Bernard AURIOL
La plupart des psychiatres se convaincront qu'ils devraient maîtriser une forme de relaxation ou une technique sophrologique au point de pouvoir l'enseigner aux patients qui en ont le plus besoin, qu'il s'agisse de névrosés ou de "fonctionnels" ...
Le médecin lui-même, comme et plus que tout un chacun, pourrait bénéficier grandement, à titre personnel ET professionnel, de la pratique régulière de la sophrologie ou d'une autre forme d'exercice aboutissant à un résultat physiologique analogue.
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Ce qui nous pousse à demander : quel état ? s'agit-il de quelque chose de véritablement spécifique qui sortirait de la simple persuasion que "tout va bien même quand ça va mal ?"... Et si l'on prétend à cela, est-ce validé scientifiquement ou sommes nous en présence de quelques unes de ces charlataneries qui font florès ? Le comportementalisme intègre très systématiquement les méthodes de relaxation et la sophrologie dans sa panoplie, mais qu'en est-il du psychanalyste ? Que faire en particulier de la notion de subconscient qui semble mieux aller à Pierre Janet qu'à Sigmund Freud ou à Jacques Lacan ?
Question subsidiaire : pourquoi l'usage des techniques de relaxation est-il encore si limité ?
Cette idée est bien proche de celle des yogis lorsqu'ils dénomment l'état de relaxation "shavasana", c'est à dire "posture du mort". Il s'agit bien d'être parfaitement flexible dans la main du relaxologue, obéissant à ses mouvements "perinde ac cadaver".
Nous ne développerons pas les descriptions données par les mystiques juifs ou musulmans; aux références dogmatiques près, ils sont tout à fait superposables à ce que nous venons de lire.
Les caractéristiques psychophysiologiques de la transe "in situ", sont encore mal connues; il s'agit plus d'un ensemble d'anecdotes ou de considérations ethnographiques que de l'appréhension éthologique de toutes les données qui nous seraient utiles pour éclairer notre propos. Sur cette base, on peut cependant insister sur sa parenté avec le rêve : un scénario se crée, pour le sujet, au moment où il le vit, prend tous les caractères de la réalité, l'inscrit dans une nouvelle identité et le confronte à des dimensions psychiques de lui-même qu'il ne prévoyait pas et qu'il pourra oublier à la fin du parcours. A la différence de l'état de rêve, l'action n'est pas inhibée, la communication avec le groupe social, ou un de ses représentants, reste disponible. Le caractère fréquemment rituel, institutionnalisé et didactique de ces communications suggèrent qu'elles pourraient avoir une valeur fonctionnelle pour le groupe : mise à plat des tensions, re-équilibrage des excès, élicitation de percées créatives, etc... Rôle, encore une fois comparable à celui du rêve, mais dont l'efficacité concernerait plus le collectif que l'individuel...
Il distingue d'une part des "états de conscience", d'autre part des "niveaux de conscience".
On peut schématiser cette conception en considérant que le niveau de la conscience est d'autant plus élevé que l'acuité de la vigilance est plus grande; cet axe oppose la vie éveillée, la vigilance, au sommeil du moins au plus profond et jusqu'à l'incapacité de se réveiller qui est liée à la notion de coma.
L'autre axe, orthogonal au premier, concerne des "états" qui prennent une allure qualitative par l'opposition de la conscience "pathologique" à la conscience "ordinaire" et surtout à la conscience "sophronique", supérieure... On peut considérer qu'il s'agit d'un état plus ou moins "actif" de la vie mentale; la conscience sophronique étant au pôle quiet et la "conscience pathologique" au pôle stressé.
Ce dernier part de processus très clairement non-conscients pour le protagoniste, alors que l'observateur est en mesure de les décrire, les mesurer, les provoquer ou les supprimer... Il s'agit de l'hypnose ou de la publicité invisible, bien entendu, mais aussi de l'étrange phénomène des personnalités multiples, de l'écriture automatique, de la transe, de la communication supposée avec l'âme des défunts, de la "possession diabolique", etc... A la différence du rêve, de l'acte manqué ou du trait d'esprit, ces faits se laissent étudier à ciel ouvert, sans avoir à invoquer une herméneutique sophistiquée...
La psychanalyse pourrait être tentée de ranger ces phénomènes dans la catégorie du préconscient; position probablement acceptable à condition de l'élargir à tout le domaine du non-conscient conscientisable, qu'il s'agisse de matériel soumis à refoulement, ou élagué de la centration actuelle du flux conscient par économie fonctionnelle (phénomène d'attention plus ou moins marquée)... La difficulté réside en ce que certaines données non conscientes dans un état donné peuvent constituer la conscience dans un autre état et réciproquement. C'est le problème des personnalités multiples qui établit plusieurs consciences plus ou moins indépendantes les unes par rapport aux autres, quoique liées, chacune pour sa part à l'ensemble de la personnalité et donc, à l'inconscient freudien. Un tel fait semble impliquer, corrélativement à cette multiplicité des consciences, une multiplicité des préconscients... Cette vue schématique ne prétend pas constituer une solution, simplement soulever une question qui méritera approfondissement dans le cadre d'une recherche sur la transe dans ses implications à la fois biologiques et psychanalytiques...
Le taux de cholestérol, les hormones cortico-surrénaliennes, le taux de prolactine, le niveau des catécholamines et de leurs dérivés sont plutôt élevés. *L'ensemble constitue la mise en jeu de diverses fonctionnalités ergotropes. La thermorégulation s'exerce normalement sur la base d'une température centrale plus élevée que pendant le sommeil.
Au niveau cérébral, le rythme est de type rapide (ß), peu ample, différant à droite et à gauche, ainsi que sur les différentes aires cérébrales qui semblent douées d'une activité propre. La structure dominante semble être le télencéphale et surtout le néo-cortex. Les médiateurs chimiques seraient essentiellement la dopamine, la noradrénaline, l'histamine et l'acétylcholine.
L'action est réduite à des réactions de posture concernant le corps propre; périodiquement et assez souvent, au cours de son sommeil, le sujet change le côté sur lequel il repose, modifie l'extension ou le repliement du tronc ou des membres, etc... Ces mouvements sont appropriés mais automatiques, non intentionnels à moins d'une autosuggestion préalable qui peut les diminuer ou même les abolir dans des conditions exceptionnelles.
Le métabolisme de base est diminué (- 10 % environ), le tonus gamma également, les réflexes ostéo tendineux sont diminués ou abolis, les réactions commandées sont imprécises, difficiles à obtenir sans provoquer le réveil et lentes. La respiration est relativement lente, les battements cardiaques également. Le taux de cholestérol, les hormones cortico-surrénaliennes, le taux de prolactine, le niveau des catécholamines et de leurs dérivés sont plutôt bas: l'ensemble converge en une activation des fonctions trophotropes. La thermorégulation est conservée sur la base d'une température centrale plus faible que pendant la veille.
Au niveau cérébral, le rythme est de type lent (delta dominant), ample, différant à droite et à gauche, ainsi que sur les différentes aires cérébrales qui semblent douées d'une activité propre. On note surtout l'existence de "fuseaux" et de complexes "K". La structure dominante semble être le diencéphale (thalamus et surtout hypothalamus). Un des médiateurs importants semble être la sérotonine.
La thermorégulation subit un important fléchissement, en opposition avec l'état de sommeil lent et de veille; au point qu'un froid suffisant peut entraîner une incapacité d'entrée dans le sommeil paradoxal. La thermogenèse est plutôt diminuée et la température plutôt basse. Les catécholamines (spécialement la noradrénaline) et l'acétylcholine jouent un rôle essentiel dans cet état.
Le métabolisme de base est diminué d'une manière très importante, nettement plus que dans chacun des autres états. La respiration est ralentie et diminuée en amplitude, parfois extrêmement; ceci sans compensation par la suite. On le doit au fait que les dépenses énergétiques étant très diminuées, les besoins en oxygène le sont aussi, ainsi que la production et l'élimination de gaz carbonique. La thermogenèse est plutôt diminuée. Dans certaines qualités de cet état on peut assister à une détente vasculaire qui élève la température subjective ET objective des membres (+ 1° ou 1°,5) alors que la température centrale tend à baisser. Dans d'autres cas - et pour des sujets plus avancés - un phénomène de refroidissement corporel global peut se produire, apparemment sans grand danger pour la santé pulmonaire ou O.R.L. ...
La vigilance n'est diminuée que chez les commençants ou lorsqu'il existe une "dette de sommeil". Dans les autres cas, elle est présente avec un aspect - lui aussi - paradoxal. En effet, comme l'affirme l'adage des yogis "le tonnerre ne dérange pas plus que la chute d'une épingle; la chute d'une épingle retentit comme la foudre". Autrement dit, certaines perturbations sont vécues comme de faible poids stressant malgré leur apparente intensité, alors que certains événement, d'apparence minime, prennent une grande importance.
L'effet à moyen et long terme de la pratique au moins biquotidienne des techniques produisant l'état de veille paradoxale comporte une régularisation du poids corporel qui diminue chez les très gros et tend à augmenter chez les très maigres; de même, le pouls et la pression artérielle dans certains cas, se stabilisent et s'orientent à la baisse. On observe également la diminution de la plupart des échelles de pathologie mentale (par exemple lorsqu'on les mesure à l'aide du MMPI); plus : une intégration de la personnalité, d'un ordre plus élevé, peut se produire, comme l'accroissement de créativité et l'aptitude à des relations humaines plus épanouies.
Il faut souligner l'existence rare, mais bien réelle, de phénomènes d'euphorie exagérée avec une pratique excessive des techniques de ce genre : le résultat devient alors négatif à moyen terme et peut comporter certaines réactions psychotiques. Un usage modéré, limité quant à la durée quotidienne de la pratique, est par contre positif, y compris chez des patients psychosomatiques, psychopathes, névrosés ou même psychotiques...
Il pourrait avoir un rôle de pacification, de synthèse entre les données internes et externes : sorte de refroidissement de la vie émotionnelle, du chaos pulsionnel. Dans ce sens, il est assez strictement symétrique du sommeil paradoxal qui fait monter la pression, active les données de la nature contre celles de la culture, introduit du "bruit" dans le système... (Voir ici)
On peut imaginer que l'état d'éveil paradoxal apparaîtra un jour comme tout aussi indispensable que le sommeil ou le rêve; ce que pratiquaient sans le savoir nos parents et nos ancêtres, lorsqu'ils cheminaient lentement sans moteur, lorsqu'ils gardaient le troupeau, contemplaient les nuages du ciel, l'eau du torrent, la bonne terre fendue par le soc du brabant, ce qu'ils pratiquaient en regardant l'herbe pousser, ce qu'ils expérimentaient aussi lorsqu'ils se rendaient aux cérémonies, aux musiques et aux rites de leur religion, tout cela, nous le remettrons sans doute en honneur, non en reproduisant ces vénérables coutumes mais en ouvrant des lieux, des temps et des pratiques susceptibles de produire le repos, la sérénité et la paix au sein du plus lucide éveil de la conscience...