L. Bassou
Chapitre I
"Broderies psychologiques
sur un canevas physiologique"
I. Pavlov
(in Leontiev : le développement du psychisme
Ed. Sociales, 1976, p. 185)
A. Une mise en relation entre processus moteurs et/ou sensoriels et processus cognitifs se justifie - t - elle ?
B. Délimitation du champ d'investigation.
1. Sujet épistémique et code opératoire.2. Définition du cadre de recherche.
De nombreuses recherches, depuis une dizaine d’années notamment, sont basées sur des expérimentations mettant en relation des groupes de sujets contrastés par leur latéralité (le plus souvent manuelle, parfois oculaire et manuelle) et les résultats obtenus par ces sujets dans des tâches de type verbal, (Wheeler et Watkins, 1977 ; Broman, 1978 ; Bradshaw et Gates, 1978 ; Pynte, 1979) ; spatial (Mines, 1975 ; Kemp et Hande, 1979 ; Meyer, 1981) ; de mémoire (Klein, 1980 ; Riege et al, 1980 ; Leiber, 1982 ; Lempert et Kinsbourne, 1982 ; Brion et al, 1983) ; d'habileté intellectuelle ( Hardyck, 1977 ; Bryden, 1978 ; Gorden et al 1982,... )
Les neurologues utilisant une procédure plus individualisée basent une part de leur diagnostic sur les réactions comportementales de leur sujet dans des tâches définies spécifiquement en fonction du type de lésion ou de déficience qu'ils cherchent à cerner. Le plus souvent cette lésion ou cette déficience sont latéralisées. L'énumération des travaux récents serait longue. Luria (1978) décrit longuement les différentes épreuves qu'il utilise pour appuyer son diagnostic.
Les ergonomes, au départ, se sont intéressés à l'aspect moteur de la latéralité : posture de l'ouvrier en activité, plan de travail latéralisé etc... Avec l'introduction sur le lieu de travail d'appareils de visualisation - à surveiller notamment - leur attention s'est portée sur la prise d'information (Ochanine, 1978 ; Vermersch P., 1979 ; Fassima - Weill, 1979 ; Strizenec, 1981,...).
Les handicaps sensoriels : cécité, surdité, surdi - mutité envisagés dans une optique développementale ont orienté les recherches vers le rôle de la vision, de l'audition, de l'auditif articulatoire dans l'épigenèse ou la genèse des structures opératives ou figuratives de la connaissance (Oléron 8, 1957 ; Hattwell, 1966 ; Deleau, 1978 ; Paour, 1978 ...).
L'éducation et la thérapie ont bénéficié du large développement de la psychomotricité orientée vers l'analyse des habiletés motrices (Le Camus, 1976) ou vers des tentatives de rénovation pédagogique, tentatives qui ont soulevé bien des critiques. (cf. Le Camus, 1978,1979)
L'approche de la "dominance" hémisphérique par des méthodes de vision tachitoscopique et d'écoute dichotique a débouché sur des découvertes intéressantes : recherches de Kimura notamment sur les voies auditives. On trouvera dans Bertelson (1982) une revue de questions très détaillée des différents travaux portant sur les différences latérales comme reflet de la latéralisation fonctionnelle du cerveau, sur les problèmes conceptuels et méthodologiques qu'ils posent. De telles études soulèvent la question de la comparabilité de conduites relevant de domaines différents.
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A - La mise en relation entre processus moteurs et /ou sensoriels et processus cognitifs se Justifie - t - elle ?
La plupart de ces recherches mettent en relation, ou utilisent d'une part des résultats, le plus souvent qualitatifs, basés sur des comportements moteurs et/ou sensoriels, d'autre part des résultats, quantitatifs bien souvent obtenus à partir de processus cognitifs (prise et traitement d'une information).
Cette utilisation ou cette mise en relation sont - elles légitimes ? Si elles peuvent se justifier, il reste encore à poser la question :
- de la latéralisation de ces mêmes processus moteurs et/ou sensoriels comme facteur déterminant dans la réalisation spécifique des processus cognitifs concernés, du niveau ou du degré de cette détermination ;- du choix d'une tâche impliquant ces processus cognitifs, tâche qui devrait être la mieux adaptée au type de relation que l'on désire mettre en évidence ;- du choix ou de la prise en compte de l'âge des sujets, car comme le fait très justement remarquer Messerli (1980, p. 278) « ce qui est vrai pour la formation d'une notion ne l'est plus, nécessairement, pour son utilisation, ce qui revient à dire que ce qui est vrai pour l'enfant, en son développement, ne l'est pas forcément pour l'adulte ».
L'objectif visé ici n'est pas d'administrer la preuve des relations entre champs psycho biologique et psychologique mais de montrer que les deux domaines ne sont pas étrangers l'un à l'autre.
La psychologie, avec wallon et Piaget notamment, s'est intéressée aux aspects figuratifs et opératifs de la connaissance.
Nous verrons qu'avant de déboucher sur les concepts de fonction symbolique et d'opérations, le champ d'investigation a largement débordé le plan psychologique pour chercher dans le champ psycho biologique les racines premières.
L'intelligence, envisagée du point de vue de l'observateur, est essentiellement action. La multiplicité des comportements contribue à la formation de schémas divers : schémas d'action, perceptifs, etc .... Après l'âge de deux ans, la pensée comporte deux aspects différents :
« Un grand nombre d'opérations logiques, mathématiques et physiques se développent, en majeure partie spontanément, chez l'enfant de 6 - 7 ans et sont complétées dès 11 - 12 ans par des opérations propositionnelles ». (Piaget 1972 p. 80)
Nous allons présenter comment, Piaget et Wallon notamment, envisagent la genèse et les relations réciproques de ces deux aspects de la connaissance.
Pour Piaget les structures [1] cognitives procèdent d'une construction dont la source est à chercher dans les processus d'autorégulation - ou d'équilibration - qui gouvernent les actions du sujet. Dans le champ inter - relationnel qui nous préoccupe, la sensori - motricité est à la fois la base et le point nodal de cette genèse.
- La base car c'est à partir de la sensori - motricité que vont se développer par assimilations et accomodations successives, les structures opératoires dérivant des schèmes d'actions.- Le point nodal car grâce, essentiellement à l'imitation, sera assurée la transition entre une intelligence agie et une intelligence réfléchie.
Le rôle de l'action est primordial "c'est de l'action que procède la pensée" (1950, I, p. 20). Piaget reconnait que "la logique est liée au discours" mais l'étude doit déborder le plan verbal pour remonter aux sources de la pensée, dans la direction de l’action (1947, p. 5). Les opérations sont des actions intériorisées, intériorisables, réversibles et coordonnées en structures totales (1950, p. 45).
Débutant par une action à sens unique, "la connaissance est d'abord centrée sur l'activité propre" (égocentrisme) puis les actions se coordonnent et s'intériorisent en opérations, les groupements opératoires décentrant l'action propre en l'insérant dans des systèmes de transformations réversibles (1947, p. 10). Il y a donc une logique de l'action avant celle de la pensée.
Piaget distingue (1947, p. 157) l'expérience mentale,"simple imagination ou imitation de la réalité telle qu'elle est perçue" (c'est - à dire irréversible) de "l'expérience logique, série de raisonnements en vue de constater non ce qui se passera dans la réalité mais dans quel état de satisfaction ou d'insatisfaction se trouvera la volonté qui dirige la pensée'. "Les jugements des enfants sont reliés à la manière de nos mouvements, sans conscience des liaisons, sans implication consciente, ni liens démonstratifs. A ce stade (7 - 8 ans) l'implication constitue un phénomène moteur plus qu'un phénomène de pensée [2] ".
Ce n'est que vers 11 - 12 ans que l'expérience logique (dérivant du processus d'expérience mentale), intervient : effort pour prendre conscience de ses propres opérations (pas seulement de leurs résultats) et pour voir si elles s'impliquent entre elles ou si elles se contredisent (1947, p. 186).
Les informations tirées de la perception imitation, imagerie mentale, fournissent un support indispensable aux opérations issues de la coordination des actions mais n'en guident pas la construction. Au contraire, la structuration des aspects figuratifs est subordonnée à la construction des opérations.
L'image, en tant que symbole, est imitation intériorisée, elle est imitation de la perception [3] et non son prolongement résiduel en ses aspects sensoriels (1966, p. 8).
L’image anticipatrice qui se forme avec l'aide des opérations est indispensable pour la reconstitution (des mouvements et) des transformations (1966, p. 457). Elle est « l'imitation dune opération » (Sinclair de Zvart, 1967. p. 165).
L'image sert de support au raisonnement s "toute pensée verbale n'est pas formelle et il est possible d'obtenir des raisonnements corrects portant sur de simples énoncés dès le niveau de 7 - 8 ans pourvu que ces énoncés correspondent à des représentations suffisamment concrètes" (in Inhelder, 1955, p. 221).
Ce n'est que plus tard qu'une inversion de sens s'opère entre le réel et le possible. "Le possible n'est plus le prolongement du réel ou des actions exécutées sur la réalité mais le réel se subordonne au possible" (ibid, p. 220).
Les prises de conscience des actions propres permettent le passage du "savoir - faire", forme pratique de connaissance, à la pensée. Ce passage consistant "en une conceptualisation, c'est - à - dire une transformation des schèmes d'action en notions et opérations " (1974, p. 6).
La conceptualisation fournit à l'action "un renforcement des capacités de prévision et la possibilité, devant la situation donnée, de se donner un plan d'utilisation immédiate.., avec accroissement du pouvoir de coordination déjà immanent à l'action" (1974, p. 234).
Donc rôle prépondérant de l'action chez J. Piaget à qui H. Wallon reproche (1970, p. 45) "de ramener aux facteurs purement individuels de la motricité des pouvoirs comme l'usage du symbole et l'expression de la pensée qui ne peuvent appartenir qu'à un être essentiellement social".
Il "reproche aussi d'exclure explicitement de l'évolution psychique de l'enfant le rôle de la maturation, c'est - â - dire l'intervention dans les effets constatés de procès qui se seraient développés jusque là en dehors du plan psychique et sans interférer visiblement avec lui. Ainsi des procès physiologiques, ainsi des structures nerveuses qui continuent de se constituer longtemps encore après la naissance et qui deviennent fonctionnellement disponibles chacune à son heure" (ibid, p. 47). A lire cette critique, on comprendra aisément pourquoi, dès 1925, H. Wallon appelait son laboratoire "laboratoire de psychobiologie de l'enfant" (Galifret, 1979).
H. Wallon (1970, p. 96) souligne que "chez l'enfant les centres nerveux de la vie intellectuelle, c'est - à - dire les régions et les systèmes de l'écorce cérébrale les plus récemment évolués et qui sont les derniers à se myéliniser, c'est - à - dire à pouvoir fonctionner, laissent longtemps une sorte d'autonomie aux activités sensorimotrices et affectives, qui devront tomber sous leur contrôle.
L'objet de la psychologie peut être, au lieu de l'individu, une situation" (ibid p. 50).
Avant l'intelligence qui opère sur des représentations et des symboles, existe une intelligence des situations où l'action et les choses fusionnent. Le dédoublement du réel et de sa représentation viendra par la suite.
L'intelligence des situations est basée sur "l'intuition des rapports qui existent ou pourraient exister dans l'espace" (ibid p. 52). Mais lorsque l'enfant commence à parler il apprend la succession ordonnée, le langage se détaillant dans le temps. "Cette succession ordonnée suppose une simultanéité initiale, une intuition globale des parties qui auront à se distribuer d'une certaine façon dans la durée et qui doivent déjà occuper certaines positions réciproques" (ibid, p.80).
L'espace représentatif est un espace où l'ordre spatial, d'origine sensori - motrice est modulé par le langage et les "aptitudes intuitives" modelées par la sociabilité.
La fonction tonique "assure l'équilibre nécessaire à l'exécution de chaque geste ... la forme du geste étant déjà dessinée par la répartition du tonus dans l'appareil musculaire... (et) à cette accomodation en vue du mouvement se combine étroitement celle de l'appareil perceptif qui n'est pas moins tendue vers le but (vers l'objet) que celui - ci soit présent ou seulement attendu, pressenti et comme dessiné (lui aussi) dans l'attitude (du sujet)". (ibid, p. 148).
L'attitude, état combiné de sensibilité et de mouvement possède "le double caractère d'être simultanément ou alternativement préparation à l'acte et attente, prémouvement et préperception " le sujet étant en " état d'imprégnation perceptivo - motrice" (ibid,p. 149).
« L'imitation n'est pas copie trait pour trait d'un modèle dont l'image serait présente soit aux yeux, soit à l'esprit. Elle devance la représentation. Elle est ajustement des gestes à un prototype, qui n'est pas une figure mais un besoin latent [4] né d'impressions multiples » (ibid, p. 150).
L'activité au lieu d'être uniquement "tournée vers le monde extérieur pour en modifier les rapports, devient une modification du sujet lui - même... La conversion qui s'opère est celle de l'activité immédiatement utilitaire vers l'activité spéculaire" (ibid, p. 151).
H. Wallon estime "comme passage capital pour l'avenir intellectuel de l'enfant... celui qui le prend à sa fusion dans la situation ou l'objet... et qui l'amène au moment où il peut leur donner un équivalent fait d'images, de symboles, de propositions, c'est - à - dire de parties articulées dans le temps et graduellement mieux décomposables dans leurs éléments individuels [5] " (ibid, p. 155) .
La représentation est le fruit d'un travail dont l'imitation peut être tenue pour le prélude et aussi pour l'antagoniste. C'est la réduction en une sorte de résultante unique" qui rapproche l'imitation de la représentation. "Toute image, toute idée consistent à fondre dans la simplicité d'un moment unique de la conscience un contenu multiple d'impressions" (ibid, p. 160).
La bonne réussite d'une imitation ne s'obtient qu'au moment où l'acte devient "capable de se résoudre en fractions provisoires et successives sans laisser oublier en cours de réalisation, sa totalité ni son devenir".
Dans l'imitation littérale, "l'acte visible a pour guide un pouvoir d'intuition, de prévision et de distribution qui oppose à l'espace empirique du geste le milieu idéal où se dessinent les rapports à réaliser" (ibid, p. 164).
L'ordre de la pensée n'est pas donné par les évènements. Il est à réaliser mentalement. Une pensée normale doit pouvoir se détailler, s'analyser, devenir discursive pour subsister et s'utiliser. Les rapports des représentations entre elles ne sont possibles que par leur retour dans la durée.
Et des difficultés semblables à celles de l'imitation surgissent. "C'est la même implication mutuelle des termes qui devraient ne succéder, la même impuissance, non seulement à trouver l'ordre où les placer mais à les détacher les uns des autres, à les dissocier entre eux" (ibid, p. 165).
"Imitation et représentation sont la réduction d'impressions plus ou moins éparses en une sorte de formule unique et comme intemporelle. A toutes deux, il incombe de résoudre ensuite cette intuition globale en termes successifs" (ibid, p. 167).
La distribution dans le temps de ce qui se présente comme simple intuition momentanée, "le pouvoir d'organiser la durée en fonction de la représentation mentale est une condition fondamentale de la parole" (ibid, p. 195).
"Quand les relations des objets dans l'espace sont devenues étrangères à celui qui les perçoit, elles peuvent être sublimées et devenir un pouvoir latent de distribuer devant soi non seulement les choses mais encore les moments de la pensée" (ibid, p. 197).
Les aptitudes de l'esprit à grouper, classer, connaître résultent "d'une intégration mutuelle entre son activité déployée hors de lui et cet espace mental conquis sur l'espace perceptif, comme celui - ci l'a été sur les expériences sensori - motrices et sur les structures nerveuses qui leur servent de trame" (ibid. p. 229).
Les schèmes moteurs sont donc les éléments de base de la représentation, elle - méme support de la vie intellectuelle. "Pour qu'il y ait représentation il faut qu'à la réalité s'ajoute son double et qu'il ne se confonde pas avec sa matérialité présente avec les réactions motrices ou perceptives qu'elle est actuellement en train de susciter" (ibid p. 42).
Nous retrouvons cette analyse des rapports entre aspects figuratifs et opératifs chez les phénoménologues et les psychologues de l'école soviétique.
Chez les premiers "perception et motricité sont à considérer comme deux aspects d'un méme phénomène".
"Tout mouvement se déroule sur fond perceptif et toute sensation implique une exploration motrice ou une attitude du corps... Toute conduite instinctuelle ou intelligente se déroule sur un fond de perception d'une situation". (Merleau - Ponty 1964, p. 175). Pour lui (1945 p. 16) "il n'y a pas de définition physiologique de la sensation et plus généralement il n'y a pas de psycho - physiologie. Psychologie et psycho - physiologie ne sont pas deux sciences différentes mais deux déterminations du comportement : la première concrète, la deuxième abstraite".
Pour l'école soviétique et Leontiev [6] en particulier (1976 p. 175 et 55), le rôle de l'entourage est fondamental pour l'enfant dont les actions extérieures s'élaborent avec l'aide de l'adulte : imitation (imitation réflexe, échokinésie, écholalie, puis formes d'imitation supérieure), réaction d'abord au mot comme signal, puis au langage. Les actions déployées à l'extérieur sont intériorisées par passage au plan verbal.
Les modifications se reproduisent par un processus d'appropriation qui constitue le mécanisme de "l'hérédité" sociale (ibid, p. 185).
« Les organes des sens eux - mêmes sont le produit d'une adaptation aux influences du milieu extérieur et sont donc par leur structure et leurs propriétés, adéquats à ces influences ».
Ils n'accomplissent leur fonction "qu'à la condition qu'ils reflètent fidèlement les propriétés objectives de ce milieu" (ibid, p. 196).
Pour qu'il y ait reflet, il faut activité du sujet relativement à la réalité reflétée, et c'est ce dernier processus, qui grâce à son assimilation aux paramètres indépendants de la réalité, en porte le reflet.
Ainsi (p. 238) pour produire une image visuelle il ne suffit pas... "d'avoir l'objet devant les yeux".., il est nécessaire que se réalise le travail actif du système perceptif visuel avec la participation de ses chaînons efférents (la "rétine de l'oeil éduqué est à proprement parler la rétine d'un oeil initialement instruit par la main" d'après Setchénov).
Pas question pour Leontiev (ibid, p, 240) d'expliquer la présence du reflété devant le sujet lui - même par un homuncule contemplant, même par l'auto - réflectivité des structures nerveuses. C'est du côté de l'activité "laborieuse" qu'il faut chercher.
Le travail accomplissant le processus de production s'imprime dans son produit "ce qui était du mouvement apparait maintenant dans le produit comme une propriété en repos" (citation de Marx).
En plus "l'image intérieure, régulatrice de l'activité du sujet, s'imprime, elle aussi, dans le produit. Maintenant, cette image, sous sa forme reflétée en dehors, extériorisée, devient elle - même objet du reflet. Et c'est la juxtaposition dans le cerveau humain de l'image incarnée et du reflet de l'objet qui l'a incarnée en soi qui fait naître la prise de conscience de l'objet". Et ce dont on a pris conscience est toujours verbalisé.
Le rôle de l'action dans la constitution des opérations tirant leur source du schématisme sensori - moteur, l'interaction entre activités motrices et activités perceptives dans le passage du plan physique (le réel) au plan de la représentation ont été soulignés par tous les auteurs. A ce dernier niveau interviendront deux modes de représentation symbolique selon Paivio (1971 ; 1975) [7] , l'un de nature imagée, l'autre de nature verbale, conçus comme des systèmes cognitifs interconnectés mais fonctionnellement distincts [8] .
Comme nous venons de le voir, cette représentation symbolique trouve son origine dans les systèmes perceptifs et surtout moteurs. « Elle permet aussi, ou du moins renforce considérablement l'intériorisation des actions », Piaget (1972, p. 78). Nous pourrions en conclure qu'une mise en relation à partir de leurs productions observables entre, d’une part, les processus moteurs et/ou sensoriels et, d'autre part, les processus cognitifs où interviendraient opérations et modes de représentation symbolique dérivant, en leur genèse. de ces mêmes processus moteurs et/ou sensoriels, est clairement justifiée.
Mais nous avons à être beaucoup plus prudent : autre chose est l'activité extériorisée, autre chose l'action intériorisée ; autre chose la prise d'information, autre chose le traitement de cette information. Il faudra donc avant tout bien situer où s'effectue la mise en relation et préciser quels sont les objectifs visés. Ce qui nous amène à distinguer très schématiquement deux plans dans les processus cognitifs :
a) l'un de prise (de saisie), puis de réception de l'information : c'est donc au niveau périphérique des organes des sens que nous nous adressons, même s'il est difficile de dissocier toute la chaîne nerveuse; et par le processus de latéralisation nous savons qu'un organe peut être "directeur" par rapport à l'autre, dans la recherche et la saisie d'une information ;
b) l'autre de traitement de l'information, faisant appel aux opérations et aux systèmes de représentation et/ou de mémorisation. C'est donc à un niveau plus central que cela se passe, et par le processus de latéralisation, nous savons qu'un système de représentation ou de mémorisation peut, sous certaines conditions, être prévalent par rapport à l'autre.
S'il nous parait légitime, au plan psychogénétique, d'effectuer une mise en relation entre processus psycho - biologiques et processus cognitifs, l'utilisation, par exemple, d'une latéralité de « direction » au sens de (a) pour justifier un traitement au sens de (b) nous parait quelque peu abusive. Nous préciserons ce point de vue dans le chapitre II.
Si nous nous intéressons maintenant aux actes d'intelligence comme tels par opposition à leur expression symbolique, il nous faut distinguer dans l'aspect opératif, qui d'après Piaget, prolonge la motricité comme telle, deux types d'opérations : les opérations logico - arithmétiques et les opérations infra - logiques.
Les opérations qui se constituent aux alentours de 7 - 8 ans sont, selon Piaget, de deux ordres :
- les opérations concrètes de caractère logico - arithmétiques portant "exclusivement sur les ressemblances (classes et relations symétrique), les différences (relations asymétriques) ou les deux à la fois (nombres), entre objets discrets, réunis en ensembles discontinus et indépendants de leur configuration spatio - temporelle" (1972, p. 534).
- les opérations concrètes de caractère infra - logique ou spatiotemporel "sont des opérations constitutives des objets eux - mémes, objets complexes et cependant uniques tels que l'espace, le temps et les systèmes matériels". (ibid)
Bien que leurs structures soient semblables (à la classification, sériation, dénombrement dans les premières correspondent le placement le déplacement et quantification ou mesure dans les secondes), bien que toutes deux relèvent également du groupement et du groupe, bien que leur construction soit parallèle et synchronique et leur développement commun et solidaire, une distinction s’impose : les opérations logico - arithmétiques peuvent être considérées comme la forme dont le contenu est constitué par des opérations spatio - temporelles.
De plus, celles - ci se développent en s'engageant dans la construction d'un univers rationnel tandis que les premières participent à la constitution d'une logique générale.
Les opérations spatio - temporelles ont la particularité d'être accompagnées d'images mentales relativement adéquates et de pouvoir se traduire par des représentations figurées alors que ce n'est pas le cas pour les opérations logico - arithmétiques.
Cette distinction, à l'intérieur du champ des opérations concrètes, nous intéresse d'un double point de vue :
- du point de vue du sujet d'abord : bien que l'âge chronologique ne corresponde pas toujours à l'âge mental, il est important, à notre avis, de signaler, de façon précise, l'âge des sujets testés. En l'occurrence c'est à 9 - 10 ans, que les opérations spatio - temporelles atteignent leur plein développement alors qu'à 7 - 8 ans, elles étaient encore confondues avec les opérations logico - arithmétiques. Qu'en est - il de la latéralisation motrice et/ou sensorielle des sujets à cet âge là ?
- du point de vue de la tâche ensuite : le traitement cognitif porte - t - il sur un matériel exigeant un seul type d'opérations ? ou exige - t - il les deux ? et même s'il n'en demande qu'un seul, à quel niveau se situe l'exigence ?
Bien sûr, nous admettons qu'il sera difficile de trouver un matériel idéalement libéré de toute entrave soit figurative, soit opérative. Cela ne doit pas nous empêcher de préciser quels sont les aspects de la tâche que nous tentons d'analyser ou de maîtriser.
Notre expérimentation porte sur des opérations spatiales.
Nous allons justifier ce choix.
Notre première attitude a été d'ordre négatif : écarter les tâches exigeant une expérimentation physique ou logico - mathématique et les opérations essentiellement logico - arithmétiques.
Bien que des recherches très poussées aient été faites en certains domaines (Longeot, 1969), la complexité de leur utilisation demeure, car elles peuvent faire appel à différents plans de connaissance et à différents niveaux opératoires, sans qu'il soit possible de mettre en évidence ces niveaux.
De plus la verbalisation y joue un rôle important. Mais nous ignorons le poids de la verbalisation interne dans cette verbalisation extériorisée. Et le poids de cette verbalisation interne en tant que système de représentation par rapport à d'autres systèmes de représentation : imagés par exemple.
D'où une double difficulté surgissait
- celle de l'indifférenciation des rapports figuratif - opératif, toute expérience physique ou logico - mathématique comportant une part de figuratif parfois difficile à déterminer ;- celle de l'indifférenciation des systèmes de représentation, la verbalisation jouant chez certains sujets un rôle prépondérant, rôle joué chez d'autres sujets par une représentation imagée (ou motrice,...)
Cette double indifférenciation grevait dès le départ toute tentative de mise en relation avec des comportements moteurs et sensoriels latéralisés.
Le choix d'un matériel spatial était, à nos yeux, beaucoup plus positif pour deux raisons,
a) l'une tenant aux caractéristiques mêmes du matériel en rapport avec les opérations qu'elles exigent,b) l'autre tenant au stade génétique de développement des sujets de notre échantillon.
L'espace constitue très tôt, dès le niveau sensori - moteur, l'interface entre la réalité extérieure et les opérations du sujet en "sa double nature d'étendue des objets et de géométrie du sujet" Piaget (1977, p. 298).
Pour Wallon (1970 p. 219) "l'espace n'est pas primitivement un ordre entre les choses, c'est plutôt une qualité des choses par rapport à nous - mêmes et dans ce rapport grande est la part de l'affectivité, de l'appartenance, de l'approche ou de l'évitement, de la proximité ou de l'éloignement".
La représentation de l'espace (Verpillot, 1972, 1974) est élaborée à partir de la motricité grâce aux activités tonco - posturales, activités d'exploration, déplacements du corps propre, mais estime - t - elle (1974, p. 129) "dans la genèse de l'espace l'activité cognitive joue un rôle au moins aussi important que l'activité sensori - motrice".
L'espace perceptif résulte de la perception et de l'activité sensori - motrice qui dirige et coordonne les mouvements : « les domaines moteur et perceptif constituent la substructure des constructions représentatives » Piaget (1972, p. 526). Les formes perçues sont à la fois des indices sensoriels et des produits de la motricité puisque (ibid, p. 527) dans une forme vue en perspective par exemple, il intervient des "rapports virtuels" qui sont un produit de la motricité, l'élément sensoriel actuel remplissant à leur égard la fonction d'indice. Avec la fonction symbolique apparaît l'espace représentatif : imagination et action comme telle continuent à y jouer leur rôle, la représentation spatiale étant une action intériorisée. "On ne peut pas réduire l'intuition de l'espace à un système d’images puisque les réalités intuitionnées sont essentiellement les actions "signifiées" et non pas remplacées par l'image" (ibid p. 532).
Seules les transformations spatiales peuvent être imaginées sur le méme plan relativement adéquat de la représentation imagée que les états spatiaux (ce qui n'est pas le cas dans les autres domaines) : les images des "états" sont des figures de l'espace tout comme le sont les transformations spatiales. Piaget (Beth, 1961, p. 233).
Ce dernier point nous parait extrêmement important : la même représentation imagée pourrait être utilisée par le sujet pour imaginer des états spatiaux, donc des formes statiques, et des transformations spatiales, donc des opérations effectuées sur ces formes.
Chez un sujet donné, l'utilisation, en principe, d'un unique système de représentation pour la perception des formes et pour les opérations portant sur ces formes, de formes perçues qui sont à la fois des indices sensoriels et des produits de la motricité, facilitait, à nos yeux, l'approche des comportements latéralisés. C'est la raison pour laquelle nous avons choisi le matériel spatial comme matériel pour notre expérimentation. Une autre raison, et non des moindres, était la possibilité de ne pas utiliser la verbalisation externe, ni pour le traitement, ni pour l'expression de la réponse.
La tâche exigée des sujets sera la reconstitution d'une forme à deux éléments, vue au tachistoscope, à partir d'un seul élément présenté en vision libre. Selon les cas il y aura perception et complètement par reproduction, ou bien perception et tranformation avant la reproduction.
Pour passer de la perception à la représentation du résultat final il faut, à la fois, exécuter une action mentalement et coordonner les points de vue en pensée.
"A la base des structures qu'un individu peut réaliser mentalement il y a l'aptitude à disposer des relations dans l'espace d'après Wallon, pouvoir de les disposer et d'en disposer" Guillain 1979. Pour Piaget (1972, p. 331) "les actions qu'il s'agit d'intérioriser pour résoudre le problème ne consistent pas seulement en actions relatives à l'objet mais aussi en actions relatives au sujet et consistant à relier les uns aux autres les divers points de vue et à les mettre en correspondance avec ce point de vue unique qui est celui du plan de développement".
Or c'est à 9 - 10 ans que s'achève l'espace représentatif (Vorpillot 1974, p. 74), que l'acquisition du système de coordonnées rectangulaires marque l'achèvement des opérations concrètes spatiales avec coordination des perspectives (Piaget, in Beth 1961 p. 198), que la représentation projective s'impose à l'enfant (Piaget, 1972, p. 315), le sujet parvenant à prévoir les changements dus à la perspective (Piaget 1975 p. 112), que la déduction devenue immédiate s'accompagne d'emblée d'une représentation correctement imagée (Piaget, 1973, p. 312), que "l'avènement du symbolisme opératoire et ses catégories intellectuelles marque le moment où s'achève la double différenciation de la forme et du contenu de la pensée et où débute leur intégration, rendant possible le dépassement de la connaissance purement empirique vers la connaissance rationnelle des choses" (Wallon, 1945 p. 217). C'est aussi pour Gesell (1959, p. 43) "l'âge d'or de l'équilibre du développement".
Les formes spatiales que nous utiliserons présenteront des structures orientées droite - gauche, haut - bas. Pour le sujet percevant la forme, la reproduisant ou la transformant, une structuration de cette forme sera nécessaire tenant compte des directions : il y aura construction d'un système de coordonnées. Dix ans marque l'achèvement de la structuration des directions, la mise en place des opérations infra - logiques projectives portant sur un objet relativement à un point de vue.Dix ans représente aussi la période d'achèvement du stade des opérations concrètes, les opérations spatio - temporelles étant complètement maîtrisées. C'est l'âge que nous choisirons pour le premier groupe de notre échantillon. Le deuxième groupe sera constitué avec des enfants de 11 ans 6 mois, maîtrisant comme les premiers les opérations spatio - temporelles (infra - logiques) mais débutant, en principe, dans le stade des opérations formelles. Le problème de démarrage dans un stade de niveau supérieur ne devrait pas peser dans la résolution des items de notre expérimentation puisqu'elle exige des opérations spatio - temporelles que les sujets des deux groupes doivent maîtriser.
Nous émettons l'hypothèse que, malgré les 18 mois d'écart, dans des conditions d'expérimentation identiques, la réussite des sujets des deux groupes sera identique.
Matériel spatial, opérations spatiales d'identification, de reproduction et de transformation de formes ayant été choisis, il restait à déterminer le choix des stimuli élémentaires. Ce choix devait répondre à cinq conditions :
D'où l'avantage dune structuration a priori identique, et pour la perception et pour la mémorisation ;
L'introspection exigée en fin d'expérimentation devant permettre l'approche des processus de traitement, les indices introspectifs devaient être peu nombreux et assez prégnants pour que le sujet puisse verbaliser de manière la plus pertinente et la plus précise possible ce qu'il avait effectué réellement.
Les stimuli qui répondaient le mieux à ces cinq exigences étaient ceux
présentant une structuration haut - bas ; droite - gauche ; (exemple
ou
…)
Ces formes dérivées d'un item du test Reversal de Edfeldt (1970) ont été utilisées par J. Cambon (1978, 1980 a,c) dans le cadre d'une analyse des processus cognitifs mis en oeuvre dans le passage d'une orientation à une autre.
C'est ce même matériel que nous avons utilisé dans notre recherche préliminaire de 1980 (cf. introduction).
L'intérêt est qu'il fait appel à des notions projectives relatives au point de vue du sujet, notions qui ne sont pas facilement maîtrisées par les enfants et qui ont fait l'objet de nombreuses recherches. A l'origine de ces recherches, les problèmes d'apprentissage de la lecture : confusion entre certaines lettres, renversements de positions (Davidson, 1934, 1935 ; Deich, 1971 ; Asso et Wyke, 1971 ; Nelson et Wein, 1974) dont seraient responsables les orientations droite - gauche qui produisent beaucoup d'erreurs et d'autant plus que leur présentation est en alignement horizontal (Huttenlother, 1967 ; Vogel et Loughlin, 1978).
Edfeldt (1970) dans l'étalonnage de son test Reversal note 80 % de fautes imputables à l'orientation droite - gauche avant 6 ans ; ce qui lui permet d'affirmer que la possibilité de distinguer le symétrique de l'identique est un élément important de la "reading readiness" : appréciation de la maturité requise pour l'apprentissage de la lecture.
Verpillot (1972) consacre tout un chapitre à ces problèmes et montre que les transformations exigeant une distinction droite - gauche apparaissent plus difficiles que celles concernant la distinction haut - bas. Cette difficulté est retrouvée par Cambon (1980 a). Lurçat (1976, p. 136) signale que "la persistance de la désignation par translation jusqu'au CM 2 pour le couple gauche - droite tandis que la rotation s'impose pour le couple devant - derrière, met en évidence l'existence d'une projection du schéma corporel par réflexion analogue au reflet dans un miroir."
Piaget (1947, p. 81 et 55) fait allusion à la difficulté d'acquisition de la relativité de certaines notions, notamment de la gauche et de la droite, situe vers 8 ans l'abandon du point de vue propre et souligne les problèmes posés dans la formation des images mentales "la facilité ou la difficulté des anticipations intervenant dans les images, dépendent surtout de la complexité des relations en jeu dont les principales nous sont apparues être constituées par les références d'ordre, ... aux cadres et les voisinages polarisés (gauche et droite)" (1966 p. 121).
"Ce pouvoir de réalisation spatiale peut se montrer plus ou moins déficient chez l'enfant à qui des indications données même concrètement par l'exemple (haut - bas,...) peuvent donner de sérieux embarras". C'est Wallon (1945, p. 438) qui l'écrit en précisant les coordonnées de l'espace euclidien selon les trois sortes de rapports simultanés (haut - bas ; droite - gauche ; devant - derrière). Pour Rock et al (1981) la perception des formes étant le résultat final d'un processus figuratif, tout changement d'orientation qui altère la localisation perçue des côtés de la figure, affecte la description. Pufall et Shaw (1973) estiment que, même à l'âge de 10 ans, le système de référence personnel continue à fonctionner lorsque les codes topographiques sont absents. Freeman et Kelham (1981) le remarquent avec des enfants plus jeunes influencés par l'orientation d'un cadre externe de référence.
Dans une perspective plus neurophysiologique nous rappellerons la théorie d'Orton (Hurtiz et Rondal, 1981, p. 358) pour qui les discriminations haut - bas ont à voir avec la force gravitationnelle (asymétrique), les discriminations droite - gauche ont à voir avec l'organisation symétrique des excitations des deux hémisphères cérébraux, la perception de la figure symétrique droite - gauche entrainant le même modèle d'excitation, mais inversé entre les deux hémisphères. D'où l'hypothèse que la difficulté sera maîtrisée lorsque apparaîtra une dissymétrie fonctionnelle des hémisphères, en particulier lorsque un hémisphère contrôlera le langage.
Achim et Corballis (1977), à partir de travaux sur le singe, émettent l'hypothèse que la commissure antérieure reliant les deux hémisphères, peut être responsable du processus de renversement interhémisphérique de l'image en miroir tandis que les traces mnésiques tendent à être reflétées en miroir autour du plan sagittal, que la représentation mnésique soit topologique ou abstraite ; d'où le traitement des images en miroir gauche - droite comme si c'étaient des images équivalentes.
Utilisant des carrés ouverts sur un côté, Sekuler et Pierce (1973), montrent, à partir des temps de réponse, que les difficultés différentielles de discrimination droite - gauche ; haut - bas ; sont à analyser en termes de relations entre représentations corticales des stimuli. L'étude des performances en fonction des champs visuels n'apporte pas d'éléments convaincants : supériorité du champ visuel gauche mais seulement pour les verticales d'après Ellis et Sheplerd (1975) qui ne peuvent affirmer que le système de reconnaissance spécifique aux figures n'est pas sensible à l'orientation ; supériorité du champ visuel gauche aussi pour Haun (1981) mais seulement dans les temps de réponse et la précision en fonction du degré de complexité de la tâche. La supériorité de l'hémisphère non dominant pour le traitement de l'image en miroir est reconnu par Garren et Gehlsen (1981), par Dide in Hecaen (1978, p. 172). Les problèmes directionnels sont une source supplémentaire de difficultés pour les enfants dyslexiques (Fischer et al, 1978), la confusion d'identification gauche - droite étant impliquée comme signe de dyslexie plutôt que la dominance croisée main - œil. Mandas et al (1971) n'ont pas trouvé de différences entre sourds et entendants concernant ces problèmes directionnels ; Ruggieri et al (1981) travaillant sur le style cognitif notent une corrélation négative entre renversements de perspective et résultats au test des figures emboitées (Embedded Figures test).
Les formes orientées offrent la possibilité d'être tournées mentalement pour une comparaison avec une autre forme (Wahn et Foster, 1981). Mais la translation d'une forme sur l'autre demeure possible comme la saisie globale de la première forme à comparer à la deuxième.
C'est la rotation qui a été le mieux étudiée.
Farrell et Shepard (1981) démontrent l'existence de tendances mentales compétitives pour préserver la structure rigide d'un objet en transformation.
Pour Corballis et Mc Laren (1982) image et percept apparaissent occuper quelque espace interne commun, la rotation mentale possédant les qualités de la véritable rotation.
Pour un temps de présentation rapide, le temps des réponses correctes augmente de façon monotone en fonction de l'angle de rotation d'après Jones et Anuza (1982) qui ne découvrent pas de différences entre sujets classés d'après leur sexe ou la latéralité manuelle.
Le temps requis pour vérifier un symbole comme étant ou bien normal ou bien reflété en miroir semblerait être une fonction de l'orientation du symbole.
Eley (1982) constate que la rotation mentale n'est pas effectuée par tous les sujets. Il trouve des variations entre sujets et reprenant l'hypothèse de Corballis selon laquelle la rotation mentale n'est pas normalement requise pour l'identification de symboles tournés estime que l'identification par extraction de traits est plus rapide et plus efficace que la rotation mentale (sujets : des étudiants adultes).
Pour Cooper (1975) les sujets comparent initialement la représentation de la forme de test mentalement transformée avec une image de mémoire de la version standard de cette forme dans l'orientation pointée, le temps de réponse augmentant avec l'angle de départ, la rotation mentale se poursuivant au taux constant de 460° par seconde.
Mais ses formes sont très complexes et le fait de presser un bouton avec la main droite, l'autre avec la main gauche pour donner la réponse est susceptible de modifier les temps de réponse à partir desquels, à notre avis, il n'est plus possible d'échafauder des hypothèses.
Certains auteurs (Palmer 1980 ; Palmer et Bucher, 1981) utilisent des triangles pour créer un effet directionnel : un triangle équilatéral est vu pointant dans trois directions mais seulement dans une à la fois. Ils retrouvent des dispositions verticales plus prégnantes que les horizontales, un arrangement linéaire produisant des prédispositions , les caractéristiques d'orientation des éléments contextuels influençant le pointage perçu. Bien que le cadre de référence soit visuel, ils admettent que des références linguistiques ont été utilisées par certains sujets. La technique est intéressante, mais les figures constituées de petits triangles alignés ne sont pas sans quelque ambiguïté quant à leur analyse.
Des recherches sur les problèmes d'orientation droite - gauche en liaison avec la mémoire ont été menées par Corballis et al (1971), Vogel (1980), Shall et Egeth (1981), Dee et Rannay (1981). Ces derniers soulignent que les facteurs mnémoniques sont importants dans la production d'asymétries cérébrales. Pour les premiers, utilisant des pointes de flèches orientées, la symétrie droite - gauche ne peut être liée à la symétrie bilatérale du système visuel, le renversement image - miroir interhémisphérique étant dû à un transfert de mémoire plus qu'à un transfert perceptif (temps de présentation du stimulus 100 ms, âge des sujets:18 à 25 ans). Vogel (1980) travaillant avec des enfants de 4 à 5 ans (temps de présentation : 200 ms) sur la mémoire des orientations droite - gauche durant les premières 2500 ms après la réception des stimuli indique leur difficulté à "encoder" ces orientations dans une mémoire à court terme, à les retenir quand ils se concentrent sur d'autres caractéristiques en même temps ; d'où l'hypothèse que cette information est "à basse priorité". L'intérêt de cette recherche est de montrer aussi que la présentation de figures de comparaison arrête le traitement de l'information sur l'orientation droite - gauche non encodée en mémoire à court - terme. Si la réponse exige la recherche de la forme - cible parmi plusieurs formes présentées simultanément, cette réponse pourrait traduire des effets autres que ceux réservés au traitement de l'information : le mode de réponse introduit ainsi un artefact non contrôlable. Sholl et Egeth (1981) refusent aussi la symétrie bilatérale comme explication de la confusion droite - gauche. Pour eux, (sujets adultes, temps de présentation 200 ms) un stimulus est mis en code à l'intérieur de chaque hémisphère dans ses formes véritables (via input contralatéral).
Comme conséquence, l'orientation droite - gauche du stimulus est perdue dans le système de mémoire à long terme. L'intérêt de leur recherche tient à l'étude des effets de l'étiquetage verbal (utilisation d'une rose des vents) et à montrer que les "labels" égocentriques droite - gauche sont en correspondance avec les "labels" est - ouest.
Peu de recherches se sont attachées à étudier le rôle de la verbalisation implicite ou explicite dans une telle tâche. Hormis Palmer (1980), Palmer et Bucher (1981) déjà cités, Pynte (1973, p. 82) signale l'identification de stimuli visuels avec l'aide d'hypothèses perceptives effectuées sur le plan vocal, l'acte de "synthèse verbale" s'accompagnant de production d'hypothèses perceptives.
Nous avons choisi des bâtons horizontaux plutôt qu'obliques pour ne pas apporter de difficulté supplémentaire au traitement de la forme, les obliques et leur position dans l'espace étant moins facilement perçues que les verticales (Rudel et Teuber 1963 ; Royer, 1981).
Ces recherches sur l'orientation droite - gauche de stimuli visuels apportent des informations très diverses et d'un grand intérêt, mais elles font apparaître certains problèmes : l'utilisation de stimuli complexes, les temps de présentation assez longs, provoquent chez les sujets l'émergence de stratégies dont la complexité d'analyse est justement fonction de celle du matériel ou des procédures utilisés.
Par contre les formes que nous utilisons (exemple :
ou
) nous paraissent répondre aux cinq exigences déjà formulées :
Nous avons défini dans ce paragraphe 2 ce qui justifiait, à nos yeux, l'utilisation d'un matériel spatial et le choix d'une population d'enfants de 10 et 11 - 6 ans.
Pourquoi avoir choisi une tâche aussi simple que celle d'une identification et complètement de formes ? Pourquoi, pour un âge donné, avoir choisi la population "tout venant" et ne pas avoir fait un tri parmi les sujets ? Nous allons tenter de justifier la réponse à ces deux questions ?
Les décalages intra - individuels de développement cognitif traduisant certains aspects du fonctionnement cognitif ont été étudiés par Lautrey (1980, 1981, a, b,) : à l'intérieur de la période concrète, pour un même sujet, existent plusieurs niveaux de complexité opératoire, certains items sont réussis plus ou moins tôt selon le nombre de dimensions de transformations que requiert leur maîtrise ; certaines compositions réversibles opératoires deviennent assez cohérentes pour que le rôle de l'image cesse d'être indispensable alors qu'en des domaines voisins les formes d'intuition d'origine figurative y jouent un rôle "abusivement prépondérant".
Les sujets sont rarement au même stade dans toutes les épreuves de tests. Longeot (1967) trouve par exemple que 16 % de son échantillon présente des écarts de plus d'un stade entre différents items de ses épreuves opératoires et différentielles.
L'existence de ces asynchronismes pourrait être due au rôle plus ou moins grand joué par les configurations perceptives.
Pour Marquer (1978), Desprels - Fraysse et al (1979), apparaît aussi une interaction entre modes de présentation des données et stades de développement opératoire.
Pour Netchine (1981, p. 417) "plan de réponse manifeste et plan de mode d'obtention de la réponse entrent en interaction et constituent un système de relations dynamiques dont l'analyse est interprétable dans les termes d'une "négociation" permanente entre respect des consignes de précision et aménagement des contraintes externes. Dans cette négociation chaque individu réalise son propre compromis, dont la teneur résulte d'une multitude de facteurs". Pour Paillard (1976, p. 45) "la variété des stratégies mises en oeuvre pour accomplir une même finalité comportementale n'implique pas la création de structures de connexions nouvelles mais simplement une vicariance de stratégies alternatives préexistantes dans le système". Reuchlin (1978, p. 134) développe l'idée que chaque individu disposerait de plusieurs processus vicariants pour s'adapter à la situation dans laquelle il se trouve. Pour un individu donné, certains des processus seraient plus facilement évocables que d'autres.
Reprenant l'idée de Piaget (1972, p. XII) que "les travaux actuels sur les limites de la formalisation montrent assez qu'au delà et par conséquent en deçà de la formalisation existent des réalités "intuitives" dont il faut bien dégager les rapports avec les structures formalisées, si puissantes que soient devenues ces dernières", Reuchlin définit un processus de réalisation (1973, p 393) "qui aurait pour fonction de générer des contenus, c'est - à - dire des blocs unitaires d'information, non articulés, non sécables, susceptibles de fournir dans certains cas des modalités d'adaptation plus économiques que celles qui sont réglées par la formalisation".
Le fonctionnement de la pensée naturelle pourrait dépendre des deux processus, celui de formalisation au sens défini par Piaget, celui de réalisation au sens défini, ci - dessus, par Reuchlin. Chaque individu pourrait, selon la tâche, utiliser, l'un plutôt que l'autre. Ce qui expliquerait la variabilité intra - individuelle de comportement cognitif.
Mais il est possible aussi que les sujets se différencient les uns des autres en ce qui concerne leur tendance à privilégier tel processus plutôt que tel autre.
Les phénomènes d'hétérochronie diffërentielle ont été largement étudiés depuis les recherches de Witkin (Witkin et al, 1978) sur les styles cognitifs.
Définis en termes de processus se rapportant aux différences individuelles dans la manière de percevoir, penser, résoudre des problèmes, c'est surtout au niveau des performances dans les épreuves perceptives où il s'agit d'isoler un élément de son contexte, que leur utilisation parait la plus pertinente.
Les informations en provenance de l'extérieur peuvent être traitées plus ou moins activement en fonction d'informations intériorisées d'où les notions de dépendance et d'indépendance à l'égard du champ. (Damusis et Desjarlais, 1977 ; Huteau, 1980 a, b ; Ohlman et Mendelsohn, 1982).
Les différences individuelles peuvent jouer sur le traitement opéré à différentes étapes du processus cognitif de manière telle qu'une corrélation positive entre performances finales peut apparaître alors que les processus spécifiques qui les ont engendrées étaient complètement différents (Perrucheti 1981).
Les différences individuelles se grefferaient sur des différences précoces de développement, chaque individu développant ses capacités dans un domaine particulier.
Cette richesse dans la variété de comportements, chez un individu donné, ou entre individus, pour un âge donné, nous a incité à choisir un test cognitif très simple. Cherchant à comprendre les processus et non à établir des constats de performances, le nombre d'étapes de ces processus devait être le plus restreint possible. Cette variabilité aurait pu faire l'objet d'une approche à l'aide de tests appropriés. Nous y avons renoncé pour 4 raisons.
Pour conclure, nous décidons, aux âges considérés 10 ans et 11 – 8 ans
- de prendre la population "tout - venant" et d'analyser comment se comporte cette population ;
- de ne pas faire passer de test supplémentaire de type général (détermination du Q.I) [9] ou de type plus spécifique (tests de performance, ou spatial, ou, sur un autre plan, perceptivo - moteur par exemple).
Nous venons de définir un certain nombre de choix méthodologiques et les postulats sous - jacents à ces choix. Nous allons maintenant délimiter le champ d'investigation de notre recherche.
Noua avons vu que schématisme opératoire, perceptions, puis plus tard systèmes de représentation et opérations, sont dépendants de l'activité du sujet, de ses actions mentalisées. Les systèmes moteurs et sensoriels à l'épreuve dans la construction du sujet devraient l'être dans celle de ses composantes comportementales face à une tâche cognitive.
Il nous parait donc légitime de tenter une mise en relation entre processus moteurs et/ou sensoriels latéralisés et processus cognitifs.
Mais il nous parait tout aussi important de souligner que nous ne pourrons le faire que dans un cadre très strict, en spécifiant, chaque fois, les contraintes méthodologiques que nous nous imposons et en reconnaissant les limites de notre entreprise.
Rechercher les bases d'une éventuelle relation entre champs psychobiologique et psychologique exige que l'approche des processus analysée soit la plus "primaire" possible, libérée de toutes les formes de comportement qui pourraient émerger d'activités trop complexes ou trop élaborées exigeant de la part du sujet des stratégies elles - mêmes complexes et très élaborées.
Dans cette perspective nous sommes amené à faire deux remarques concernant a : le sujet, b : son comportement opératoire.
a) Sujet psychologique et sujet épistémique
Piaget (Beth, 1961, p. 329) fait une distinction épistémologique entre deux sortes de sujets :
- "le sujet psychologique centré sur le moi conscient dont le rôle fonctionnel est incontesté mais qui ne constitue la source d'aucune structure de connaissance et
- le sujet épistémique (partie commune à tous les sujets de même niveau de développement) dont les structures cognitives dérivent des mécanismes les plus généraux de la coordination des actions".
Donc, ajoute Piaget, "s'il existe une liaison entre structures logico - mathématiques et activités du sujet, c'est dans la direction du sujet épistémique". Pour lui, c'est en voulant dégager une logique de la coordination générale des actions qui caractérise le sujet épistémique que "l'analyse génétique rejoindra les problèmes de structure des coordinations nerveuses".
Bien que notre recherche soit basée essentiellement sur l'utilisation des systèmes de représentation, c'est à cette partie épistémique du sujet réel que nous tenterons de nous adresser.
b) Codes opératoires ou stratégies
Sous une forme très imagée, Koestler (1965, p. 29) prenant comme exemple l'araignée, fait la distinction entre la matrice : technique de fabrication de la toile qui peut s'adapter aux circonstances et les règles du code, obligatoirement observées, imposant une limite à la flexibilité de la matrice. Le choix des points d'attache par l'araignée relève de la stratégie et dépend du milieu, la forme de la toile sera toujours un polygone déterminé par le code, le code de règles fixes, inné ou acquis, opérant partiellement ou totalement au niveau de l'inconscient.
S'intéressant aux troubles de la résolution des problèmes, Luria (1967, p. 7) distingue un schéma - général ou "stratégie" de la résolution et à partir de cette "stratégie" des opérations ou "tactiques" conduisant à la solution.
Pour Vion (1981, p.88) les stratégies en tant que procédures de traitement comportent une dimension décisionnelle, l'intérêt étant focalisé plus sur les performances globales des groupes de sujets que sur la performance individuelle.
Pour Cambon (1978, p. 237) stratégie est synonyme de modèles représentatifs, de programme d'action et implique une dialectique du sujet et de l'objet déterminant un rapport de connaissances et un système de rapports entre les structures perceptives et les structures intellectuelles.
Les stratégies relèvent déjà de conduites élaborées. Où ces conduites trouvent - elles leur origine ?
Pour réaliser une tâche, le sujet dispose donc d'un code opératoire [10] que nous devrions trouver dans sa partie "épistémique", ce code étant la règle du jeu déterminant ce qui est permis. Parmi l'ensemble de choix possibles offerts au sujet, et à partir de ce code, un choix sera fait parmi les autres et ce choix sera une question de stratégie.
Cette distinction entre code opératoire et stratégie nous parait importante pour situer les études de mises en relation de processus moteurs et/ou sensoriels latéralisés avec des processus cognitifs.
S'agit - il d'études sur les latéralités, au sens large, considérées comme variables indépendantes ? Nous sommes dans le domaine des stratégies et les conclusions qui découleront de l'expérience devront tenir compte de leur diversité comme des réactions psychologiques des sujets au milieu expérimental. Elles permettront de déterminer des sous - groupes de sujets présentant certaines caractéristiques communes : les droitiers manuels se comporteront de telle ou telle manière par rapport aux gauchers, par exemple.
Si nous recherchons une relation avec un processus cognitif particulier, il sera nécessaire de préciser les caractéristiques de ce processus, les raisons qui pourraient justifier le choix vis à vis de la relation qui nous préoccupe et surtout définir des modalités expérimentales permettant une approche du code opératoire du sujet, c'est - à - dire cet ensemble de règles auxquelles le sujet obéit de manière plus ou moins consciente.
Mais Reuchlin (1978, p. 143) estime que si l'on simplifie indéfiniment les situations expérimentales, on ne retrouve plus un certain niveau d'organisation et une certaine finalité adaptative impliquée dans toute conduite car les processus en oeuvre ont été montés au cours de la phylogenèse et de l'ontogenèse dans le contexte de situations "naturelles", c'est - â - dire complexes.
Nous sommes entièrement d'accord avec lui quand il s'agit d'analyser une conduite. Ce que nous ne cherchons pas à faire, du moins directement. Tenter d'aborder un code opératoire, impliqué lui - même dans une certaine conduite, exige des situations expérimentales simples.
Certaines recherches se sont déjà orientées vers l'utilisation de techniques électro - physiologiques très sophistiquées comme moyen d'une approche différentielle en psychologie de l'enfant (Netchine, 1981).
Les techniques de tachistoscopie ou d'écoute dichotique, au plan présentation des stimuli, permettent aussi cette approche des "franges infra - conscientes des conduites" (Netchine, 1981).
Elles sont généralement utilisées pour déterminer une "dominance" hémisphérique. Nous préférons dire qu'elles touchent au code opératoire (code de base) du sujet, ce qui se justifie d'un point de vue psychologique puisqu'il y a résolution d'un problème, mais aussi d'un point de vue psycho - biologique puisque, nous le verrons sous II, le concept de dominance a évolué, passant d'un cadre rigide et absolu à celui plus souple et relatif d'une "dominance" pour une tâche donnée, à un moment donné.
Mais les techniques de présentation des stimuli, aussi sophistiquées soient - elles, ne sont qu'un instrument méthodologique. Elles placent le sujet dans des conditions expérimentales contrôlables par le chercheur. Elles ne renseignent celui - ci qu'indirectement.
Pour rester dans l'optique d'une approche du code du sujet il devient nécessaire - et nous avons déjà dit que les systèmes de représentation se situaient à un autre niveau que les systèmes perceptifs - d'affiner les méthodes de détermination des asymétries motrice et sensorielles.
Car nous ne pouvons pas raisonnablement mettre en relation le "fait" de taper dans un ballon avec le pied droit, de brosser le veston avec sa main droite, de regarder dans un flacon avec l'oeil droit et celui de résoudre de telle ou telle manière une tâche à caractère verbal ou spatial, même si nous pensons que cette utilisation préférentielle répétée n'est pas complètement étrangère à l'émergence des stratégies constatées.
Dans les chapitres III et IV nous décrivons respectivement les tests moteurs et sensoriels que nous avons utilisés pour déterminer les asymétries et nous essaierons de justifier notre choix.
En conclusion, il nous reste à définir, à présents notre cadre de recherche.
Choix méthodologiques et postulats sous - jacents sont repris dans le tableau synoptique ci - dessous.
échantillon "tout - venant" |
richesse de la variabilité intra et inter - individuelles |
10 ans e t 11 - 6 ans |
maîtrise des opérations spatiotemporelles |
matériel spatial |
- formes comme indices sensoriels et produits de la motricité, - adéquation des représentations des formes et de leurs transformations - verbalisation externe exclue |
formes à structures orientées droite - gauche |
- appel à la représentation projective - indices simples * de représentation * de mémorisation * d’introspection - verbalisation implicite pour certains |
présentation tachistoscopique |
approche - du code opératoire du sujet - de sa "mémorisation" sensorielle |
réponse dessinée |
verbalisation externe exclue temps mesurables - de réflexion - de dessin |
Notre recherche se situant sur un plan psychologique et non psycho - physiologique ou neurophysiologique, l'expérimentation devait placer le sujet dans une situation proposant des conditions de travail les plus naturelles et les plus proches possibles de celles exigées par une tâche quotidienne.
Bien sûr, l'utilisation du tachistoscope est une procédure artificielle. Mais dans toute prise d'information, les premiers instants pourraient être considérés comme primordiaux et cela ne peut être mis en évidence qu'avec une présentation de très courte durée.
- Bon nombre de tâches intellectuelles, chez l'adulte comme chez l'enfant, se réalisent à partir de données recueillies grâce à la lecture de documents présents sous les yeux du sujet. La lecture, ou la prise d'information, en pareil cas, exigent la vision de près, et une vision binoculaire. Nos sujets travailleront en vision de près, le stimulus étant présenté dans la partie centrale du champ visuel, avec des dimensions telles que, seule, la zone fovéale de la rétine des deux yeux sera stimulée.
Au moment de la stimulation il fallait éviter une saccade oculaire et une vocalisation interne. Le temps de présentation choisi de 25 millisecondes reste nettement en dessous du temps nécessaire à des saccades oculaires (100 ms d'après Fraisse, 1968) et à une vocalisation interne (200 ms d'après Fraisse et Florès, 1966, entre autres auteurs).
- Nous désirons savoir quel type d'information est utilisé par le sujet après la disparition d'un stimulus présenté très brièvement. D'où le problème de la représentation sensorielle et de ses prolongements en mémoire à court - terme. Pour l'étudier nous proposerons un test de mémoire sur des formes spatiales avec présentation pendant cinq secondes. Nous traiterons cette question dans le chapitre IV.
- La verbalisation externe sera exclue. La perception visuelle d'un stimulus spatial pose, en elle - même, assez de problèmes concernant la latéralisation éventuelle des processus concernés pour que nous n'y ajoutions pas celle d'une verbalisation explicite.
Ce qui n'exclut pas que certains sujets puissent utiliser une verbalisation implicite. C'est d'ailleurs l'intérêt des structures orientées que de pouvoir, soit être traitées globalement, soit être traitées analytiquement. Et dans ce traitement analytique la verbalisation intérieure pourrait jouer un rôle prépondérant chez certains enfants.
La verbalisation interne est à base audio - articulatoire et porte sur des représentations. Est - elle latéralisée ? Certains tests auditifs, qui restent à définir, devraient répondre à cette question.
- Il n'y aura pas de séances d'apprentissage.
Le sujet choisira son mode opératoire sans qu'il ait à l'expliciter en cours de test et, sans qu'il sache s'il est vraiment efficace ou non, l'introspection ayant lieu en fin de test et aucun jugement n'étant porté, par l'examinateur, sur les réponses du sujet. Simplement, avant la passation, quelques items permettront la familiarisation avec le matériel et avec la procédure, sans qu'il soit précisé au sujet comment il devrait faire si des difficultés surgissent (voir procédure).
- Le sujet dessinera la réponse en utilisant sa main préférentielle, en principe celle qui sert à l'écriture. Nous ne l'obligerons pas à jouer avec sa latéralité manuelle comme il est de règle lorsqu'il doit appuyer sur un bouton avec une main, sur un autre bouton avec l'autre main.
Nous venons de définir une certaine procédure et un cadre dans lequel elle évolue.
Notre hypothèse générale sera la suivante :
Prise d'information, traitement de cette information, modalités de réponse pourraient être en relation avec la latéralisation de certains comportements moteurs et sensoriels du sujet. |
- Existe - t - il des tests permettant d'approcher ces asymétries éventuelles ?
- A quel niveau de latéralisation faudra - t - il se situer ?
Ces problèmes feront l'objet du chapitre II.
[1] "Ces structures n'existent pas à titre de notions distinctes dans la conscience du sujet mais constituent les instruments de son comportement. C'est l'observateur qui les remarque en ne référant à un modèle et non le sujet". Piaget (Beth, 1961, p. 195)
[2] C'est nous qui soulignons.
[3] C'est nous qui soulignons
[4] Nous soulignons
[5] Nous soulignons
[6] Analyse dans Savoyant (1979), Youtsinas (1980).
[7] cf. M. Denis (1979, p. 39).
[8] De manière beaucoup plus large, Pavlov décrit deux systèmes de signalisation : le premier commun aux animaux et à l'homme celui des signaux externes ; le deuxième spécifique à l'homme celui des signaux issus du langage.
[9] J. Cambon (1980 a, p. 71) signale que dans sa recherche utilisant un matériel proche du notre "la division en QI élevé et QI bas n'est pas un critère pertinent".
[10] opératoire au sens très large du terme.