Dr Bernard Auriol
On a l'habitude de caractériser l'hypnose comme un "état de conscience altéré" (A.S.C.). C'est vouloir ignorer qu'il s'agit d'un jeu à deux qui consiste à se donner pour un "je à deux". Il est vrai que pour jouer ce jeu, qui ne soit pas de simulation, il convient de mettre l'un - au moins - des protagonistes dans un état psychophysiologique particulier, qui répond bien, en effet, à l'idée d' "Altered State of Consciousness". Les règles étant respectées, l'hypnotiseur ordonne et son alter s'y plie, jusqu'à s'oublier... L'histoire a mis l'accent, d'abord sur le "pouvoir" du premier (le "magnétisme" de l'hypnotiseur), puis sur la complaisance du second (la suggestibilité de l'hypnotisé), enfin sur les conditions psychologiques et physiologiques qui permettent ce type d'interaction (le transfert). Encore faudra-t-il s'interroger sur le renforcement du phénomène par appel au collectif : l'hypnotiseur a plus de pouvoir devant son public, l'hypnotisé cède plus vite s'il est accompagné, et d'autant plus que ses camarades vont bon train.
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Il déclenchait, en "passant" son fluide par des gestes de la main sans contact, des effets bénéfiques mais aussi des crises fort semblables aux convulsions hystériques. Ces convulsions elles-mêmes semblaient positives dans un second temps, la décharge ou la redistribution d'énergie qu'elles manifestaient étant suivie d'un apaisement ou d'une disparition de nombreux symptômes.
C'est peu avant la Révolution que Louis XVI condamna le mesmérisme.
Les convulsions que nous connaissons et dont il fut victime nous suggèrent qu'il y avait pas mal d'énergie à décharger, chez pas mal de gens !...
C'est à la même époque (1784) que le marquis de Puységur, élève de Mesmer, découvrit le "somnambulisme artificiel", qui permet à la personne magnétisée de parler et d'entendre; et aussi d'exécuter les ordres qu'on lui intime (non seulement aller ici ou là, mais percevoir des choses illusoires, modifier le fonctionnement des organes, etc...).
En 1843, Braid parle enfin d' "hypnotisme", insiste sur l'usage d'un objet brillant pour fasciner le sujet et commence à soupçonner l'importance des paroles pour produire cet état particulier. Dans son sillage, Liébault et Bernheim fondent l'Ecole de Nancy (1866 - 1886) qui explique tout par la suggestion et le fonctionnement purement psychologique du phénomène. En contre point, Charcot (1880), Janet et l'école de Paris insistent sur la physiologie. Freud ira voir tout le monde et en fera son profit.
Certains individus sont réputés avoir plus de pouvoir que d'autres. Ils jouissent d'une "autorité naturelle", sont comme entourés d'une "aura", rayonnent une chaleur, une sécurité ou une sorte de puissance fascinante, envoûtante. Par ailleurs, l'entraînement systématique conduit tout individu passionné et attentif à un certain succès qui peut, dans les meilleurs cas, rejoindre celui de ces personnalités hors du commun. Cette possibilité d'apprentissage conduit à penser que l'influence naturelle est basée sur la confiance en soi et la sérénité alliées à la conviction sans faille que l'effort d'imposer son pouvoir et le succès à y parvenir sont totalement légitimes et sans l'ombre d'une culpabilité. En termes psychanalytiques, il pourrait s'agir d'une identification à un Surmoi dominateur mais non agressif. C'est dire que doit y répondre l'identification du partenaire à un moi confiant et soumis. Ce rapport de Parent à Enfant explique peut-être l'importance mythique de la fascination par le regard au pays des illusionnistes et des hypnotiseurs de cabaret. Ils s'adressent ainsi à un schéma cohérent : il s'agit d'obéir au doigt et à l'oeil.
L'hypnose est probablement la combinaison de la suggestibilité naturelle (faculté idéomotrice) augmentée par apprentissage, en générant des circuits neuroniques réverbérants (en boucle), grâce à la focalisation de la conscience recherchée par l'hypnotiseur et favorisée par le transfert que suscite son prestige et sa compétence.
L'hypnotiseur utilise différents procédés pour renforcer la suggestibilité spontanée de son sujet : il utilise le contexte qui renforce son prestige, répète la suggestion pour créer un circuit neuronique réverbérant, tel que l'idée proposée trouve un commencement de réalisation. Dès la prise de conscience de ce faible début, l'hypnotiseur le fait remarquer et accentue l'image de départ avec pour conséquence une augmentation de la réalisation, etc...
Ceci est rendu possible par le fait, maintenant clarifié par la physiologie cérébrale ( idéographie ), selon laquelle toute perception (réelle ou imaginaire) s'accompagne d'une ébauche d'action, aussi infime soit-elle, liée à la signification de cette perception. Ceci est d'autant plus efficace que le flot de l'attention, qui structure la vie mentale, arrive à se dégager d'un projet précis. C'est dire que l'état d'éveil paradoxal que nous avons individualisé est tout à fait apte à favoriser dans une très large mesure ce type de phénomène si l'on se place dans des conditions particulières.
Il est devenu évident que cet état d'éveil paradoxal est hautement propice à l'accroissement de la faculté idéomotrice, que ce soit pendant ou même après cet état (dans les heures qui suivent). Une même évidence se présente pour la relaxation médicale qui conduit à de très intéressantes possibilités de guérison de symptômes (tels que troubles digestifs, dermatologiques, respiratoires ou cardio-vasculaires).
L'hypnotiseur utilise la suggestion pour accroître la suggestibilité, et cherche à conduire son sujet dans un état d'éveil paradoxal qui conserverait un rapport privilégié entre les deux protagonistes. Le sommeil hypnotique combine une augmentation de la suggestibilité liée au "transfert" et au prestige de l'hypnotiseur dans son contexte (hypnose simple avec EEG rapide), à un deuxième type d'accroissement de la suggestibilité qui tient aux caractéristiques neurophysiologiques particulières de l'éveil paradoxal (EEG avec ralentissement comme dans le véritable sommeil).
La suggestibilité est maximum vers l'âge de sept ans, plus grande chez la femme que chez l'homme, favorisée par les toxicomanies, d'autant plus efficace qu'il s'agit de phénomènes liés à l'émotion et aux images: on obtient facilement toutes sortes d'illusions et d'hallucinations. Mais on sait aussi atténuer des brûlures ou produire des phlyctènes, négativer une cuti, faire apparaître de l'herpès latent, guérir des verrues, produire des saignements (stigmates), etc...
On a cru pouvoir aussi améliorer certaines facultés: une expérimentation précise montre que c'est vrai seulement pour les sujets qui, jusque là, utilisaient mal leurs capacités: on peut alors leur permettre de moins s'inhiber. Un usage très systématique de la suggestibilité à l'état de veille et sans passer nécessairement par l'état d'éveil paradoxal est réalisé par la Programmation Neuro Linguistique ou PNL. Son efficacité sur bien des symptômes ne peut effacer l'inconvénient que représente à mes yeux son caractère accentué de manipulation du patient, même si on en limite cet inconvénient par l'éthique du thérapeute.
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La relation entre l'hypnotiseur et l'hypnotisé, peut revêtir un caractère intense que Freud a baptisé du nom de transfert. Plus tard ce type de relation a été repéré dans toutes les formes de thérapie, toutes les formes de relation entre le malade et son médecin. Le transfert concerne aussi la relation des enseignés à leur enseignant ou des adeptes à leur chef religieux. Il se glisse jusque dans la vie politico-sociale pour souder les masses à leur leader favori...
Le transfert confère une éminente autorité à l'analyste dont les interventions peuvent prendre du poids. Les conflits qui habitent le sujet, non seulement motivent ses conduites, règlent ses échecs, décrètent ses amours ou écrivent son destin, ils peuvent aussi réaliser un spectacle transférentiel ou le thérapeute prête son masque blanc à tous les rôles de la vie inconsciente. Il sera tour à tour la statue du Commandeur et le Loup du Chaperon Rouge, l'ombre de Barbe Bleue ou le Lapin d'Alice. Il sera chaque jour retour de la mine d'or pour incarner l'un quelconque des sept nains : Prof ou Joyeux, Atchoum ou Grincheux. Le transfert est un phénomène absolument général du lien interhumain et comme tel ne saurait être localisé à la cure analytique. Le transfert, tout comme le lien interhumain en général, met en jeu les mécanismes d'identification, de projection, d'introjection. Le transfert renvoie à travers le langage qui les constitue, à une relation intrasubjective et à la dialectique fondamentale du désir dont la cause dernière est l'insatisfaction toujours renouvelée de notre appétit de paradis sans faille ni distinction ! (Martin, 1963).
Pince-Mi et Pince-Moi sont dans un bateau, Pince-Mi tombe à l'eau Qu'est-ce qui reste ? Vous savez qu'il ne faut pas répondre sous peine de chuter et d'avoir mal. Ce reste qu'il est si logique de poursuivre s'avère absent et cette absence est à la fois réelle, image et symbole. Un peu comme le petit carré de l'opération de Hilbert ou la barre de Sheffer (Nand : Non Et) ou la flèche à l'envers de Peirce (Non Ou). Pour exister, toute unité doit être séparable, marquée par une différence. Cette différence peut-être symbolisée d'un trait qui est signe de l'impossible identité et ne renvoie qu'à lui-même se répétant. La demande le porte, le déplace et il l'anime... Ce trait de coupure est évocation de cet Un avec U majuscule, de cet Un à la Plotin qui serait sans coupure. Il évoque Un Sujet enfin unifié qui s'évanouit sans cesse, toujours Absent.... Ce trait unaire intervient dans toute séparation entre les objets et dans toute partition à l'intérieur d'un objet. Tout fragment d'un ensemble est (dans le trait de sa coupure) constitutif d'un "reste", d'une marque sans image spéculaire possible, d'une "trace" au sens ou l'entend la linguistique qui désigne ainsi la place laissée vide. Représentant premier du manque à être, il est cause du Désir lequel disparaîtrait en l'absence des différences et séparations. Ce reste, ce manque, cette trace, cette place vide, Lacan l'a désigné sous le terme 'objet "a" '. Du manque à être au creux de l'être que l'Inde symbolise par le Yoni surgit l'appel à la plénitude, l'aspiration au lingam, le phallos des grecs. Il rend présent, il met en image le "signifiant de la perte même que le sujet subit par le morcellement du signifiant" (Lacan cité par Martin, 1963). Il renvoie donc à l'absence, l'Absence radicale, la mort... L'objet du désir dans le transfert, sur quoi joue la compulsion de répétition, c'est le Phallus, objet partiel, objet transitionnel dont il importe de dégager la valeur de signifiant dans son universalité et non dans sa liaison à l'image de l'autre qui n'est qu'un leurre.
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EVEIL PARADOXAL |
EVEIL TRIVIAL |
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L'existence d'un état particulier de la conscience lié à l'exercice d'une spiritualité et cultivant, bien souvent, un état intermédiaire entre veille et sommeil a permis d'employer ce terme de "quatrième état de conscience".
Le Yoga emploie également cette expression à propos de "Turyia", état de conscience plus vaste et qui, supérieur aux trois autres, les englobe (24).
De fait "éveil paradoxal" a le mérite de lever cette ambiguïté qui n'est toutefois pas sans fondement, s'il est vrai que cultiver l'état d'éveil paradoxal pourrait conduire à ce Quatrième Etat "Turyia" recherché par les mystiques indiens. En fait passer de la veille au sommeil suppose abandonner l'organisation de fonctionnement propre à la veille pour aller vers le type d'organisation caractérisant le sommeil.
Entre les deux états trouve place un moment de "neutralité organisationnelle" qui devrait logiquement être également postulé alors qu'on passe du sommeil profond au sommeil paradoxal ou du sommeil paradoxal à l'éveil. Cet état neutre prolongé par une technique appropriée pourrait être notre "éveil paradoxal"... L'évolution des espèces (du reptile à l'être humain), comme de chaque individu lors de sa maturation (du foetus à l'homme mûr), montre que l'état le plus primitif du système nerveux est peut-être le sommeil paradoxal; ensuite se serait édifié le sommeil lent pour aboutir finalement au cycle tel qu'on le décrit aujourd'hui avec un état "éveillé".
L'éveil paradoxal pourrait être la conquête la plus récente et encore mal assurée en l'absence d'exercices appropriés. C'est ainsi que des cas de décompensation plus ou moins durable et importante ont pu être décrits à la suite d'un usage mal guidé des états modifiés de conscience: Oraison chrétienne, Hypnose, Training Autogène, Zen, Vipasana, Méditation Transcendantale, etc... On ne saurait s'en servir d'argument pour privilégier d'autres voies étant bien entendu qu'il n'y a aucune raison théorique ou empirique qui invite à croire qu'il puisse exister une méthode universellement parfaite. On doit seulement connaître cet aspect du problème pour se servir convenablement de l'approche la mieux adaptée: choisir un enseignant expérimenté, suffisamment pourvu de bon sens et consulter un psychothérapeute si l'on perçoit de l'exaltation, de la dépression ou une forme quelconque d'inquiétude. Selon Ikémi, la raison de tels phénomènes négatifs est la confrontation avec un matériel inconscient et anti-homéostatique, qui avait été évitée jusqu'alors par des défenses psychologiques (refoulement, déni, etc) affaiblies non seulement lors du rêve comme l'a montré Freud mais aussi pendant le 4° état de Conscience. Ces manifestations et bien d'autres peuvent être vécues comme des "éliminations de tension", des "décharges cathartiques" et avoir un effet de nettoyage ("cleaning" de Ram Chandra), de purification salutaire à long terme si l'on a pu traverser sans encombre les fausses lumières et les fausses ténèbres...
La méthode Silva préconise l'utilisation de quelques exercices simples à visée auto-hypnotique ("Silva Mind-Control"), empruntés pour l'essentiel à des formes déjà bien connues d'entraînement: le premier exercice s'apparente à l'exercice de Yoga appelé Trataka (on relève les globes oculaires en comptant mentalement), le deuxième exercice utilise "l'inventaire des sensations" (ou "body feeling") pour chacune des parties du corps (il est également issu du Yoga, de l'eutonie et se retrouve dans plusieurs techniques corporelles). On accède alors à l'imagerie mentale (cf. les paragraphes relatifs à la méthode Vittoz, au Rêve Eveillé, à la Relaxation Dynamique de Caycedo, etc...). On désigne les états de conscience visés par le nom des ondes cérébrales qui sont censées les accompagner; on parlera de "descendre en alpha" par le premier exercice ou en ; cette référenceà l'électro-encéphalographie est quelque peu outrancière. Elle est partagée par Godefroy qui appelle son enseignement de la relaxation "méthode alpha". Silva - comme le faisait Coué - préconise avec bien d'autres praticiens (sophrologues par exemple) d'employer, à la faveur de cet état de veille paradoxal, l'autosuggestion sous diverses formes (pensée positive, programmation du succès, etc).
Il prend le risque d'affirmer que la méditation permet de favoriser les facultés généralement regroupées sous le terme de "parapsychologie": transmission de pensée sans utiliser l'un des cinq sens, prévision de l'avenir, actions sur la matière, etc... Les effets validés par une enquête seraient les suivants: amélioration de la santé globale, du sommeil, de la capacité à se détendre, de la force de caractère, de la confiance en soi avec diminution des sentiments de culpabilité, de la capacité à s'affirmer dans les relations sociales, de la confiance, de la générosité, de l'enthousiasme, de la créativité, de la maîtrise des habitudes et de la mémoire.
Ces bienfaits se retrouveront pour d'autres approches telles que le Yoga, le Rebirth, la Méditation Transcendantale, le Zazen ou la sophrologie. Personnellement, j'attache la plus grande valeur - hors l'adhésion à un système de réalisation de soi par une voie spirituelle - à l'usage du Training Autogène, enseigné selon la rigueur antique que voulait son fondateur (Schultz), par petites étapes, systématiquement exercées et courant sur une dizaine de semaines. Il a montré que c'était le prix à payer pour avoir le bénéfice de la relaxation sans entrer dans les dépendances de l'hypnose.