Psychosonique en Pédo-Psychiatrie

Dr Joffrin, Françoise

 

5. - OREILLE, LATÉRALITÉ ET DOMINANCE CÉRÉBRALE

5.1 - La latéralité : des problèmes de définition

La fonction auditive est une fonction dissymétrique, à l’image de notre être, comme le sont les deux hémisphères. La dominance cérébrale n'est pas l'apanage de l'homme ; chez le primate, Petersen, cité par Chouard (1991) a montré que le cerveau auditif gauche traitait préférentiellement les sons venus de l'oreille droite lorsque ceux-ci avaient une valeur de communication. Chez l'homme, la latéralité manuelle, qui est plus facile à observer cliniquement, n'est qu'un des aspects de la dominance cérébrale qui intéresse toutes les modalités de l'expression volontaire, verbale ou écrite, ou de la perception cognitive et intuitive. Cette latéralité se manifeste, aussi  dans le domaine sensoriel.

 



Kimura cité par Chouard (1991) a montré le premier, chez l'homme, son existence dans le domaine auditif et, selon Hecaen (1979), elle se retrouve aussi, mais à un moindre degré, dans le domaine visuel. C'est surtout dans le domaine moteur que cette latéralisation s'exprime de la manière la plus visible lors de l'accomplissement de gestes nécessitant attention et minutie, geste manuel, pédestre, ou vocal.

Il existe une difficulté dans la définition de la gaucherie et celle-ci résulte de l'interaction de différents facteurs. Sur le plan sémantique pèsent certaines expressions concernant la gaucherie : on est adroit ou gauche, on se lève du pied gauche, on est marié de la main gauche, quand on meurt… on passe l'arme à gauche ! A contrario, pour jurer, on lève la main droite. Cette dichotomie gauche-droite a son corollaire dans la Bible : Jésus est assis à la droite de Dieu dans les cieux.  Depuis des temps immémoriaux, les gauchers subissent les pires tourments : on faisait écrire les enfants de leur "bonne" main, et on raconte que l'on trempait jadis la main gauche du gaucher dans l'eau bouillante  si celui-ci ne se soumettait pas à la norme. La pensée chinoise, par contre, s'intéresse moins aux contraires qu'aux alternances, aux complémentarités, aux corrélations : l'énergie circule aussi bien dans le côté droit que dans le côté gauche du corps. Pour des raisons d'analogie avec les lois du cosmos et les cinq éléments, le côté droit est yin (féminin) et le coté gauche (masculin) est yang. Un traitement commencera donc, pour une femme, par le côté droit, pour un homme, par le côté gauche.

Il est donc, sur le plan sémantique, malaisé de supprimer entièrement l'a priori péjoratif du terme "gaucherie". Nous voyons qu'un certain terrorisme intellectuel confère à la gauche une notion infériorisante, la gaucherie étant équivalente à la maladresse alors qu'au contraire le terme de "droitier" représente la rectitude, l'efficacité, l'absence d'anomalie. Ce manichéisme linguistique semble propre à beaucoup de langues occidentales. Il se retrouve également en anglais (left signifie perdu, right signifie correct). En italien, sinistro signifie gauche ou sinistre. Notons enfin, en ce qui concerne le français, que le terme de droiterie, symétrique de gaucherie, est peu employé, de même que le terme d'ambimane, qui  serait celui qui conviendrait le mieux pour désigner le sujet qui utilise aussi bien la main droite que la main gauche ; c'est le terme d'ambidextre, quoique incorrect, qui reflète à lui seul la dictature des droitiers, qui est le plus souvent employé (Chouard 1991).

Cette difficulté à définir la gaucherie existe aussi sur le plan nosologique. Avec le critère de la main utilisée pour écrire, il est facile de distinguer dans une population normale, d'une part les droitiers absolus, souvent définis comme étant à dominance standard, représentant environ 65% de la population, d'autre part, les sujets ayant une dominance atypique, comportant les gauchers vrais (8 à 15%), et les ambimanes  ou ambidextres (23%).

Cependant, cette définition d'un gaucher par la seule utilisation préférentielle de la main employée pour écrire, aboutit à une différentiation trop grossière entre gauchers vrais, droitiers vrais et sujets intermédiaires, surtout s'il s'agit d'effectuer des comparaisons statistiques ; par ailleurs, il ne faut pas oublier que la dominance cérébrale peut être incomplète : il a été montré, à partir de patients aphasiques, que les deux tiers des gauchers avaient leurs centres du langage dans l'hémisphère gauche. Inversement, pour quelques droitiers, ces centres sont dans l'hémisphère droit. Cependant, cette discordance est beaucoup plus rare. C'est pourquoi, si la préférence manuelle représente un marqueur facile à identifier et relativement fidèle de la dominance cérébrale, de toute évidence elle ne permet pas d'identifier tous les cas de dominance égale ou inversée. Notons par ailleurs que dans l'appréciation de la dominance manuelle, nous ne devons pas omettre de tenir compte de l'âge et du milieu social, car les gauchers contrariés sont encore très fréquents dans certains milieux.

La dominance manuelle est peut-être explicite mais elle n'est pas le seul moyen d'explorer la latéralité d'un sujet. Outre l'étude des membres inférieurs et, dans le domaine sensoriel, de l'œil directeur, les chercheurs se sont intéressés à l'oreille directrice qui repose sur la réalisation des tests dichotiques, à la suite des premiers travaux de Kimura, cité par Chouard (1991) qui, dès 1961, avait montré chez les sujets normaux droitiers, l'existence d'une supériorité de l'oreille droite pour les stimuli verbaux et, au contraire, une supériorité de l'oreille gauche pour les stimuli non verbaux. Des tests, plus poussés, ont pu montrer par ailleurs que l'audition de la musique était, chez les droitiers, meilleure pour l'oreille gauche chez les non musiciens, et, au contraire, meilleure pour l'oreille droite chez les musiciens selon Tsunoda, cité par Chouard (1991), et Despins (1986). Par ailleurs, la prédominance de cette oreille directrice est moins nette chez l'homme que chez la femme. Par contre, chez les gauchers, Labarda a montré que cette notion d'oreille directrice était plus floue, et qu'au moins pour les sons musicaux non familiers, le rôle des deux oreilles était à peu près symétrique. On notera enfin que chez le jeune enfant droitier, les tests dichotiques ne montrent qu'une très légère prédominance de l'oreille droite et ce n'est que vers 7 à 8 ans, que cette prédominance s'affirme, cette ambilatéralité normale du sujet jeune disparaissant de manière parallèle avec l'installation du langage.

 

5.2 - Latéralisation : anatomie et psychanalyse

On admet que la latéralisation de la dominance cérébrale repose en partie sur des asymétries anatomiques, notamment dans les zones corticales du langage, au niveau du " PLANUM  TEMPORALE" du lobe temporal gauche, support de la perception de la fonction linguistique, ledit planum étant beaucoup plus développé au niveau du côté gauche que du côté droit. Cette asymétrie anatomique, retrouvée chez 70% de droitiers, précède l'asymétrie fonctionnelle car elle est visible chez le fœtus viable de sept mois et demi. En outre, elle est directement corrélée à la dominance manuelle. Le cerveau symétrique, par contre, selon Galaburda (1985), est retrouvé chez 25% de la population, parmi lesquels se trouvent des gauchers et des sujets dysimmunitaires.

Gerswind et Behan cités par Galaburda, lors d'une étude statistique sur 500 sujets gauchers et 900 sujets réellement droitiers, ont tenté de savoir s'il existe une relation entre le fait d'être gaucher ou droitier, d'avoir des difficultés d'apprentissage et, enfin, de souffrir de maladies immunitaires. Dyslexie et dysimmunité se sont montrées plus fréquentes chez les gauchers et dans leurs familles ; ces auteurs ont découvert par ailleurs chez les collatéraux un certain nombre de pathologies comme les  colites ulcératives, des  troubles thyroïdiens, voire  la  myasthénie.

Une plus grande pathologie immunitaire étant constatée chez le gaucher, Habib et Ceccaldi (cités par Chouard) ont étudié le contrôle latéralisé de l'immunité, en raison de certaines similitudes entre le système nerveux et le système immunitaire —il y aurait une fonction commune entre astrocytes et macrophages —, exprimée sous le terme de neuro-immuno-stimulaton. La voie neuronale est représentée par le systè

 me nerveux autonome qui innerve la moelle osseuse, le thymus et les ganglions lymphatiques ; la voie endocrinienne, grâce à l'axe cortico-surrénalien, s'établit par le biais des hormones corticotropes, l'hormone de croissance, la thyréostimuline, voire même des substances opioïdes. La thymosine provenant du thymus et l'interleukine sont capables, comme les corticoïdes, de réaliser un feed-back sur le système nerveux. Les structures responsables de l'immunité sont :

 - l'hypothalamus, qui est responsable des sécrétions viscéro-endocriniennes avec l'hypophyse et dont les stimulations ont pour cible la thyroïde, les gonades (testostérone, dont l'hypersécrétion, pour Gerswind, serait responsable d'une dyslatéralisation à type de symétrisation, retrouvée chez certains gauchers et certains dyslexiques) et la surrénale (sécrétion de cortisone). Une lésion au niveau de ces structures crée une altération de la réponse immunitaire.

 - le système limbique, appelé encore cerveau émotionnel, lequel comprend entre autres :

- l'hippocampe, impliqué dans la mémoire à court terme et les émotions, et dont la stimulation détermine, outre des phénomènes perceptifs et mnésiques, sociabilité et calme, renforce la vie sexuelle et la vie instinctive maternelle, engendre conduites de caresses et de léchage, endormissement.

- l'amygdale, dont la stimulation engendre conduites agressives et colère concernant l'alimentation, ainsi que des conduites d'auto-protection.

Des lésions cérébrales latéralisées modifient l'équilibre immunitaire. Chez la souris, Renoux (cité par Chouard ) a montré que des lésions au niveau du cortex frontal gauche entraînaient une diminution de la synthèse des immunoglobulines G et de la réponse lymphocitaire T aux mitogènes, alors que ces paramètres sont augmentés après une lésion du cortex pariétal droit.

Par ailleurs, sur le plan anatomique, il y a proximité du système limbique avec le corps calleux assurant le transfert d'informations d'un hémisphère à l'autre, et le thalamus qui véhicule les voies de la sensibilité corporelle de la vision et de l'audition.

Le rôle du hasard ? Signalons que, outre cette action purement biologique, liée néanmoins à des facteurs émotionnels survenant au niveau de la dyade mère-enfant, l'action… du hasard semble être retenue par les O.R.L., comme la position du foetus in-utero : en effet, le mode de présentation le plus fréquent, en occipito-iliaque gauche antérieure, selon les obstétriciens, "libère" l'oreille et la main droites du foetus, l'oreille gauche étant entièrement soumise aux bruits viscéraux maternels.

Qu'entend-il ? Les données biologiques que nous venons d'évoquer concernant la genèse de la latéralité se situent surtout pendant la période de la vie fœtale et sont purement passives et réflexes. D'autres facteurs concernant cette période doivent être envisagés. Nous citerons, relativement à ce présent mémoire, la qualité du monde sonore environnant, pressenti par Tomatis (1981) : celui-ci parvient au foetus à partir du filtrage des parois maternelles. Nous savons, grâce aux travaux de Herbinet, Querleu et Busnel (1984) en France, au moyen d'enregistrements par hydrophone intra vaginal, puis intra-amniotique, que les bruits qui lui parviennent sont essentiellement filtrés dans les fréquences graves, au dessous de 3000 hertz, à savoir : bruits de voitures, avions, métro, retentissement des pas de la mère, ainsi que ses bruits internes : battements cardiaques, grondements intestinaux, bruits respiratoires, sa voix elle-même, dont seule la partie grave est entendue. Une polémique a opposé les expérimentateurs, dont Feijoo (1985) à Tomatis (1981), relativement à cette écoute des graves ou des aigus chez le foetus. Notons cependant que, lors de l'échographie, les ultrasons, des sons extrêmement aigus, l'impressionnent  considérablement, comme en témoigne l'agitation de celui-ci lors de cet examen. Dès le quatrième mois de la vie intra-utérine, commence une interaction précocissime au niveau sonore par l'entrée en jeu de la fonction d'écoute qui devient fonctionnelle, sa maturation étant terminée vers 7 mois. Comment entend-t-il ? L'air n' existant pas au niveau du tympan, la transmission du son se fait par voie osseuse comme lorsque nous avons la tête sous l'eau, et ceci de façon atténuée par les tissus maternels. Entrent en jeu la qualité de la voix de la mère et du père— ainsi que du monde musical qui lui parvient ; ces éléments concourent à la genèse et à la stimulation de la future fonction d'écoute du sujet. Pour avoir une intelligibilité de la parole in utero, Busnel a enregistré la voix de la mère et celle d'une personne extérieure telles que le foetus pourrait les percevoir ; « …ces enregistrements montrent que la parole ainsi recueillie n'a qu'une très faible intelligibilité... un texte lu à haute voix est incompréhensible, mais certains mots simples, isolés et bien articulés comme "papa", "maman", "bonjour", "Ursule", peuvent être reconnus par l'expérimentateur. On retrouve parfaitement certains traits prosodiques, comme le rythme et l'intonation de la voix ; en revanche, le timbre est très transformé : il y a aplatissement de la bande de fréquence de la voix avec une disparition des composantes aiguës au dessus de 1000 hertz ».

L'ambiance sonore intra-utérine est surtout composée de sons graves et, de surcroît, se déroule dans l'obscurité, à la manière d’un océan de langage, d’un bain infernal de mots venant s’agglutiner, buter, se fondre les uns dans les autres. A la naissance,  le petit enfant est entouré des harmoniques aiguës de la voix de sa mère d'abord, puis de celle de son père, au grand jour cette fois, avec continuation du rythme langagier  jour/nuit amorcé pendant la vie intra-utérine.

Après la naissance, dans quelle mesure des interactions, se situant au niveau de la parole chez la mère et du jasis et du gazouillis chez l'enfant, interfèrent relativement à sa future acquisition latérale ? Abordant au chapitre suivant l'acquisition de la latéralité dans ses aspects relationnels et oedipiens, nous pouvons dire, sur un plan kleinien, que la première année étant la période des identifications partielles, celles-ci s'effectuent, entre autres, par rapport aux voix de chacun des parents aux moments privilégiés de la tétée et des soins, ceci concourant à l'élaboration du surmoi précoce (au sens kleinien). Il y a là une première différenciation aigu/grave, correspondant respectivement aux voix de la mère et du père  et nous dénommons cette rencontre le miroir sonore. Ajoutons que lors de la tétée, l'alternance des seins entraîne une stimulation périodique de chaque oreille par la voix de la mère.  « Par ailleurs, à ce stade oral, la bouche, lors de la tétée, par la succion, fournit l'expérience d'un contact différentiateur d'un lieu de passage et d'incorporation : la réplétion apporte au nourrisson l'expérience plus diffuse, plus durable d'une masse centrale, d'un plein, d'un centre de gravité. » Anzieu (1974) ; dialectique du plein et du vide, du dedans et du dehors, de l'expérience réelle de l'absorption et de l'excrétion, modèle de l'introjection et de la projection décrit par Mélanie Klein (35) pouvant rendre compte de certains mutismes : projeter, sortir sa voix ou la garder, ou de certaines inhibitions ultérieures.

Ces périodes critiques évoluent aux confins du psychique et du biologique, phénomènes que Winnicott situe au commencement de la vie : « Le vrai self provient de la vie des tissus corporels et du libre jeu des fonctions du corps, y compris celui du cœur et de la respiration ; il est étroitement lié à l'idée du processus primaire… Le vrai self apparaît dès qu'il existe une quelconque organisation mentale dans l'individu et il n'est pas beaucoup plus que la somme de la vie sensori-motrice ». Winnicott (1970). Nous mesurons, au niveau instrumental, les conséquences de perturbations survenues lors de ces périodes critiques, par exemple au cours de la grossesse, comme une menace de fausse couche, un traumatisme de la mère.

La genèse de la latéralité se poursuit dans l'enfance, période pendant laquelle interviendront différents facteurs sensori-moteurs, affectifs, d'ordre social et familial, de même qu’elle subira à nouveau les remaniements de la période pubertaire.

Nous poursuivons l'abord dynamique de la latéralité en nous référant à l'école de Sami Ali (1977, 1974, 1989) et Sylvie Cady (1988, 1989) sur le plan psychanalytique. Ces auteurs instaurent un nouveau type de psychothérapie, d'un très grand intérêt sur le plan épistémologique, supposant une unité du fonctionnement psychosomatique où l'espace est d'abord un espace corporel qui se polarisera selon les vecteurs droite-gauche, devant-derrière. Notons que ces auteurs privilégient la fonction visuelle à organisation symétrique, à laquelle nous adjoignons la fonction d’écoute, organisateur progressivement  dissymétrique avec l’évolution de l’enfant, l’oreille tenant sous sa coupe et l’espace et le temps. D’autres champs sensoriels sont étudiés dans ce sens. Disons pour mémoire que Fliess a étudié certaines zones olfactives dans les fosses nasales dont l’une porte son nom.

Abord relationnel de l'acquisition de la latéralité :

Celle-ci est solidaire :                                   

                                    - de l'organisation de l'espace, à savoir, la construction dedans-dehors, de la droite et de la gauche, du haut et du bas, avec leurs composantes visuelles et auditives.                                   

                                    - du moment organisateur œdipien qui va structurer le corps et l'espace par le biais de l'autonomie et de l'identification.

 

Organisation de l’espace :              

a)      L'espace corporel (1ère année) : c'est un espace unique et fusionnel au départ ; la mère détermine la relation corporelle et spatiale. Il s'agit d'un espace englobant la mère et les objets, et le corps de l'enfant existe en tant que double de celui de la mère. L'espace est une surface qui se déploie sans profondeur, la vision est floue ainsi que l'audition. L'espace graphique d'un sujet fixé à ce niveau représente un cercle ouvert ou fermé ; il symbolise le corps de la mère et de l'enfant et traduit l'enveloppe séparant le dedans du dehors. Au huitième mois, l'enfant fait une expérience angoissante, le dehors commence à exister pour lui ; il y a apparition d'un personnage tiers, étranger en tant qu'élément nouveau reconnu par la mère dans sa différence : l'enfant se différencie de l'image maternelle et structure l'extérieur, donnant à la problématique dedans-dehors sa dimension. Un espace corporel est ainsi mis en place. On accède à l'espace de la représentation. Il y a début de convergence visuelle et l'enfant fait la différence entre l'espace familier (visage, sein) et ce qui est étranger.

b)     L'espace de la représentation (2ème année) - la relation en miroir : progressivement, il y a organisation de la perception en représentation, et l'espace sensoriel accède à une organisation imaginaire : avec la vision binoculaire et la convergence, l'espace s'ouvre sur la profondeur. Il y a apparition du langage, l'enfant a une meilleure maîtrise de la motricité de son propre corps ; ses acquisitions sensori-motrices apportent une distanciation vis à vis de l'objet maternel qui est évoqué sur le plan imaginaire. Il projette sur les objets-images-du-corps cette expérience du vécu corporel. Néanmoins, il reste dans un "espace de complémentarité imaginaire" Sami Ali (1977) structuré en miroir qui est un fonctionnement particulier de l'espace dedans-dehors. Il semble capté dans un espace symétrique par rapport à autrui et dont les latéralités coïncident. L'autre fonctionne comme un double qui détient le pouvoir de sa position dans l'espace. La spatialisation se fait en miroir. Le début de différenciation est minime entre soi et non soi. La distance entre deux points se trouve annulée dans la mesure où tout ce qui est dedans est vécu comme ce qui est dehors, le petit comme le grand. Le corps est ici et là-bas. Cet autre imaginaire est d'abord le corps maternel avec lequel l'enfant forme un tout complémentaire. L'enfant, prolongeant le corps de la mère, n'a pas de repère.

 

c)      De la bidimensionnalité, l'enfant passe à la tridimensionnalité 

Grâce à la vision binoculaire, la troisième dimension et la conscience de la profondeur sont acquises. En maternelle,  l'obligation d'écrire accélère l'élaboration de la latéralisation, à laquelle participe l'oreille, l’analyse tonale (la sélectivité) commençant à s’instaurer, ainsi que le repérage temporel. Le corps se projette et crée un espace de représentation graphique dont le fonctionnement spatial se déploie à partir de ce repérage corporel Certains facteurs inconscients concourent à la spatialisation, comme l’entourage familial, le cadre social, l'œdipe et ses identifications.

Cette organisation, prise dans la triangulation œdipienne, fait fonction de repère dans l'expérience fondamentale de l'espace qui prend sens par rapport à l'organisation libidinale du sujet.

La situation œdipienne a des rapports avec l'identité sexuée, mais aussi avec le corps et la latéralité. Elle est intégrée dans la structuration de l'espace et du corps latéralisé et donc dans le problème du graphisme. Le père a un rôle séparateur. Le père tiers différencie la relation mère-enfant et ouvre la porte à un espace qui s'oriente vers le dehors. Il est le garant de la loi sociale et de l'ordre symbolique par le nom qu'il porte et qu'il transmet. Cette loi appartient à l'ordre du langage.

Sami Ali et Sylvie Cady attribuent à l'œdipe, c'est-à-dire à l'attitude identificatoire, un rôle organisateur de la latéralité et de la maîtrise de l'espace. Ils situent donc la problématique œdipienne dans ses rapports avec le corps et la latéralité tout en l'intégrant dans la structuration de l'espace. Le graphisme et le dessin sont abordés dans cette perspective. La latéralité se structure à partir d'une période d'ambidextrie et l'enfant opte pour une prévalence manuelle pour les nécessités scolaires, la bonne exécution corporelle des signes étant liée au choix du côté dominant. La fonction motrice manuelle, outre une corrélation à la fonction visuelle, est étroitement dépendante de la fonction auditivo-langagière, laquelle participe  à l'organisation de l'espace mais aussi du temps : une LETTRE est donc vue et entendue, elle a un côté droit et un côté gauche, un haut et un bas, elle est définie dans sa durée et sa fréquence, paramètres acoustiquement identifiables. Subjectivement, c’est-à-dire métaphoriquement, elle peut être définie par  des caractéristiques  comme sa dureté ou sa douceur, son aspect clair ou sombre etc. (voir chapitre 12-1) ; cette topologie de la lettre est solidaire de notre  schéma corporel auquel concourt l'ensemble cochléo-vestibulaire dont la structure se réplique  et se complexifie au niveau des ensembles sus-jacents.

Une écriture en miroir, ainsi qu’une écholalie, correspondent à une relation aliénante à autrui, elle pose, entre autre, le problème de la triangulation œdipienne. Les problèmes œdipiens se rencontrent fréquemment dans les situations liées à la latéralité plaçant le sujet dans une situation conflictuelle pour l'acquisition de sa personnalité, qu'il affrontera par rivalité, par opposition ou par évitement (tel enfant se latéralisera sur la droite ou sur la gauche en opposition au parent du même sexe), Sylvie Cady (1988). A l'identification au parent du même sexe est corrélé le choix de l'oreille directrice (à dominante linguistique) dans un désir de communiquer, laquelle va concourir à son tour à renforcer la dissymétrie cérébrale ; ce qui se traduira :

-  au niveau du geste manuel par le choix latéral,

- au niveau du geste phonatoire par une voix mieux articulée, mieux timbrée.

- sur le plan langagier et symbolique : l'enfant acquiert autonomie et distanciation par rapport au réel : il  se nomme et nomme son côté dominant, la gauche et la droite acquièrent un sens.

Après ce survol concernant la genèse de la latéralité à partir des composantes biologiques à dominance intra-utérine, jusqu'aux inter-relations se prolongeant durant toute la vie, et pouvant remettre en question l'acquisition de la latéralité (puberté, tout épisode critique, traumatisme crânien…), nous sommes en droit de nous interroger sur le rôle respectif de chaque oreille.  (figures 12 et 13)

En raison de l'assymétrie cérébrale, celles-ci ont-elles la même valeur ?  Rappelons que le cerveau gauche, lieu des aires du langage articulé, est le cerveau de la temporalité, de la diachronicité, de la fonction symbolique. Il appréhende le monde par étapes logiques. Dans la culture occidentale, il est le lieu de la prononciation des consonnes et de la compréhension, du déchiffrage de la musique et du calcul.

Le cerveau droit est le lieu de la synchronicité, du raisonnement analogique, de la spatialisation, de l’image, où le monde est visualisé comme un tout. Il est plutôt le siège des émotions et des sensations, du cri, du langage non articulé, réglant la prosodie, c’est à dire  le  rythme et les accents de la voix , sa mélodie, ses intonations. Il a aussi été envisagé comme le lieu des processus primaires selon Freud, où tout s'organise comme dans un rêve avec absence de succession logique. Dans notre culture occidentale, il est le siège de la compréhension des voyelles et de la musique instrumentale, alors que dans la culture japonaise, consonnes et voyelles sont enregistrées par le cerveau gauche ainsi que la musique : il y a correspondance entre les activités logiques et artistiques, alors que celles-ci sont clivées chez l'occidental.

Qu'en est-t-il de nos deux oreilles droite et gauche ? La majeure partie des voies est croisée, c'est-à-dire que ce qui provient de l'oreille droite va au centre du langage à gauche.( Il  existe un faisceau  plus petit, homolatéral, qui va directement de l'oreille droite au cerveau droit, sans croisement ).

L'oreille droite, en relation avec le cerveau gauche, serait de ce fait l'oreille à dominance analytique, celle qui prépare au décodage sémantique des messages.

L'oreille gauche aurait une dominance esthétique, émotive ; elle "croise" vers le cerveau droit, dont nous connaissons la spécificité : il est le siège, pour l'occidental, de la musique, donc de la mélodie et de l'intonation. L'aspect stylistique du langage est certainement véhiculé par l'oreille gauche comme en témoignent les expériences de stimulations linguistiques et musicales chez les aphasiques.

Imaginons un enfant mal latéralisé sur le plan auditif, ce que peut nous révéler le test dichotique (fig. 13  schéma, circuit 1 --> 2) : il privilégiera l'oreille gauche en tant qu'oreille directrice qui "croisera" au niveau du cerveau droit où il n'y a pas à proprement parler de centre du langage articulé ; dans le cas d'un message linguistique, il devra emprunter, par la voie du corps calleux, tout un circuit pour acheminer son message vers l'hémisphère gauche et les aires auditives  ; un temps de latence pourrait retarder ce cheminement ; à partir de potentiels évoqués tardifs, certains O.R.L. nous renseignent sur l'indice de latéralité reposant sur les temps de latence droit et gauche. Les données du test dichotique nous indiquent l'oreille préférentielle du sujet.

Il serait possible d'avancer que :                                    

- Ce qui se rapporte à l'oreille droite correspondrait à la fonction symbolique, au devenir, au désir de communiquer avec autrui et le monde.                                    

- Ce qui se rapporte à l'oreille gauche correspondrait plus à l'affectivité, serait plus en rapport avec le passé, les émotions, les sensations, l’imaginaire.

 

5.3 - Pathologie, morbidité et dominance cérébrale

Un certain nombre d'affections sont plus fréquentes chez les gauchers et en rapport avec un trouble de l'immunité. La majorité de ces affections intéressent l'O.R.L. et l'audio-psycho-phonologiste.

            - L'allergie

Il y a prédominance de l'allergie chez les sujets gauchers (ceci étant particulièrement net pour l'urticaire, l'eczéma). Par ailleurs, les hommes seraient plus souvent allergiques que les femmes.

            - La dyslexie

Les dyslexiques seraient plus volontiers gauchers et de sexe masculin ; les erreurs qu'ils réalisent en écriture sont souvent en miroir. Les tests dichotiques chez ces enfants ayant des troubles de l'élocution ou de l'apprentissage dénotent une dominance cérébrale incomplète : il n'y a pas apparition d'une oreille directrice. L'ambilatéralité normale du sujet jeune va persister chez ceux-ci. Il y a déséquilibre entre les courbes de l'oreille droite et celles de l'oreille gauche, ainsi que des troubles de la sélectivité ou analyse tonale. On distingue par ailleurs chez les dyslexiques ceux ayant des troubles audio-linguistiques et ceux ayant des troubles visio-spatiaux, lesquels peuvent être combinés.

            - Le bégaiement

Chez les bègues serait retrouvée une relation entre bégaiement et gaucherie, et bégaiement et troubles immunitaires, selon Gerschwind et Galaburda (1985). Les tests dichotiques ont montré la constance des perturbations concernant la latéralisation sur l'oreille directrice. Les tests à l'aide de gestes bimanuels ont montré des performances très diminuées et une perte de la dissymétrie observée chez les droitiers. Le bégaiement serait donc en rapport  avec un trouble des relations inter-hémisphériques. Auniveau subjectif le redoublement ou la répétition des phonèmes évoque l’aliénation par rapport au miroir sonore dont le stade des lallations est une illustration.

 

Notons l'aptitude  des gauchers aux sports de précision (fleuret et tennis),  aux mathématiques, ainsi que leurs dons artistiques.

Benhow (in Chouard 1991), se penchant sur  416 étudiants extrêmement précoces, sélectionnés en fonction de critères mathématiques et de raisonnement verbal, a montré une très grande fréquence de gauchers et de garçons .

L’enfant mal latéralisé manuellement : Thibaut 9 ans, qui a fait deux CP, ne se rend pas compte que droite et gauche s’intervertissent sur autrui : il me montre ma main gauche quand je lui demande de me montrer ma main droite : son espace se prolonge dans mon espace, processus qui prend fin quand il me tourne le dos.  La latéralité du corps propre est restée dans un espace de projection sensorielle qui transforme l’autre en une image de soi, espace non soumis à la symbolisation dans ce cas, et dont nous avons tracé la genèse (chapitre 5-2).

 

5.4 - Spécificité fréquentielle

Nous avons dit plus haut que la répartition anatomique des fibres du nerf cochléaire sur toute sa longueur n'est pas sans conséquence physiologique. Ainsi, chaque zone de la cochlée est électivement mise en jeu par une fréquence particulière et donne la sensation sonore correspondante.

Cette spécificité fréquentielle se répartit régulièrement le long du tube cochléaire de telle façon qu'à sa base correspondent les fréquences aiguës et à son sommet les fréquences graves.

Notre espace sonore est-il polarisé ? Nous avons insisté depuis le début de notre exposé sur la solidarité de l'oreille quant à tous les phénomènes vibratoires survenant dans toute l'économie du sujet. Nous avons évoqué la possibilité d'un schéma corporel relatif au  monde sonore et empiriquement fut proposée une correspondance métamérique entre le labyrinthe et le corps humain, comme Penfield le fit pour l'homonculus cérébral : en allant des aigus  aux graves, seraient rencontrées les correspondances suivantes (Tomatis 1983 : « l’homme enroulé »), correspondances essentiellement anatomiques et non validées statistiquement :

                   - 3.000 Hz et plus :       la "tête", le pôle symbolique du sujet    

                   -               2.000 Hz :      région cervico-occipitale, larynx,            phonation,               

                   -               1.500 Hz :      région dorso-cervicale, plexus respiratoire,“ le cœur ”,                               

                   -               1.000 Hz :       région médio-dorsale, estomac, plexus solaire,                      

                   -                  500 Hz :      région dorso-lombaire, intestin, coudes,          

                   -                  250 Hz :      région lombaire, côlon,                

                   -      _       125 Hz :       membres inférieurs, sacrum, organes génitaux.          

                  

           Nous avons dit précédemment qu'Auriol du Groupe des Sons de Toulouse (1987)) avait précisé cette vectorisation haut-bas, aigus-graves, faisant correspondre aux différentes fréquences, des lieux psychosomatiques centrés sur les divers étages vertébraux.

           Auriol et Doyon (1987) se sont penchés sur les distorsions des audiogrammes à partir d'examens systématiques de la Sécurité Sociale, comportant examens techniques, questionnaires et audiogrammes  dans le but de découvrir si les modifications audiométriques étaient dépendantes des symptômes somatiques et psychiques dont se plaignaient les sujets testés. Après screening statistique sur un échantillon du fichier, furent mises en évidence des différences audiométriques entre hommes et femmes, et une corrélation entre plaintes et chutes auditives, lesquelles permettent de mieux asseoir nos correspondances auxquelles nous donnerons valeur symbolique, relationnelle et dynamique.

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