Dr Bernard Auriol
Pour l’anecdote rappelons que jusqu’après la deuxième guerre mondiale, la tradition médicale voyait dans l’onychophagie un signe de perversité et d’onanisme (in Traité du Caractère d'Emmanuel Mounier).
Plus de 10 % des enfants scolarisés, garçons ou filles, se mangent les ongles (onychophagie).
Se ronger les ongles est surtout fréquent entre 10 et 14 ans mais l’onychophagie peut persister jusqu’à l’adolescence et même l’âge adulte.
L’onychophagie est une activité hygiénique normale de l’être vivant possédant des griffes ou des ongles. Il lui est utile de les entretenir ce qui implique l’usage des dents, sauf pour l’être humain qui dispose d’outils manucuriaux (ciseaux, coupe-ongles, limes, etc…). Cette activité hygiénique peut dépasser ce qui est utile pour prendre le caractère d’un symptôme : il s'agit alors, de se ronger les ongles de façon non maîtrisée, et les dents peuvent alors détruire une bonne partie de l'onglue au lieu d’en assurer la simple régularité et s’attaquer même à la peau avoisinante des doigts des mains ou des orteils. L'onychophagie apparaît dès lors comme un acte auto-agressif dérivé de la pulsion sadique orale retournée contre le corps propre du sujet et manifestant une forme d’anxiété dont elle constitue partiellement un remède. |
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("Les Grosses Têtes") (patientez SVP quelques minutes pour le téléchargement de l'enregistrement). |
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Bien des auteurs décrivent l'onychophage comme un
- sujet vif, hyperactif, instable, nerveux, tendu, autoritaire, anxieux- qui a du mal à extérioriser ses sentiments- on note parfois une forme de retrait : indifférence apparente, distraction- ou de refus : désobéissance, difficulté à écouter et mémoriser les ordres reçus
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Ce type de symptôme est augmenté quand l’environnement est plus froid, moins personnalisé, permettant moins d’interactions entre le sujet et les autres.
On peut notamment parfois observer concernant le sujet :
Pour L. Bovet, l’onychophagie serait en relation avec le tempérament cyclothymique alors que pour E. Mounier l’onychophagie est souvent révélatrice d’une forme de schizoïdie : « par excès de concentration, le sujet se ronge lui-même ».
On sait que se ronger les ongles peut résulter de frustrations accumulées, de la timidité et de la baisse de sa propre estime. Il semble y avoir un rapport entre l’onychophagie et une situation de tension affective frustrante qui engendrerait ce comportement auto-agressif. Le fait que les ongles soient des armes naturelles chez l’homme comme chez l’animal nous amène à considérer qu’ils sont solidaires de toute forme d’agressivité. |
L'agressivité n'est pas encore, pour l’instinct de puissance, cette frénésie qui en fera le moins domesticable des instincts ; elle en est le premier frémissement, l`irritation vitale. Il arrive souvent, qu'elle développe elle -même son propre frein. Ainsi, elle se signale souvent par l’habitude de se ronger les ongles, symbole d'agression : elle se retourne ainsi contre elle -même et simule de se désarmer (Emmanuel Mounier, p.575 sq.).
M. Bonaparte considère l'onychophagie comme une manifestation d'auto-érotisme et de masochisme, qui retournerait contre le sujet lui-même une agression primitivement adressée au monde extérieur et se manifestant, dans le fait de se ronger les ongles, sur le plan symbolique.
C’est assurément une conduite agressive culpabilisée, l’agressivité étant retournée contre le corps propre (auto-mutilation auto-punitive).
D’autres auteurs, remarquant surtout l’aspect de jouissance masochiste, expliquent que le sujet qui ronge ses ongles et mord ses doigts satisferait des besoins masturbatoires et se procurerait dans un même mouvement, le plaisir de l'acte défendu et sa punition.
La tendance agressive exercée sur le corps absorbe, tant que ça dure, l'intérêt entier de l'enfant ; il s’adonne à sa répétition avec des variantes, ne cesse d’en augmenter l’intensité destructrice, jouissive et douloureuse s'élevant vers un point culminant voisin de l’insupportable.
Pendant cette action de style auto-centré, narcissique, le sujet tend à se retrancher du monde ambiant (comme il le fait dans le suçage de doigt ou la masturbation) .
Emmanuel Mounier (p.520) décrit une forme de dépendance, basée sur un attachement infantile excessif à un des deux parents, dépendance qui entraînerait un souci excessif de l’ordre, des formes et conventions sociales, de crainte du « qu’en dira-t-on », d’intimidation chronique et diffuse, de croyances superstitieuses à de petits signes « providentiels ». « Cet intellectuel qui a la manie de se ronger les ongles sursaute, comme un enfant en faute, quand la sonnerie du téléphone le surprend dans cette occupation anodine » .
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Comme l'affirme une personne sur une fiche de discussion dans wikipedia, l'automutilation est beaucoup plus qu'un simple trouble de comportement. Lorsque vous êtes victime de ce trouble vous commencez à vous infliger des blessures. C'est un trouble mais c'est plus précisément un moyen d'apaiser ses souffrances, tout comme la drogue ou l'alcool. Pour que le trouble s'installe, il faut que la personne "future auto-mutilée" soit dans la "dépression" déjà depuis un long moment, ce n'est pas directement que l'on va s'attaquer à soi-même, c'est après avoir tenté mille choses que l'on ne trouve pas efficaces pour se sortir de sa "tristesse", de sa "dépression"... tous les termes de ce champ lexical... Peut-être, espèrent les personnes qui s'auto-mutilent, trouveront elles un moyen de sortir de ce malaise... mais ça ne fait qu'en créer un nouveau. Une personne qui souffre de ce trouble, déclare "Je sais de quoi je parle... avant de m'automutiler, je n'avais pas du tout tendance à m'infliger des blessures, je n'aimais pas du tout ça... je n'aime toujours pas d'ailleurs. Ca peut même affecter les personnes qui n'ont pas de tendance innée à s'infliger elles-mêmes des blessures, ça peut même être tout le contraire de celà… des personnes n'ayant jamais utilisé la douleur pour se sortir d'un malaise trop dur à affronter, "peuvent" essayer celà en pensant que c'est une solution comme une autre pour s'en sortir... Il est très difficile de sortir de ces situations de "dépendance". Pour cela, il est nécessaire de recourir à des aides; s'appuyer sur des amis et une famille qui vous soutiennent, sinon, le chemin peut s'avérer long et difficile... même avec des appuis, c'est quand même très dur de s'en sortir, mais dès que l'on a quelqu'un à qui parler c'est déjà énorme... ça soulage. Les médicaments sont souvent une aide précieuse, pour éviter de "craquer" trop souvent. Les médicaments sont surtout là pour modérer ces actions, parce qu'ils ne les suppriment pas. On peut éviter de se faire du mal dans certains cas et même beaucoup, mais moins qu'en l'absence de médicaments. |
Pour L. Kanner
- les suceur de doigts sont calmes, placides, difficiles à émouvoir
- alors que les rongeurs d'ongles seraient vifs, hyperactifs, autoritaires.
On relève que les enfants souffrant de douleurs abdominales d'origine anxieuse ou émotionnelles ("mal au ventre") présentent assez souvent d'autres symptômes, notamment l'onychophagie. Ce sont des enfants sensibles, nerveux, inhibés, avec de fréquents troubles du sommeil et des difficultés alimentaires. On remarquera que l'importance de la pulsion orale et l'association éventuelle à des "maux de ventre" font de l'onychophagie un symptôme très lié à la zone pulsionnelle orale et au svadhisthana chakra. |
Evaluation de l'onychophagie (C) Dr Bernard Auriol |
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Fréquence de se ronger les ongles
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? |
Gêne liée au fait de se ronger les ongles
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Angoisse liée au fait de se ronger les ongles
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Résistance au fait de se ronger les ongles
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? |
TOTAL = |
?? |
de 4 à 9: onychophagie absente ou très légère
de 10 à 14 : onychophagie modérée
de 15 à 20 : onychophagie importante |
Douleurs abdominales d’origine anxieuse, avec souvent, onychophagie (J de Ajuriaguerra) L'onychophagie est souvent associée à des douleurs abdominales ("J'ai mal au centre") Ces douleurs sont souvent purement fonctionnelles (tension des muscles lisses intestinaux, comme manifestation anxieuse ou émotionnelle) et nécessitent alors un traitement psychothérapique individuel ou systémique. Ils peuvent parfois être organiques (5 % d'atteinte organique sérieuse d'après D. J. Conway, 8 % d'atteinte organique décelable d'après J. Apley et al., et 42 % d'après J. L. Wood et al.). Dans ce cas, le diagnostic impose un traitement qui est déterminé par la maladie constatée (médicaments, intervention chirurgicale, etc). |
Certaines personnes se rongent, non les ongles, mais d'autres phanères : les cheveux. Par exemple, la main présente les cheveux aux dents qui les sectionnent, ce qui produit un petit bruit sec, source d'une sorte de jouissance. Est ce l'origine de l'expression "couper les cheveux en quatre" ?
Cette compulsion est à différencier de la trichotillomanie : dans ce dernier cas, il s'agit de s'arracher compulsivements des cheveux ou des poils. "La trichotillomanie, ou trichomanie, est un trouble caractérisé par l’arrachage compulsif de ses propres poils et/ou cheveux, entraînant une alopécie manifeste sur la partie du corps touchée. Elle est définie dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM IV) en tant que trouble des habitudes et des impulsions [...] Le mot vient des termes grecs thríx, tríkhos : poil, tíllo : épiler ou effeuiller et manía. Il fut utilisé pour la première fois en 1889 dans une étude de cas par le dermatologue français François Henri Hallopeau [ ... ] Les estimations actuelles suggèrent que 3,5 % des femmes et 1,5 % des hommes aux États-Unis ont un épisode de trichotillomanie significatif au cours de leur vie. Il semble que les enfants soient davantage concernés, mais ils peuvent plus facilement arrêter.Ce trouble serait assez commun et toucherait, selon les études, environ 1 à 2 % de la population" (WP).
Dans la pelade, la personne perd ses cheveux sans le vouloir, suite à un stress profond ou pour des raisons immunologiques à causalité mal déterminée. La pelade est un symptôme différent de la calvitie, souvent liée à certaines sécrétions endocriniennes, "testostérone", chez les hommes ou ménopause chez les femmes et ne semble pas lié à un stress particulier.
Pour décourager le geste, on peut s'aider d'un vernis à ongles au goût très amer, bon marché
On peut utiliser des méthodes comportementalistes comme le Habit Reversal Training (HRT ou entraînement à la modification d'une habitude); cette méthode comporte quatre étapes destinées à "désapprendre" l'habitude et le remplacer par une autre habitude, plus constructive ! On porte aussi attention aux stimuli déclencheurs du phénomène pour tenter de les éliminer plus ou moins totalement.
Certains médicaments seraient utiles, par exemple les anti-dépresseurs (on a montré l'utilité des produits suivant : clomipramine, fluoxetine, sertraline, paroxetine, fluvoxamine, citalopram, escitalopram, nefazodone and venlafaxine).
De même des anti-psychotiques à dose très faible (doses "filées") ont montré une certaine efficacité si on les associe à l'un des anti-dépresseurs cités : risperidone, olanzapine, quetiapine, ziprasidone, aripiprazole
Evaluer la situation : 1º) Déterminez les situations dans lesquelles vous avez tendance à vous ronger les ongles.
2º) Déterminez les situations qui provoquent ou stimulent votre habitude de se ronger les ongles.
3º) Déterminez les situations où vous avez réussi à éviter de vous ronger les ongles.
4º) Evaluez à des moments prévus à l'avance la situation de vos ongles.
Exercice d'autodiscipline :
Tous ces actes vous avez pu les contrôler
pendant quelques minutes consciemment et avec votre autodiscipline,
et peu à peu vous verrez comment vous pourrez contrôler cette habitude
et vous quitter le désir de ronger vos ongles POUR TOUJOURS ! .
Favoriser l'épanouissement personnel et la créativité
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=> les toxicomanes arrivent parfois à se sevrer par une démarche spirituelle, voire mystique, ou une passion amoureuse. Ce témoignage nous enseigne qu'il peut en être de même pour l'onychophagie. L'amour est capable de libérer, là ou les médicaments échouent trop souvent.
"Ce n'est pas le seul trouble "comportemental" dont j'ai
été atteinte mais les autres j'ai réussi, avec beaucoup
d'acharnement, à m'en défaire.
Je me souviens qu'à l'âge de 11 ans j'ai été atteinte
d'une manie à me laver les mains sans cesse qui a duré quelques
semaines, mais cela devenait tellement gênant et douloureux qui je me
suis convaincue de cesser et j'ai réussi.
Lorsque je suis devenue étudiante, il y a quelques années de
cela, j'ai eu mon premier appartement. Jusque là j'avais vécu
chez mes parents et ma mère passait son temps (elle le fait toujours)
à vérifier la fermeture des portes et cela m'énervait
beaucoup, je trouvais cela ridicule.
Sauf que, quand j'ai eu mon premier appartement, je me suis mise à
faire la même chose, multipliée au centuple. J'appuyais plusieurs
fois sur la poignée et faisais des allers-retours pour vérifier,
vérifier, vérifier, c'était un cauchemar. Je pense même
avoir sacrifié une année de fac à cause de cela. En effet,
comme mon angoisse ne s'apaisait qu'une fois dans la rue et que je mettais
beaucoup de temps à sortir, j'arrivais perpétuellement en retard.
[...]
J'ai essayé beaucoup de choses, manucure, faux ongles (quel cauchemar),
vernis amer, etc. Rien ne fonctionne et je me sens mal d'être différente.
Parfois dans le métro ou dans le train j'essaye de compter les
personnes aux ongles rongés pour me prouver que j'ai tort et que je
fais partie d'une minorité ridicule de névrosés onychophages.
J'ai bien honte, ça pas de problème. Mais quand l'angoisse survient
cela demeure un exutoire de choix, même la cigarette n'y arrive
pas, car si elle fait mal, elle ne provoque pas de petite douleur directe
comme l'onychophagie. C'est vraiment atroce ce que je raconte mais
c'est vrai.
Est-ce donc vrai que lorsqu'on est onychophage c'est pour la vie?
=> Certainement pas ! Rien n'est désespéré. Dites vous que vous pourrez vous aussi, un jour, avoir une certaine dignité ongulaire sans que ce soit pour plaire à l'autre, mais tout simplement pour se plaire à soi-même, pour soi-même.
Mon entourage considère qu'il s'agit d'un simple problème
de volonté et d'esthétique. Bref que je suis presque une souillon
qui s'en moque, alors que c'est loin d'être le cas. Seulement quand
je regarde mes mains, j'ai l'impression que ce que je vois, c'est
une porte ouverte sur ma douleur et que c'est une façon de
la montrer, quelque part une espèce d'appel, c'est ridicule mais c'est
peut être vrai. Comme un coin de moi laissé en friche, non maîtrisé,
reflétant mes tortures intérieures mal définies.
[...]
Note : très curieusement, la bibliographie disponible concernant l'onychophagie est des plus limitées
J. de Ajuriaguerra : Psychiatrie de l’enfant, 2° Ed Masson, 1980.- E. Benjamin et al., Lehrbuch der Psychopathologie des Kindesalters, Rotapfelverlag, Zurich et Leipzig, 1938.
- M. Bonaparte, , Des autoérotismes agressifs par la griffe et par la dent, RFP, 1933, 6, 192
- L. Bovet, L'onychophagie, Contribution à l'étude de la pathologie de la personne, Scheizer Archiv. für Neurologieund Psychiatrie, 1942, vol.49, 39-61 ; vol.50, 1943, 14-59.
coll. DSM IV TR , 4° ed. Masson, 2000- L. Kanner, Child Psychiatry, Springfield, Ill., Thomas, 1960.
E. Mounier, Traité du Caractère, Ed du Seuil, 1947- S.A. Shentoub et A Soulairac, L'enfant automutilateur, , Psychiatrie de l'Enfant, 1961, 3, 1, 111-146.
Bibliography en provenance de Wikipedia Anglais (2008 - 04 - 04)
dont proviennent aussi les deux photographies citées
- Anonymous, Dermatophagia. PubMed. Department of Health and Human Services (1997). Retrieved on June 15, 2007.
- Anonymous, Stop eating my fingers. 43 Things. Robot Co-op. Retrieved on June 15, 2007.
- Al Aboud, Khalid; V. Ramesh; and K. Al Hawsawi (2003). Dermatophagia Simulating Callosities (pdf). Dermatology Psychosomatics. Department of Dermatology. Retrieved on July 17, 2007.
- Baydas B, Uslu H, Yavuz I, Ceylan I, Dagsuyu IM (2007). "Effect of a chronic nail-biting habit on the oral carriage of Enterobacteriaceae". Oral Microbiol. Immunol. 22 (1): 1-4. doi:10.1111/j.1399-302X.2007.00291.x. PMID 17241163. Retrieved on 2008-03-22.
- Dutchman Offers 'Cure' for Nail Biting. The Washington Post (2007-09-08). Retrieved on 2008-03-22.
Penzel, Fred. Skin picking and nail biting: related habits.. Western Suffolk Psychological Services. Retrieved on 2008-03-22.- Leung AK, Robson WL (1990). "Nailbiting". Clin Pediatr (Phila) 29 (12): 690-2. PMID 2276242.