" beige, "à" beige sombre, "o" bleu foncé, etc. Et Jackobson, cité par l’auteur, remarque à propos de cette observation, que le chromatisme croissant des couleurs est parallèle au passage des plus hautes voyelles aux plus basses, et le contraste entre les couleurs claires et sombres est parallèle à l'opposition entre voyelles antérieures et postérieures, sauf en ce qui concerne les voyelles "u" où la perception semble anormale. Ces constatations rejoignent celle du psycho-phonéticien Fonagy (1983) dont nous résumons  les points essentiels de l’oeuvre.  Concernant le statut du style vocal, l’auteur note que « la vive voix, objet de la phonologie, s'oppose à la lettre morte ». La vivacité est inhérente à toute communication vocale  et la parole etant expressive, elle véhicule un message, elle reflète l'expérience affective du locuteur par l'intermédiaire du style. Fonagy pose le problème de l'isomorphisme de l'expression et du contenu qui exige qu'aux différents degrés d'intensité sémantique, correspondent différents degrés d'intensité sur le plan de l'expression sonore, ainsi : « A l'intensité de l'émotion, correspond l'intensité de l'activité musculaire, ainsi que le prolongement des voyelles et des consonnes, voyelles pour les émotions tendres, consonnes pour les émotions agressive ». Fonagy suppose une unité de l'acte verbal : « sans séparer la chaîne qui conduit du message au son, ou des sons au message, et ceci suppose que les sons concrets peuvent être expressifs ». Il définit, bien sûr, les divergences entre les règles d'ordre linguistique et paralinguistique (encodage secondaire gestuel, qui serait la tâche d'un modulateur qui n'est pas incorporé à la grammaire). Les messages stylistiques peuvent être expressifs et appellatifs, mais ils n'ont pas de fonction représentative. Se greffant sur les messages linguistiques, ils favorisent les attitudes et velléités pré-conscientes et inconscientes (Fonagy). S'ils sont relégués au deuxième plan par les messages linguistiques, ils jouissent d'une plus grande liberté.

Cette dévaluation sémiotique assure leur anonymat et leur permet d'exprimer de façon plus ou moins vague l'indicible. Ils n'échappent cependant pas aux conventions : allongement vocalique, palatalisation affective dans de nombreuses langues. Ce sont les organes de la parole, langue, glotte, etc. qui actualisent le phonème, unité abstraite qui ne peut apparaître dans le discours sous sa forme pure. Nous savons que les organes de la parole n'étaient pas destinés initialement à véhiculer des messages linguistiques, mais à remplir certaines fonctions biologiques, fonctions respiratoires, fonctions digestives, etc. Il en est ainsi des muscles abdominaux et thoraciques, qui par leur contraction servaient bien avant la naissance de la  parole et servent toujours à exercer directement ou indirectement une pression sur les intestins afin de faciliter la défécation. Ces mêmes muscles abdominaux servent à mettre en relief, par ailleurs, la syllabe accentuée des monèmes : ils jouent un rôle dans l'expression des consonnes occlusives.

Fonagy remarque, comme Lévi-Strauss, que beaucoup de métaphores accompagnent la phonation depuis les époques grecques et romaines, mais aussi chez les grammairiens allemands, italiens et sanskrits. Ainsi, les sons du langage y apparaissent comme des objets sonores, colorés (sombres ou clairs), grands ou petits, légers ou lourds, durs ou mous, secs ou mouillés, masculins ou féminins ; et le fait que toutes les grammaires du monde se servent de métaphores analogues, nous permet d'inférer un rapport naturel entre les phénomènes acoustiques et le terme figuré. Certaines constatations, dit-il, à certaines époques et dans certaines civilisations valent bien un test psychologique.

Il y a concordance des tests  sémantiques chez les enfants hongrois et anglais qui assimilent aux voyelles et aux consonnes les mêmes métaphores que celles de grammairiens grecs ou français. Le "pe", le "te" et le "ke" sont plus durs que le "r" et le "l". Le "l" et le "m" sont plus sucrés que le "té", le "te" et le "ke" (il s'agit de métaphore gustative dans ce dernier cas). Différentes méthodes permettent d'établir des correspondances entre son et signification. Il est plus difficile de trouver le lien qui les unit. Celui-ci repose-t-il sur l'aspect acoustique, perceptif, ou sur l'aspect articulatoire et moteur, déterminant une pression intra-orale en correspondance avec les différents niveaux sonores du tube résonateur. Sans entrer dans le détail de  ces modalités, disons qu'il faut chercher les traits qui déterminent la métaphore dans le domaine intra-oral et moteur au niveau des différents lieux d'articulation. L'aspect gradient de pression en différents lieux de projection somato-psychique serait à la source de la différence entre le groupe de voyelles et celui de consonnes, à la source de la dureté qui oppose les dentales aux sifflantes, le "i" au "u". L'analyse phonétique agit au niveau pré-conscient, qui subit l'attraction de l'inconscient et Fonagy étudie les bases pulsionnelles de la phonation, à savoir les relations entre sons et pulsions partielles, comme par exemple les sons doucereux de la pulsion partielle orale, c’est à dire les bilabiales "ba", "bâ", "ma", ("mamma", "babba"), et les semi-voyelles "ya", "wa", "la".      La cavité buccale concernant l’articulation  aurait une dynamique  et une structure analogues  à celles que nous tentons de vérifier pour l’audition.  

12.2 La Tradition et le sonore

 

Ces notions de psycho-phonétique ne sont pas étrangères à la tradition. Qu'en est-il de la tradition hébraïque ?   Citons l’exercice qui consiste à associer en les psalmodiant (donc en y incluant la rythmo-mélodie) les  voyelles à toutes les classes de consonnes dans un certain ordre, puis dans l'ordre inverse, ce qui est un entraînement à l’aptitude à l'opposition et la  commutation propres au langage. Nous faisons référence à la tradition kabbalique (le terme Kabbale signifie recevoir), laquelle cherche à concilier les connaissances scientifiques avec le sens littéral des Écritures, à travers l’œuvre de Mopsik (1993). Dans cette recherche, chaque lieu de l'être est désigné par le terme de sephira que l’on peut traduire par nombre ou catégorie, mais aussi sphère ou lumière, avec idée de réceptacle, de contenant. Les Sephiroth, au nombre de dix, sont disposées en sept étages,  elles sont reliées entre elle par un axe central conduisant l'énergie divine : la shekhina. Se profile néanmoins une organisation trinitaire de ces "sphères"   le premier groupement est du domaine de la métaphysique et de l'idée, le second est d'ordre moral, et le troisième d'ordre physico-naturel, impliquant « l'idée de forces jetées en quelques sortes au fond des choses » Sérouya (1987). Ces Sephiroth, réceptacles de la lumière-conscience, sur lesquelles sont inscrites des lettres, sont référées au corps humain, « non pas à la forme de l'homme terrestre, mais de celle dont il n'est que le reflet » (ibid.), l'homme étant créée  à l'image de Dieu. Le corps est donc représenté d'emblée dans son aspect sémantisé. Freud dans sa représentation de "l’appareil psychique" s’est-il inspiré de ce modèle ou de celui de Platon qu’il cite volontiers : le divin Platon !

 Dans la culture hindoue, la réalité psychique est représentée au moyen des sept chakras ou roues, "l’énergie psychique" circulant le long de la colonne vertébrale, étant d'essence féminine : il s'agit de la Kundalini, à laquelle pourrait correspondre  la libido, et qui va subir un certain nombre de contraintes et de mutations, que nous décrivons au chapitre suivant ; celle-ci est polarisée en  énergie masculine et féminine (celles du soleil et de la lune), circulant d’un plan à un autre, ces plans symbolisant l’organisation, la structure du sujet, ainsi que  son développement (l’ontogénèse),  de même que  son évolution spirituelle. Plus précisément, chaque chakra est en relation avec un groupe de métamères (ensemble de nerfs émanant d'une vertèbre, et correspondant par conséquent aux étages cervicaux, dorsaux, lombaires etc.) et comporte un organe de perception et un organe  d'action (orienté vers un but, vers l’Autre, dans un processus dynamique)  ainsi que des correspondances psycho-phonétiques :  les grammairiens sanskrits nous apprennent, par leur expérience au niveau proprioceptif et cœnesthésique d'une part, et  par l'écoute subtile des traits distinctifs des phonèmes d'autre part, que les voyelles et les différentes catégories de consonnes inscrites au niveau de chaque étage (sur un chakra) sont évocateurs d’un plan résonantiel, leviers subtils pour notre pratique. Dans la mystique chrétienne Thérèse d’Avila  en fonction de ces lieux  use de  termes comme appartement, demeure, région, ou cabinet céleste.

 

12.3 L’approche pluri-disciplinaire des plans de l'être

 Auriol (1987,1991), par une approche pluri-disciplinaire et inter-culturelle, fait correspondre à chacun de ces plan ou étages  une pulsion partielle, proposant une interprétation des interactions psyché-soma, sur un plan "énergétique" » Nous suivrons donc  la classification d'Avalon (1950) dans la perspective de Baudouin (1970), reprise par Auriol ; nous ferons aussi référence à certains mythèmes relatifs à Œdipe, à travers l'œuvre de Vernant et Vidal-Naquet (1986) qui se sont surtout intéressés à l’ensemble des tragédies de Sophocle, en continuité avec l'œuvre de Lévi-Strauss, qui prit en compte les unités constitutives du mythe à travers toutes les cultures. Notre approche théorique de la division  et de la structure du sujet conjugue donc plusieurs points de vue apparemment éloignés, que nous regroupons au niveau de certains points nodaux, nous permettant de mieux écouter d’où parle un sujet.

Figure 15 - Structure du sujet – Tableau synoptique (CHAKRAS)


 

 

Fig. 16 – Comparaison  entre les chakras du yoga et les Sephiroth de la tradition judaïque de la Kabbale

Fig. 17– Structure du sujet – La Kabbale (Sephirots)


12.4 Descriptif des plans de l’Etre

              

               I - Le Sahasrara

Il est le chakra de la réalisation de l’être ou du soi dans l’unité et la transcendance, concernant des états se situant hors de notre espace-temps. Conférant un sentiment océanique ineffable, il est appelé "monde de l'En-sof", monde de l'infini dans la mystique juive, symbolisé par Kether,  la couronne. Chez les chrétiens, c’est le "royaume de cieux" . Il s'agit de  l'état de pure conscience  chez les hindous  représenté par un lotus à mille pétales au dessus du crâne au niveau du Sahasrara. Signalons que le bouddhisme Zen invite à méditer sur le vide, ou plutôt la vacuité, qui n'est pas manque, mais origine des origines et, en fait, la réalisation du monde lui-même.

               II - Le support : Muladhara, (de mula, la racine)

On le situe au niveau du pied et de la base du corps. Il correspond au coccyx, point de départ de l'énergie circulant dans la colonne vertébrale. Ce centre est référé à l’élément « TERRE ».

Ce plan correspond au début de la vie, aux premières relations mère-enfant. Organe de perception : l'odorat ; organe d'action : le pied, les membres inférieurs et le plancher pelvien, le tout constituant le "support" du corps,. que nous entendons au sens de l’enracinement au sol ainsi  qu’au plan réel "d’être  porté"  pendant la vie intra-utérine.

 L'odorat représente une information sensorielle qui, avec les manipulations corporelles, établit entre la mère et son enfant une communication circulaire qui fonde les premières orientations sociales du bébé. Au deuxième jour de la vie, le bébé parvient à reconnaître l'odeur de sa propre mère ; au troisième jour, il manifeste une poussée sécrétoire de ses glandes sébacées ; au quatrième jour, les mères, les yeux bandés, parviennent à reconnaître l'odeur de leur propre bébé. Un placement en couveuse peut  donc fortement perturber  l'établissement de ces liens. L'organe d'action de ce plan en est le pied qui "porte" le corps ainsi que les structures responsables de l'équilibration (canaux semi-circulaires  proches de l’oreille), instaurant les notions élémentaires de verticalité et d’horizontalité pendant la vie intra-utérine. Porter et bercer représentent ce que Winnicott a décrit sous le terme de holding. Le besoin de sécurité, l'attachement aux êtres et aux lieux, les comportements d'inprinting répétitifs, les attitudes fusionnelles représentent les modes d'être de ce plan basal et narcissique. Les sons corrélés à ce plan sont les sifflantes : SHA, CHA, SA, auxquelles est associée la semi-consonne VA, cette classe de consonnes assurant à celui qui les prononce ou qui en est traversé un sentiment de continuité dans son être, de sécurité, d’ insouciance, de plénitude… lesquelles sont menacées lors de ruptures ou accidents concernant l’enfant et l’adulte (deuils  etc.) et la cure audio-phonologique  insiste sur la prononciation de ces consonnes à valeur structurante.

Œdipe et les hommes de sa lignée sont affectés au pied. Labdacos est le boiteux, Laïos, le « gauche »,  est mal latéralisé, et ŒDIPE vient de OIDES, l’œdème (il eut les pieds percés, et transporté dès sa naissance sur le mont Cithéron). Cette métaphore corporelle atteste que leur "défaut fondamental", au sens de Balint, se situe au début de la vie, de l'espace psychique (le temps se spatialise au niveau de la structure) : ce qui sera pour nous, dans l'anamnèse, le trauma précoce, l'abandonnisme, les souhaits de mort, l’attitude incestueuse  etc. Rappelons que le vers 1176 d'Œdipe Roi relate ce que l'oracle révéla aux parents d'Œdipe : « Qu'un jour il tuerait ses parents ».

Dans le yoga, ce centre (Mouladhara chakra) est le point de départ de la Kundalini qui va se polariser en énergies positive et négative circulant dans la colonne vertébrale ; un phallus (lingam) dans le réceptacle féminin, y symbolise l’union parentale ; doté de quatre pétales, représenté par un éléphant, évocateur de la stabilité, il se situe au point de départ de l'ontogénèse comme matrice et comme contenant, assurant enracinement et sécurité ; il est susceptible d'évoquer aussi la mort, si l'énergie du sujet est "nouée" (fixée) à ce niveau. La tradition parle des quatre anesthésies relatives à ce lieu, à savoir : la paresse, l'inertie, "le besoin de rester là" (attachement), le désir de sécurité avec attitudes  automatiques et répétition. C'est à ce niveau  que nous pouvons situer la pulsion d'auto-conservation  où la vie se dialectise avec la mort.

Dans la mystique juive, il s'agit de Malkhout, pôle féminin de l'édifice, aux fonctions mécaniques et biologiques, définissant un réel  assorti de tensions à la fois créatrices et destructrices.

Un exemple clinique : Mireille, schizoïde, n'a pu se lever ce matin en raison de  l’état de raideur extrême de ses jambes : je suis un vrai légume… c’était mort. Elle peut avoir de nuit comme de jour des  mouvements automatiques au niveau de ses jambes, de même  une incontinence anale dans certaines situations (ce centre intéresse tout le bas du corps). Marcher redevient une épreuve… Je suis amenée à parler du bas du corps… du support sur le plan structural ainsi que  des conditions de sa naissance : elle associe : sa mère avait déjà le cancer,  son père ne la voulait pas… Elle  apprit par la suite que sa mère voulait un enfant qui s'occuperait de son père (survie, auto-conservation).

  Au niveau de ce centre se pose le problème des origines, dont l'une est tournée vers l'infiniment grand, vers le haut… les idées et l'autre vers l'infiniment petit, le bas ou plan "terrestre", le biologique, les gènes. Nous donnons un exemple de l'utilisation de cette topologie dans un cas clinique : tel enfant de 7 ans,  phobique, endeuillé par la mort de son chien, demande à ses parents  "où  celui-ci est allé, maintenant qu'il est mort". A quoi il lui est répondu que "l'âme du chien est  montée  au ciel".  Demandant ensuite :  "d'où on naît",  sa maman lui raconte l'histoire de la petite graine, du papa et de la maman, et l'enfant de demander à ses parents d'où vient l'âme  et la graine ! Cette interrogation s'avérant angoissante et répétitive concernant le sujet et son devenir quant à son origine et sa fin, je suis moi-même questionnée : avec une gestuelle à l'appui, et après avoir pris connaissance des propres conceptions de l'enfant et de celles de sa famille  relatives à la chose, je situe les deux origines dans la verticalité de l'espace propre de l'enfant  et du monde (ô kosmos) du haut en bas.

               III Le Svâdisthâna

Situé au niveau du sacrum et de la région du nombril, il correspond à la zone que les chinois appellent le chaudron ou réchauffeur inférieur, termes évocateurs de la sphère digestive et du  plan de l'oralité. L’organe de perception en est la bouche et l’organe d’action la main. Ce centre est représenté par un crocodile tenant un lacet, symbole de l'aliénation et son élément est l’EAU. L’océan, symbolisant l'inconscient, y est figuré  surmonté d'un ciel sombre  parsemé d'étoiles. Ce plan correspond au désir de prendre, de découper, d'absorber dans la sphère orale, mais cela peut être aussi, sur les plans intellectuel et spirituel, une préfiguration de la pulsion épistémophilique (connaissance) ; l'univers de l'enfant —décrit en autres par Mélanie Klein— avec son effervescence et son hyperactivité, assorti de sentiments persécutifs et de fantasmes de corps morcelé, peut être relié à ce centre. Selon la tradition la crédulité, l’illusion, la fausse connaissance, l’absence de pitié  sont associées à ce centre.

Il s'agit ici du plan de l'oralité, avec comme organe de perception le goût, auquel s'associe la fonction de nourrissage, couper, mordre, morceler, absorber, (pouvoir laisser passer la nourriture le long du petit tuyau, le gosier).Il n'est plus question de tout avaler avec l'illusion qu'il n'y a plus de limite entre le dehors et le dedans. Du côté parental il s'agit de la capacité contenante, faite à la fois de gratifications et de frustrations... Œdipe a des parents qui l'abandonnèrent, les souverains de Thèbes (Laïos et Jocaste, avec attitude séductrice de cette dernière), et des parents qui le nourrirent, ceux de Corinthe le roi Polybe et la reine Méropé, après qu'il fut recueilli sur le mont Cythéron par le berger. Polybe et Méropé sont ses parents nourriciers, investis de tendresse, et faisant néanmoins figure de parents effacés dans la littérature. Ces deux imagos parentales sont confondues au départ Œdipe croyant que son père est Polybe. Il va les distinguer progressivement au cours de son enquête séparant Polybe de Laïos, qui lui a donné naissance, dont il hérite quant à son nom. C'est le père tué : le père symbolique. Il s'agit donc d'un dédoublement en parents adoptant et abandonnant qui peut renvoyer à d'autres images des parents et d'autres affects éprouvés. Freud, décrit ainsi le clivage du moi, la Spaltung, en 2 parties qui s'ignorent, une partie tenant compte de la réalité alors que l'autre en fait un déni., division que nous pouvons décliner selon l'ensemble des plans que nous décrivons (Muladhara, etc.)
D. Quinodoz réserve le terme :
- de clivage à la scission radicale entre des parties incompatibles, impossibles à synthétiser ou intégrer : comme l'aspect légiférant (des parents ou d'une institution…) et l'aspect permissif ! L'aspect idéalisé/dénigré, destructeur/séducteur. Les affects non liés pouvant entraîner des réactions très violentes, en cours de cure, comme tentatives de suicides, agressivité, réactions vertigineuses, somatisations graves, psychose…
- de dédoublement : à la scission d'aspects compatibles entre eux, apparemment du même registre, comme l'aspect tendre et l'aspect sensuel d'un parent L'évolution de l'Oedipe implique que le sujet dépasse ces deux identifications en une position qui soit la synthèse des deux imagos, leur intégration assurant un sentiment de cohésion du moi., l'intégration des affects permet que l'agressivité liée à l'amour, n'exerce plus une action destructrice. Voir autres étages…

 Les consonnes relatives à ce plan, selon les grammairiens sanskrits, sont évocatrices de l’oralité. Ce sont les bilabiales BA, MA, (baba, mama) ainsi que les semi-voyelles YA, RA, LA. Selon Fonagy  ce sont  les plus sonores des consonnes,  qui auraient de ce fait un impact sur les phénomènes perceptifs en général. Le M et le L exigent peu d’effort musculaire,  surtout par rapport aux palatales. Elles seraient liées à la succion, surtout au niveau du M, bilabiale-nasale, qui préfigure l’appel de nourriture, ainsi que le désir inassouvi. Le L, semi-voyelle, appelée aussi « liquide » évoque le mouvement de succion en un mouvement de la langue qui glisse vers les alvéoles supérieures en touchant doucement le voile du palais.

 Pour la Kabbale il s’agit de  Yesod, le fondement.

               IV – Le MANIPURA,

Il est situé en regard du plexus solaire et de la région lombaire.  Il régit la zone que les chinois appellent le réchauffeur  moyen  situé au niveau de  l'estomac, du foie, de la rate et du pancréas, organes régulateurs à action endocrinienne et métabolique. Il est associé   à l’élément FEU.

Son organe de perception est l'œil  lequel participe à l’organisation de l’espace environnant et de l’image du corps avec le concours de l’oreille et de l’organe de l’équilibre. Comme pour l’audition dans laquelle nous distinguons  entendre et écouter, l’intentionnalité du regard s’oppose à la passivité de la vision. Regarder implique pour un sujet  sa présence ainsi que son investissement libidinal. Les auteurs insistent  au moment du stade du miroir sur l’importance du regard maternel dans la constitution de l’image du corps, en une identification primordiale qui va promouvoir la structuration du « JE » (Zazzo, Lacan, Sami-Ali). Au départ le sujet est un visage  qui n’est visible que par un autre et qui commence par être le visage de l’autre. L’enfant, simultanément lui-même et l’autre familier et cependant étrange, est celui  dont le visage se met à exister selon le point de vue de l’autre qui est perçu comme un être réel qu’il tente d’approcher comme son double. Il y a confusion entre soi et l’autre, entre  l’intérieur et l’extérieur, la partie et le tout. Puis sur un fond de présence/absence : l’enfant découvre que l’autre du miroir n’est pas un être réel mais une  image en un début de différenciation.(cf. p. 45 la genèse de la latéralisation). Avec la vision binoculaire et la convergence s’affine la perception de l’espace et de sa profondeur avec instauration de la projection  visant à mettre l’objet à distance ainsi qu’à unifier l’image du corps qui jusqu’alors était vécue de façon morcelée. Ajoutons que l’instauration du monde de la représentation visuelle  tant corporelle que spatiale nécessite  de la part  de la motricité oculaire une attitude  active «  Il s’agit de la mise en œuvre d’une énergie pulsionnelle, libidinale et agressive qui permet de détacher l’objet de soi et de le localiser dans l’espace » Sami-Ali : (1974). Et l’auteur de faire référence à la dynamique anale : laquelle permet de séparer le sujet de ses perceptions  afin que celui-ci admette que quelque  chose se séparant de lui puisse exister  extérieurement à lui : « Séparation de l’objet maternel permettant  sa récupération sur le plan imaginaire » Cady (1988). Nous notons la clairvoyance des yogis qui au niveau de ce centre ont relié l’œil et le regard à l’analité. En effet :

Son organe d'action est l'anus : celui-ci a en commun avec l'œil le même type de musculature sphinctérienne lisse ou striée ; problématique de la rétention ou de l'expulsion, avec la possibilité de se séparer d’un produit du corps en l’anticipant en une maîtrise de sa corporéité. Discipline du besoin  pouvant être exigée à une certaine heure précise  par le parent éducateur, “ le sujet ne satisfait un besoin que pour la satisfaction d’un autre” nous dit Lacan dans  le « Le transfert »,  avec risque de passivisation  du sujet. Opiniâtreté, ténacité, volonté sont structurantes pour un sujet et nécessaires à la  poursuite d’un objectif, comme le fait de se mettre en colère à bon escient. Ces traits de caractère  subissent-ils une inflation avec agressivité latente ou manifeste, le sujet tendra  à avoir des attitudes dominatrices et impulsives, et il lui sera difficile de céder lorsqu’il le faudra. Apparaîtront tensions  dans la situation, colères, menaces. Nous rencontrons quotidiennement ces situations au cours desquelles un parent fait travailler son enfant. Ce dernier ne comprenant pas ou ne se concentrant pas… le ton monte… et la jeune oreille qui ne demande qu’à écouter la parole de l’adulte se ferme à tout message et à toute acquisition. A nous de faire découvrir à cet adulte ses possibilités vocales dans le but d’apporter sérénité à la situation… avec ses vibrations, la voix reflétant l’intention de l’être.

Sur le plan sonore, les dentales TA, THA, DA, DHA, NA, PA, PHA, y sont reliées. Selon le tableau de distribution statistique des consonnes, selon Fonagy, il y a une affinité entre les occlusives sourdes, le P et le T , et les velléités  agressives. Concernant les dentales en général le gradient de pression musculaire est élevé au niveau de l’articulation  et nous savons que la colère et la haine accroissent la tension musculaire,  prolongeant la durée de l’occlusion et rétrécissant le  canal buccal au cours de l’articulation, la phonation agressive et haineuse, produisant souvent une voix étranglée.

La kabbale le représente par deux  Séphiroth, HOD, l’honneur, et NEDZAH, la victoire

Sur le plan clinique, Sami-Ali (1974) attribue  aux troubles de la vision binoculaire   à l’orée de la constitution de l’image du corps et de l’espace tridimensionnel un certain nombre de désordres psychomoteurs  globaux comme les troubles de la latéralisation et de l’orientation temporo-spatiales  ou partiels : strabisme, bégaiement, dysorthographie, dyslexie.. Il leur attribue d’autre part une gamme étendue de troubles psychosomatiques : glaucome, céphalalgies, asthme, diabète, rectocolite-ulcéro-hémorragique. Les différentes divisions que nous proposons dans l’espace psychique au niveau de chaque étage  nous permettent de pouvoir spécifier chaque somatisation,  qui est souvent pluri-factorielle, avec le concours entre autre  des  plans suivants où se dialectisent la problématique phallique et  la fonction symbolique du père. Nous avons par ailleurs  mis en perspective et développé le  rôle  du miroir  sonore  dans la structuration de l’image du corps. 

  Concernant les troubles de la personnalité il peut s’agir de sujets recherchant le regard d’autrui, soucieux d’être fidèles à l’image qu’ils offrent au  monde avec comportement spectaculaire, séduction et  troubles  au niveau du corps .

 Pouvoir sortir, affronter la foule sans s’effondrer, pouvoir parler en public sans se figer sous le regard des autres sont les situations qui peuvent engendrer une grande anxiété, assorties de culpabilité, pensées intrusives et doutes  que supportent les sujets atteints de phobie sociale. A l’inverse il s’agira du voyeurisme, avec érotisation du champ du regard. 

Que dit le mythe ? Œdipe, roi de Thèbes, est trop sûr de lui, trop confiant dans son jugement ; il n'est pas porté à mettre en doute son interprétation des faits. Il se veut toujours et partout le maître, le premier. Il se définit avec une altière assurance, comme celui qui déchiffre les énigmes ; il existe un jeu de mots sur le nom d'Œdipe, qui signifie "pied enflé" (selon l'expression populaire : "avoir les chevilles qui enflent", inflation de l'ego, orgueil), mais aussi oida,"je sais" ; son savoir, sans le secours des dieux (la divination) se double de pouvoir, mais l'enquêteur se découvrira lui-même assassin. Il est obstiné et jaloux, et ses soupçons se portent d'abord sur Créon, son beau-frère, qu'il considère comme un rival de son pouvoir. Il a tous les caractères de l'hubris (insolence, orgueil) propre aux tyrans : « Tu te rebelles, tu refuses de m'obéir ! » dit-il à Créon. S'il domine le destin de sa cité au début de la pièce, il est à la fin une souillure abominable, un monstre d'impuretés qu'il faut chasser comme un bouc émissaire. Il ne peut plus soutenir le regard d'autrui. Il lui faudra, au prix de ses yeux, payer la clairvoyance.

               V - Le cœur,  

Il se situe au niveau de la région dorsale et thoracique : le yoga  nomme ce centre Anahata, nous indiquant qu’à ce niveau  le son est entendu sans le choc de deux objets., mais plutôt à la manière d’une caresse.

 Organe de perception : le tact fondant  l'enveloppe cutanée. Apparaît avec ce plan le concept de limite  et de contenance par rapport aux excitations externes et Freud attribue ces fonctions au Moi  qui  se constitue à partir de l'expérience tactile et de l'ensemble des expériences sensorielles et symboliques des plans sus-jacents tournés vers l’être et des plans sous-jacents. dévolus aux pulsions partielles, à orientation narcissique et matérialiste , la tradition symbolisant ces deux modes d’être par les deux triangles inversés figurés par le sceau de Salomon..

 On peut assigner au Moi le rôle d'enveloppe contenante qui fait que l'appareil psychique est susceptible d'avoir des contenus. Le moi peut être figuré comme une sorte de structure à double feuillet, que nous appellerions de nos jours "interface", le feuillet superficiel figurant le pare-excitation, le feuillet profond figurant une surface d'inscription des diverses traces. Le Moi assure une continuité temporelle de l'appareil psychique ainsi qu'une continuité  dans l'espace lui conférant de la sorte un  sentiment d'unité.

Dans Le moi-peau, Anzieu (1985) assigne trois fonctions à celui-ci : « une fonction d'enveloppe contenante et unifiante, une fonction de barrière protectrice du psychisme, une fonction de filtre des échanges et d'inscription des première traces, rendant possible la représentation. A ces trois fonctions correspondent trois figurations : le sac, l'écran et le tamis ». Ajoutons la fonction de soutien de l'excitation sexuelle : « …sur le fond de laquelle des zones érogènes peuvent se localiser et la différence des sexes peut être envisagée ».

L’Organe d'action est  le phallus dans les deux sexes, symbole de la création et du désir  associé à la loi. et au  dépassement dans le renoncement. Il s’agit dans ce cas du phallus imaginaire  lequel donne corps à la jouissance dans la dialectique du désir, l’enfant oscillant entre le statut d’être le phallus qui comble le désir  sa mère, ou de l’avoir par suite de la portée structurante de la fonction symbolique du père. Lieu du tact, de la limite par rapport au réel, du contact mais aussi pare-excitation  donc lieu de défense du sujet sur un plan réel (c’est la région du thymus, organe immunitaire), comme au  plan symbolique, en ce sens qu’il  est le lieu de l’affirmation de soi, à la suite des  identifications du sujet et nous pouvons le rapprocher du stade phallique de Freud.

 Les consonnes palatalisées et vélaires sont associées à ce plan : KA, KHA, GA, GHA, GNA, TCHA, CHA, JA, JHA, NYA, elles se distinguent des non palatalisées par une plus large surface de contact entre la langue et le palais dur. Leur lieu de projection dans la résonance étant le thorax. Ce groupement de consonnes se définit par une pression intra-orale maximale lors de l’articulation de celles-ci, cette pression étant nécessaire à la fonction de coupure et de limite dévolue à ce plan qui situe le sujet comme étant nettement individualisé par rapport à l’extérieur.

Pour la Kabbale, il s'agit de Tipheret, la beauté.

La circoncision du pénis est la marque visible d'une culture sur le corps ; elle représente l'affiliation de la partie sauvage du sujet. Elle concerne la relation à l'Autre, la transmission des générations. La puissance de l'homme passe de l'organe procréateur à la parole créatrice, du pénis au phallus, symbole de la création. « Le Verbe s'est fait chair, afin que la chair devienne Verbe » (Prologue de St-Jean). Dans la théorie psychanalytique, le terme de phallus s'est imposé pour connoter une fonction symbolique, dont la mise en place est essentielle à la juste position du sujet quant au désir, l'être humain étant marqué de la castration (renoncement). Le complexe d'Œdipe fait intervenir la fonction paternelle qui introduit, dans la relation, la médiation de l'interdiction et le registre de la loi (Conté et Safouan, article Phallus, Encyclopædia Universalis).

Si nous nous penchons sur le problème du sacrifice, et donc du renoncement, (castration ou –phi) nous notons un continuum : les prémices d'une récolte, la tête du bétail ou le premier enfant étaient sacrifiés et parvenaient de ce fait au monde des dieux et des mythes, arrachant la victime au monde de l'utilité ainsi qu'aux lieux de subordination au réel. Au moment où Abraham consent à sacrifier son fils, il y a substitution du bélier, mutation d'une violence interne ; puis un autre type de substitution apparaît : l'organe qui sert à unir les humains et à transmettre la vie servira d'union avec le divin (circoncision). Les faits, ensuite, se métaphorisent : le nom de la victime ou du bouc émissaire sera sacralisé. La métaphore prolonge l'opération de substitution avec rupture, transport et transfert de sens ; le nom de la victime est psalmodié. Sur un tout autre plan, dans l'infini renoncement, il s'agit de la répétition des noms du divin sous forme de prières, oraisons, mantra

D'autres types de circoncisions (purifications) sont requis - celle de l'oreille : affiner, éliminer les blocages de son écoute (cf. sélectivité en 3-4) - celle de la bouche : passer de la parole brute (cri) au langage articulé, du réel au symbolique - celle du cœur : il s'agit du présent plan de Anahata qui représente la limite entre l'amour narcissique et l'amour  tourné vers l’autre. Examinons  dans le mythe, que nous analysons comme un rêve, comment l’espace géographique et l’espace de la subjectivité se répondent, ainsi que les différents discours :

 Sur le plan politique, Œdipe est un roi puissant, un tyrannos ; il est le déchiffreur d'énigmes, celui qui sans le secours d'un dieu ni d'un présage, a su deviner par les ressources de sa seule intelligence, l'énigme du Sphinx. Il est le sauveur de Thèbes, le "premier des hommes", mais il "avait visé au plus haut". Il avait "lancé sa flèche plus loin qu'un autre". Il a franchi la limite assignée aux hommes. Sur le plan religieux : il oscille entre la condition de roi divin, et celle de bouc émissaire (pharmakos), que l'on expulse à Athènes. Le langage d'Œdipe apparaît comme le lieu où se nouent et s'affrontent dans la même parole, deux discours différents : un discours humain et un discours divin (Œdipe parle de l'oracle en le niant ; il émet des doutes sur les dons de divination de Tirésias ; Œdipe est incroyant). Au début, les deux discours sont bien distincts et comme coupés l'un de l'autre. Puis ils se rejoignent et l'énigme est résolue. A la suite de la révélation de son crime à Thèbes comme parricide incestueux, Œdipe arrive après son errance  à  Colone, qui est une circonscription d'Athènes, dont le roi  est Thésée le représentant de la loi, celui qui va le protéger.  Colone est présentée comme une zone limite : « Le lieu que tu foules est ce que l'on appelle le "seuil de bronze" de ce pays, le boulevard d'Athènes. Colone est à la frontière entre la Ville et l'intérieur du pays (Mésogée). C'est un lieu sacré, mais aussi un seuil, un lieu de passage. « Œdipe passe de sa vie errante à un état stable et heureux. L'airain est un alliage de cuivre et d'étain suffisamment dur pour symboliser ce qui est stable » Mouret (1986). Colone est aussi la frontière entre les dieux d'en bas, auxquels jadis Thésée rendit visite, et les dieux d'en haut, au point que le messager ne peut dire si la mort est venue à Œdipe du ciel ou de la terre et que Thésée adresse sa prière à la fois à la terre et à l'Olympe. L'espace sur lequel vivra Œdipe avant sa mort est partagé entre le bois sacré et l'espace profane, et tout ces mouvements vont le faire évoluer entre ces deux zones sous la protection des Euménides. « On y voit Œdipe, ayant franchi les frontières, s'installer sur une frontière, puis, (...) passer dans un autre monde. » (Vidal-Naquet) Remarquons qu’Antigone, dont Lacan souligne l’éclat, ne cesse d’invoquer les dieux d’en haut ( théou  anou) et les dieux d’en bas qui appellent leur justice propre pour le cadavre de son frère.

          VI - Vishuda, “le purifié”,

Il régit le cou et la partie supérieure du thorax et les bras,  L’organe de perception en est  l'ouïe ; l’organe d'action : le larynx et les organes de la phonation engendrant l’objet vocal.. L’élément en est l’ETHER, milieu impalpable de la propagation des ondes éléctro-magnétiques. A ce niveau, ce sont les vibrations acoustiques et la pulsion invocante nommée par Lacan : entendre, se faire écouter, parler : passer du cri, énergie pure, au langage articulé. Notons que celle-ci ne fut pas nommée par Freud qui ne jouissait pas de l’art le plus océanique qui soit : la musique.


La pulsion invocante organise la pulsion orale. Celles-ci se répondent : le cri est entendu comme une demande qui se situe en deçà et au-delà de la satisfaction alimentaire. L'attitude de la mère, son holding, les modulations de sa propre voix aideront l'enfant à différer ses assauts impulsifs teintés de colère.


Nous avons dit que les chaînes signifiantes se déroulaient dans le temps en précisant leur genèse et leur organisation.
L'être humain avant sa naissance est sensible au rythme du corps de la mère, (bercement de la marche, respiration, battements du cœur, péristaltisme intestinal, etc.) alliés à la rythmo-mélodie de sa voix filtrée par l'air du thorax et les différents milieux aqueux et osseux de son organisme. Dans la continuité de la musique s'instaure la discontinuité toute signifiante de sa parole… (Qu'en est-il lorsque ce rythme est rompu, sidéré, gelé ? : dépression, hémorragie, alitement ? psychose ?).
Nous avons relaté dans notre parcours les différentes articulations pulsionnelles. Le concept de pulsion invocante évoque l'élément temporel (voir introduction et test temporel de Leipp et….) élément qui va donner sa tonalité à toutes les autres pulsions partielles étagées, temps de l'attente, de la quête et du désir Le temps diffère l'automaticité pulsionnelle, c'est le temps de l'évanescence de l'objet qui fonde aussi l'écart existant entre la pulsion et son but… Il est un temps pour parler et un temps pour mastiquer (2 étages pulsionnels différents… ) avec le paradoxe de l'orifice nasal : Il est possible de respirer et humer en même temps : de même au niveau de la pulsion invocante, nous manions le souffle et le verbe.
Le bord pulsionnel, oreille, nez, œil… est serti de mots et de lettres qui lui donnent son existence, comme nous l'avons énoncé, lesquels sont réunis sur le nœud énergétique qu'est le chakra ou roue, sis à un niveau bien précis du corps, lieu des différences inscrites sur le corps

- Sur le plan phonétique, pour les grammairiens du sanskrit, ce sont les voyelles et les diphtongues qui sont corrélées à ce plan, le A , le I, le U étant prononcés sur le mode bref ou long, auxquelles nous devons ajouter le AM qui nasalise  toute prononciation et  le AH, appelé visarga qui fait mention de l’usage du H aspiré, ce denier nous montrant l’importance de l’air vibré dans l’acte de parole au plan réel comme au plan symbolique au point que le terme qui désigne l’air est celui qui désigne l’âme dans la tradition. Il s’agit d’ANIMA,  étymologiquement : vent, air, souffle, mais aussi existence, âme, le principe féminin de la psyché. C’est le souffle qui entretient la vie et que reprend la mort et c’est ce souffle qui donne l’énergie à la parole lors de la mise en vibration de l’air et des cavités résonantielles du sujet. Anima a son correspondant ANIMUS plutôt orienté vers l’esprit, la raison, le courage,  principe masculin de la psyché, la tradition faisant déjà référence à la bipolarité du psychisme. Il s’agit donc d’un centre identitaire impliquant choix de vie, mutations, conversions, recherche intérieure et les sentiments liés à ce  lieu sont le respect, la dévotion, la résignation. La Kabbale décrit ici deux Sephiroth : HESED, la miséricorde, la grâce, qui est régulée par GEBURAH, la rigueur.

Il s’agit d’un centre où les contraires et les structures d’opposition telles que nature/culture, vie/mort  vont se dialectiser  selon l’articulation signifiante au lieu de l’Autre du langage. Nous avons déjà parlé du double et de la relation duelle au niveau du plan visuel, avec le miroir  au niveau de MANIPURA ; il s’agit maintenant d’articuler par le langage ces structures en les opposant et en les reliant, c’est à dire de les symboliser au moyen des axes du langage :

- L’axe du choix des unités linguistiques, unités qui peuvent commuter (se substituer) dans un contexte donné, au niveau d’une classe d’éléments, ce choix fondant l’identité du sujet à divers niveaux au moyen de la nomination (identité sexuée, sociale, culturelle, etc.), le signifiant étant  le centre d’une constellation, le point où convergent d’autres termes dans des rapports associatifs( la libre association) en nombre infini que constitue la langue et surgissant  des différentes  mémoires du sujet que l’on commence à connaître actuellement.

- L’axe des combinaisons syntaxiques, c’est-à-dire l’axe des unités constitutives de la phrase ou d’un groupe de mots, la combinaison se faisant selon le mode de la succession : parler consiste à discriminer des phonèmes, lesquels forment des mots, (in praesentia) des phrases puis des catégories ; cela implique que le sujet ne soit plus en rapport d'immédiateté avec le monde et ses objets, ce qui a lieu dans l'établissement d'une distance et le renoncement à la toute puissance sur l’objet du désir (avec le concours de la pulsion de mort). Au moyen de la nomination du monde et de lui-même, le sujet accepte ce qu'il est, mais il peut refuser de voir apparaître à sa conscience l’image de lui-même qu’il n’accepte pas, sous forme de «  l’ombre » qu’il peut projeter sur autrui.

A l'échelon social, c'est la collectivité elle-même qui peut désigner une victime, dont l'exclusion assurera le retour à la stabilité du groupe. "L’ombre" ou le "double", éléments archétypaux, furent étudiés par Rank (1973) et une abondante littérature décrit le double. Le sujet qui vient au monde se sépare de son double placentaire qui meurt. Pendant les premières années, c’est l’entourage qui est son double. Ce peut être aussi le double hallucinatoire qui accompagne le sujet ou lui parle, ou selon les cultures le double en tant qu'âme du sujet, qui l’accompagne durant sa vie et survivant après la mort.

 Comme son nom l'indique, l'ombre aurait un versant inconscient, l'autre côté, la partie cachée de nous-même, que nous refusons, et que nous projetons sur autrui et un versant créateur, orienté vers l'idéal du Moi et le Soi. L'ombre est censée être dissipée par la dynamique de la chaîne langagière qui toujours opère séparation et rapprochement des unités linguistiques et Lacan  dans « La signification du phallus » attribue à ce dernier un rôle de copule au sens symbolique et littéral, la fonction de celui-ci étant de lier les termes d’une phrase dans le but faire tenir, mettre en tension  celle-ci.  

L’ambiguïté de l’ombre apparaît de façon éclatante dans la tragédie par le procédé du renversement de l'action en son contraire  qui, avec le pathétique et la reconnaissance de l'identité du héros, forment les éléments constitutifs du drame selon Aristote. Derrière le roi divin, apparaît l'autre face d'Œdipe, c'est-à-dire le bouc émissaire, exclu de Thèbes. « Œdipe est double : l'homme de décisions et de courage, l'homme qui pour tous est célèbre, qui le premier des humains, le meilleur des mortels, se retrouve le dernier, le plus malheureux, le pire des hommes, un criminel, une souillure, objet d'horreur pour ses semblables, haï des dieux et réduit à la mendicité et à l'exil. Celui qui est déchiffreur d'énigmes est devenu une énigme qu'il ne peut déchiffrer. Le justicier se retrouve criminel ; le clairvoyant, un aveugle ; le sauveur de la ville, sa perdition » Vernant (1986).

          VII- Le "troisième oeil" : Ajna  le Chakra du commandement,

Celui-ci est situé entre les deux sourcils au niveau du lieu appelé le troisième œil et entre les deux  pétales de ce centre nous rencontrons le troisième phallus, lequel symbolise plus spécifiquement les valeurs morales, la loi et les interdits rencontrés par le désir. Loi du surmoi archaique, pas un mot ! tu n’es rien.-Loi surmoique qui dépossède un sujet de sa parole (la censure, la malédiction), et loi symbolique, l’autorisant à assumer son désir dans le bien-dire « par laquelle il reçoit le commandement d’un devoir de devenir »  A.DIDIER-WEIL (1995),.

 Il s’agit du plan de la vision internalisée, de la conscience et de la représentation, lesquelles sont informées par les plans sous jacents. Nous pouvons lui attribuer la pulsion épistémophilique c’est à dire le désir de CONNAITRE, en relation avec la fonction symbolique du sujet., at en association avec les plans de base II et III C’est le pôle des mécanismes de sublimation, ainsi que  de l’approche du réel par la  télépathie, qui opère dans le silence, sans le langage, .

 Sur le plan sonore lui sont reliés les phonèmes complexes : HA et KSA, le K et le S appartenant respectivement au chakra du cœur et au chakra de base, symbolisant la synthèse du haut et du bas.

Pour la Kabbale, qui ne dénie pas la science,  il y a deux séphiroth : il s'agit de Binah ,l'intelligence, dont le siège est au niveau du cerveau gauche, et de Hokmah, la sagesse, qui reçoit l'influx divin, après le retrait de celui-ci du monde (tsimtsun) au niveau du cerveau droit (intuition)

 Dialectique du proche et du lointain, l'espace étant perçu de façon tridimensionnelle et pourvu de profondeur, et non dans la proximité et l'immédiateté du miroir. Poursuivons le mythe d'Œdipe lorsque celui-ci à Colone, après avoir quitté Thèbes dans la version commentée par Vidal-Naquet : « Le héros se sépare de la cité qui le juge » ; Sophocle, par un retournement dont il a le génie, dépeint l’arrivée du vieillard exilé. Il faut que la séparation, la prise de distance ait eu lieu. Si Œdipe aveugle ses paupières c'est qu'il lui est impossible de soutenir le regard d'aucune créature humaine ; celui-ci se situe maintenant dans le monde solitaire de la nuit, celui du divin Tirésias qui lui aussi à payé de ses yeux  avec le don de double vue  l'accès à l'autre lumière, la lumière aveuglante et terrible du divin. (...) "C'est donc quand je ne suis plus rien que je deviens un homme". dit-il à Ismène V 393, endossant sa mort psychique apparente, son effondrement : meurtre du double, traumatisme et vide, ce dernier ouvrant à une autre temporalité après la destitution subjective. Lieu des instances idéalisantes, de la relation au maître, dans le sens initiatique, ainsi qu'à l'autorité en général : Œdipe a rencontré, avant de mourir, la loi en la personne de Thésée, le roi  d'Athènes. Auparavant il avait quitté Thèbes qui est une anti-cité, propice aux tyrans et à la guerre civile. Athènes est la cité modèle, dont le chef n'est pas le tyrannos, mais le roi, le guide, le responsable du pays ; c'est une cité démocratique d'hommes libres, où le droit de parler est respecté  et où rien ne se décide sans l'aveu de la loi. Étymologiquement, en sanskrit, la racine AJ de Ajna signifie guider, mener, conduire ; celle-ci est à rapprocher du latin augeo : faire croître, aider à se développer, enrichir, rehausser. Ce centre a une valeur surmoïque indiquant que l'autorité familiale ou celle du maître est internalisée…. Puis la parole  tonnante  se manifeste à nouveau  d’en haut:

…Œdipe meurt dans un lieu sacré, après la sentence prononcée par Zeus, le dieu illuminateur. « Œdipe joue donc son dernier acte dans l'entre deux. » L'espace humain, divisé, a rejoint l'espace divin. Il s'agit de la tragédie du passage où tous les plans de l'être sont assumés.

 

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[1] Le terme de "spartoï" signifie : semés, disséminés. Il s'agit des guerriers, nés directement des dents du dragon semées par Cadmos, ancêtre d'Œdipe et fondateur de Thèbes, et qui s'entre-tuèrent. Cette dispersion, cette dissémination, corrélatives du meurtre collectif, évoquent pour nous la division maximale du sujet, les angoisses de morcellement, de l’identification projective.

 

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23 Avril 2003

© du texte Françoise Joffrin