Foreword

de "La Clef des Sons"

par Jean-Claude Risset

translated by himself

 

Voici un ouvrage ambitieux sur le son. Une rareté.

Le son est l'oublié de notre civilisation. Imprimerie, télévision, photocopie : le visuel oblitère le sonore. L'image est reine. L'image désigne, décrit, fascine. Instantanée, synoptique, on l'embrasse d'un seul coup d'œil. Avec le son, il faut être à l'écoute, tendre l'oreille. Le son est dans la durée : pour l'entendre, il faut le temps. Le temps, luxe de l'homme d'aujourd'hui, l'homme pressé.

 

Here is an ambitious work about sound. A rarity.

Sound is dismissed by our civilization. Printing, television, photocopies, digital screens : visuals obliterate the world of sound. Images are instantaneous, grasped at a glance, synoptic,  they reign, describe, fascinate. With sound we must be ready to lend the ear. Sound has duration: listening to it takes time. Time, today’s luxury in our rushed lives.

Aussi le son se dilue-t-il souvent en ambiance. Sur nombre de radios, dans les supermarchés, les aéroports, un bain tiède, une soupe fonctionnelle : la musique devient Muzak. Ou alors le son n'est plus qu'un sous-produit, un déchet. Une pollution. Ephémère sans doute, mais envahissante. Le silence aussi est un luxe.

 

Sound is often diluted into ambiance. On radios, in supermarkets or airports, sound is a tepid bath, a functional soup : music becomes Muzak. Often sound is only by-product, rubbish. Noise. Pollution. Ephemeral of course, but invasive.  Silence too is a luxury.

L'enregistrement et l'électricité changent notre rapport au son : heureusement, pas toujours pour l'appauvrir. Verba volent, scripta manent : cet adage est aujourd'hui lettre morte. Nous avons maintenant à notre portée, en conserve, les témoignages sonores les plus divers : bruits de la nature, des animaux, musiques d'autres temps, d'autres civilisations.

 

Recording and electricity have changed our relationship to sound: happily sometimes for the better. Verba volent, scripta manent, goes the old Latin proverb : today it no longer applies. We now have at our disposal the most diverse collection of sonic records : sounds of nature and animals, music from other times or other civilizations.

Le son n'est plus nécessairement le reflet des vibrations d'objets sonores identifiables, visibles, palpables. Les machines électriques, électroniques, et l'ordinateur, habilité par Max Mathews à traiter les sons, nous ouvrent des possibilités sans précédent.

John Chowning et moi-même en avons tiré parti dans nos recherches et nos musiques : ne pas se contenter de composer avec des sons préexistants, mais composer le son lui-même, le sculpter, l'étirer, le colorer, le façonner, le métamorphoser à l'envi ; créer des sons " paradoxaux ", des illusions auditives, " erreur des sens, vérité de la perception ", comme l'a dit le physiologiste Purkinje ; jouer sur la corde sensible des mécanismes auditifs pour créer des sons pouvant se rapprocher des sons familiers, mais aussi en diverger en échappant aux contraintes mécaniques, pour faire surgir des environnements sonores virtuels, pour évoquer par le son un univers imaginaire, immatériel.

Nous pouvons - nous pourrions - vivre " l'expérience acoustique ", comme dit le compositeur François Bayle, d'une façon tout à fait neuve.

Also sound no longer has to be the audible trace of the vibrations of visible, physical, identifiable objects. Electrical and electronic apparatus open up unprecedented possibilities, allowing to revive the “acoustic experience” in completely novel ways, as the composer Francois Bayle suggested.

Bayle directed for a long time the Paris Groupe de Recherche Musicale, which fosters electroacoustic music in the wake of Pierre Schaeffer. Schaeffer exploited recording to assemble sounds directly, creating “musique concrète” in 1948.  In 1957, Max Mathews enabled the computer to synthesize and process sounds. John Chowning and I took advantage of this  unprecedented process in our research and our music : no longer content to compose with preexisting sounds, we have endeavoured to compose the sounds themselves, to create, design, shale color, sculpt them, to contrive them precisely in order to reveal sonic paradoxes and  auditory illusions – “errors of the senses, but truths of perception”, as the physiologist Purkinje said about optical illusions. One can play upon the idiosyncrasies of our auditory mechanisms to manufacture sounds that seem to escape mechanical constraints : virtual sound environments can evoke the sounds of an imaginary and immaterial universe. IRCAM, founded in the seventies by Pierre Boulez, continues to explore the musical potential of both acoustic and digital sounds.

 

Mais ce qui saute aux yeux a la préséance sur ce qui s'entend. On consacre plus d'efforts, de recherches, de crédits, au visuel qu'au sonore. Jusqu'à l'absurde, lorsqu'un architecte comme Frank Lloyd Wright choisit souverainement pour une salle de concerts une forme qui est un contresens acoustique. Les pochettes de disques noirs ont un prix de revient plus élevé que le disque lui-même. Au théâtre, au ballet, les éclairages sont élaborés et soigneusement dosés, mais le plus souvent la sonorisation est de qualité désastreuse - " la sono est pourrie " - ou trop forte, ou les deux. Le sonore est mal connu, mal compris, ce qu'on en sait est peu diffusé, en dépit de quelques efforts insolites. Pierre Schaeffer, homme de radio, a proposé une musique " concrète ", puis un solfège de l'objet sonore. Claude Lévi-Strauss a insisté sur l'urgence de collecter les témoignages sonores de civilisations en voie de disparition. Murray Schaeffer, compositeur canadien, prêche depuis un quart de siècle pour l'écologie auditive et la défense du patrimoine sonore : quelques institutions s'en soucient, comme l'Unesco, l'université Simon-Fraser à Vancouver, le consortium Homme-Technologie-Environnement acoustique dirigé par Valéri Nosulenko en URSS. En France, l'association Espaces nouveaux aborde l'étude du design sonore aussi bien que celle de l'environnement sonore architectural et urbain. Emile Leipp a tenté de concilier la science acoustique académique et la réalité complexe des faits musicaux. Et Alfred Tomatis, dont je reparlerai, a fondé sa pratique thérapeutique sur l'écoute.

 

Despite the emergence of a new world of sound, whatever strikes our eyes tend to dominate what we hear. We dedicate more effort, more research, more money to the visual than to the aural. To the point of absurdity, as when Frank Lloyd Wright designs a concert hall with a shape contrary to the requirements for good acoustics.  The cases of vinyl records were more costly than the disks themselves. In theater or ballet performances, lighting is painstakingly adjusted, but the sound system is often a disaster, the sound is distorted, or too loud, or both. Sound is not well known or understood; whatever is known is not publicized enough, apart from some too rare efforts. Claude Lévi-Strauss has emphasized that it is urgent to collect sound samples from civilizations which will soon be extinct. Since several decades the Canadian composer Murray Schaeffer is preaching for an auditory ecological attitude cautious to preserve  our sonic patrimony : some institutions have shown concern, such as UNESCO. In France, the late Emile Leipp had attempted to reconcile the academic discipline of acoustics science with the complex reality of music making. Louis Dandrel, Bruno Delage and others have attracted attention on sonic design in architecture and in the environment. And Alfred Tomatis, to whom we shall return, has based his therapy on listening.

Bernard Auriol, qui est psychiatre, travaille dans la même voie. Son ouvrage est précieux : il témoigne de ses expériences et de sa réflexion, et il relie divers aspects du monde des sons à l'être humain et à ses profondeurs.

 

Bernard Auriol, who is a psychiatrist, follows a path similar to Tomatis. His book is precious : it describes his therapic practices and reflexions, and it relates various aspects of the sonic world of sound to the human being and its inner depths.

Car l'écoute est une expérience originaire. Avant de voir - avant de naître - on entend. Et le son joue un rôle vital. D'alerte. De marquage du territoire ou d'appel sexuel chez nombre d'animaux. Le son entoure, enveloppe, pénètre - l'oreille n'a pas de paupières. Le son relie - du latin re-ligare. Celui qui perd la vue est plus dépendant, mais moins isolé que celui qui perd l'ouïe. Le compositeur André Jolivet aimait à le rappeler, la musique puise ses sources ancestrales dans l'expression magique de la religiosité des groupements humains.

 

Because listening is a primal experience. Before seeing – before being born - we hear. And sound plays a vital role. It warns. It is used by many animals for mating calls or marking out their territory. Sound surrounds, envelops, penetrates – the ear has no eyelids. Sound connects. Humans who loose sight become more dependent, but less isolated than those who loose hearing. The composer André Jolivet liked to remind us that music has it ancestral origin in the magical expression of religiosity in human groups.

Le son peut être carmen, chant, charme, sortilège. Musique.

 

Sound can be carmen, singing, charm, enchantment. Music.

Et, bien sûr, le son est le véhicule de la parole, moyen de communication privilégié entre les hommes. La cité démocratique grecque ne devait pas dépasser une certaine taille, afin que tous les citoyens puissent entendre les orateurs débattre, sur l'agora, de la chose publique. Pour que ses disciples ne soient pas distraits, Pythagore parlait derrière un rideau : si j'écoute mal, je n'y entends rien. A la radio, Hitler fanatisait ses auditeurs : selon McLuhan, l'image télévisuelle l'aurait dégonflé comme une baudruche.

 

And of course sound is the vehicle for speech, the privileged form of human communication. The Greek democratic city could not exceed a certain size, so that every citizen could hear the orators debate about public matters (in re-publican manner) on the agora. Pythagoras spoke to certain disciples from behind a curtain. On the radio, Hitler fanaticized his audiences : according to McLuhan, television would have severely deflated his image.

L'ouvrage de Bernard Auriol dit beaucoup sur les sons, sur l'écoute. Il n'est nullement une encyclopédie, mais il réunit nombre d'informations issues de diverses disciplines. Il risque des hypothèses, sans se réfugier derrière l'argument d'autorité. Le docteur Auriol est clinicien, thérapeute, son métier est d'apaiser la souffrance psychique. Mais sa pratique s'accompagne d'un souci permanent de recherche et d'évaluation. Il a déjà écrit une Introduction aux méthodes de relaxation qui aide le lecteur à s'orienter parmi les moyens d'accéder à un bénéfique " éveil paradoxal ". Dans le présent ouvrage, il décrit des méthodes de cure faisant appel à la modification de l'écoute par des moyens électroniques : l'altération des perspectives, des dosages auditifs, la remise en question de l'univers sonore peuvent aider à défaire des habitudes, des blocages.

 

The book by Bernard Auriol has much to say about sound. It is not an encyclopedia, but it brings together informations from a number of disciplines. It dares hypotheses but without taking refuge behind a mantle of authority. Doctor Auriol is a clinician, a therapist, and his goal is to alleviate psychic suffering. But his practice is accompanied by constant research and evaluation. He has already written an Introduction to Methods of Relaxation, which orients the reader through the means of reaching the state of “paradoxical awakeness”. In the present volume, he describes healing methods that resort to modifying hearing by electronic means: the alteration of auditory balance, the questioning elicited through upsetting listening habits can help to go beyond habits and blockages.

De ces cures soniques, le pionnier est Alfred Tomatis déjà cité - un personnage contesté, parfois décrié, qui ne connaît guère le doute (ce qui n'est pas le cas de Bernard Auriol), même si certaines de ses prémisses paraissent controuvées. Mais Tomatis a aussi nombre de zélateurs : et nul ne peut lui retirer le grand mérite de nous avoir rappelé avec éloquence l'oreille oubliée.

The pioneer of sonic therapies is the late Alfred Tomatis, mentioned above – a controversial and often criticized figure, who rarely acknowledged being in doubt (unlike Bernard Auriol), even though some of his premises appear quite controversial. But Tomatis also has numerous enthusiasts : he had the great merit to eloquently rememind us of the importance of hearing, a sense far too neglected.

 

Ma propre recherche porte sur la musique et ses sons : je n'ai pas la prétention de juger du bien-fondé des théories et des pratiques psychiatriques et thérapeutiques envisagées dans le livre de Bernard Auriol. L'hypothèse de travail d'une " position d'écoute " susceptible d'induire un déficit auditif m'intrigue. Ses fondements me paraissaient problématiques : ils le sont beaucoup moins depuis que les physiologistes ont mis en évidence - tout récemment - les mécanismes actifs de la cochlée, qui peuvent, sur l'ordre du cerveau, faire agir des muscles augmentant la sélectivité de l'oreille dans telle ou telle région de fréquence. " Tendre l'oreille. "

 

My own research deals with music and its sounds: I have no pretense to evaluate the theories and the therapic or psychiatric practices envisioned in Bernard Auriol’s book. The hypothesis of a listening posture that can induce auditory deficit does intrigue me.  Its premises initially appeared problematic to me. But recently physiologists confirmed that the mechanism of the cochlea is an active one : a signal from the brain can make inner-ear muscles to stretch in order to increase selectivity in this or that region of frequencies. This justifies the French expression tendre l’oreille (to prick up one’s ears) : “tendre” means “to stretch”.

Mais il n'est nul besoin d'être spécialiste pour s'intéresser à " la clef des sons ", à ses rapprochements, à ses points de vue originaux, stimulants. Ainsi, à propos de la proximité des organes de l'ouïe et de l'équilibration, sont évoqués deux arts inséparables : la musique, mouvement des sons, et la danse, mouvement des corps. " La philosophie est quelque chose ; mais la musique, monsieur, la musique... La musique et la danse, c'est là tout ce qu'il faut. " Plus loin, Bernard Auriol suggère que le plaisir de la musique - ouïr, jouir - trouve ses sources dans la vie avant la naissance : reviviscence des premiers sons et mouvements vécus en aveugle. Bien sûr, la musique associe pulsion et organisation, spontané et discursif : les musiques ont leurs grammaires. Il faut rappeler que le musicologue viennois Heinrich Schenker, analysant la musique tonale, avait dégagé, cinquante ans avant Noam Chomsky, le concept de grammaire générative. A l'image de la musique, les récits mythiques suivant Lévi-Strauss, l'inconscient selon Lacan, sont structurés comme des langages - et aussi la danse, qui a son vocabulaire, sa grammaire, voire, selon certains, sa double articulation.

 

One does not have to be a specialist to be interested in The Key to Sound, its interpretations, its original and stimulating points of view. The proximity of the organs of hearing and balance are evoked in relation to two inseparable arts : music, the movement of sounds, and dance, the movement of the body. “Philosophy is something; but music, music, sir, music… Music and dance are everything that is you need” (Molière, Le bourgeois gentilhomme). Bernard Auriol suggests that the pleasure of listening and playing music has its source in prenatal life: a revival of sounds and movements experienced in blindness. Of course, music brings together pulsions and organization, spontaneity and discourse : musics have their grammars. In the course of his analytical study of tonal music, the Viennese musicologist Heinrich Schenker came up with the concept of generative grammar, fifty years earlier than the linguist Noam Chomsky. Just like music, myths (according to Lévi-Strauss) and the unconscious (according to Lacan), are structured like languages – and so is dance, with its implicit vocabulary, grammar, notation, even double articulations.

" Qui n'honore pas la musique n'est pas digne de voir le jour ", a dit Ronsard. On peut spéculer sans fin sur les raisons de l'emprise de la musique, jubilation de l'écoute gratuite, " plaisir délicat d'une occupation inutile ". Selon Leibniz, la musique est un calcul secret que l'âme fait à son insu. Suzan Langer remarque l'analogie entre les opérations perceptives que met en jeu la musique et les mouvements de l'âme. Pour le théoricien Leonard Meyer, l'expérience première de la musique est une dialectique d'attentes comblées ou déçues : la disposition de l'auditeur peut mettre en avant l'aspect cérébral, sensoriel, émotif ou connotatif, le calcul des proportions, les sons et les couleurs, les mouvements archaïques et archétypiques, ou les références à l'extra-musical. Pour beaucoup, dont le compositeur Luciano Berio, la musique nous parle de notre condition, de notre place dans le monde, de ce qui nous dépasse. Le jeu musical paraît se situer aux frontières de l'ordre et du chaos, à la fois surprise et maîtrise du devenir : il relie peut-être, comme le suggère Bernard Auriol, les rites sonores socialisés aux souvenirs inconscients de l'aube de notre vie. Le phénomène musical fonctionne souvent, en dépit des différences considérables entre les auditeurs, leur passé, leurs écoutes - sans doute s'appuie-t-il sur un fonds commun d'intersubjectivité.

 

“Whoever does not honor music does not deserve to see daylight”, said the poet Ronsard. One can endlessly speculate on the grasp of music exerts upon us, the jubilation its gratuitous listening elicits - “the delicate pleasure of a useless occupation” (Henri de Régnier). According to Leibniz, music is a secret computation that the soul instinctively performs. Susan Langer notices the analogy between the perceptual operations triggered by music and the motions of the mind. For the theoretician Leonard Meyer, the primary experience of music is a dialectic of fulfilled or deceived expectations. The disposition of the listener can emphasize one or several of diverse aspects : the cerebral, sensory, emotional or connotative, the calculation of proportions, sounds and colors, archaïc motions and archetypes, or extra-musical references. For many, among which the late composer Luciano Berio, music speaks to us of our condition, of our place in the world, of what transcends us. The play of music seems situated at the border of order and chaos, at once surprise and mastery of what is to come: as Bernard Auriol suggests, it might link socialized sonic rituals to unconscious memories from the dawn of our existence. The phenomenon of music often functions, despite considerable differences between listeners, their past, their hearing – doubtless appeals to a common basis of shared subjectivity.

Ce ne sont là que spéculations. Pas mieux qu'un autre, je ne sais ce qu'est la musique. Mais souvent je suis sûr qu'il y a musique. " La beauté est dans l'œil de celui qui regarde " : ce proverbe arabe, lui aussi, oublie l'oreille. Même la moins gratuite, la plus fonctionnelle des émissions sonores animales peut être musique. Un de mes souvenirs les plus vifs : dans la forêt australienne, mille motifs sonores virtuoses et grisants enchaînés par un oiseau-lyre ensorcelé, éperdu, insatiable de son chant. Indifférence de la femelle visée par cette parade sonore, et pourtant miracle inoubliable d'une création éphémère. " Mais est-ce de l'art ? " En tout cas, une expérience musicale intense. Selon le compositeur François-Bernard Mâche, " le xxe siècle musical cherche laborieusement à redéfinir un contact entre les universaux mythiques toujours vivants, le monde des sons nouveaux créés par l'homme, et les sons immémoriaux de la nature ".

 

These are only speculations. No better than anyone else do I know what music is. But often one knows it is here. Beauty is in the eye of the beholder. This Arab proverb also forgets the ear. Even the least gratuitous, the most functional animal sound signals can be music. Among my most vivid memories : in the Australian forest, thousands of virtuosic musical motives uttered by a lyre-bird, carried away and bewitched by its own enchanting sound. The female, target of this sonic parade, seemed to remain indifferent  - yet this was an unforgettable miracle of ephemeral creation. “But is it art?”  In any case, an intense musical experience. According to the composer Francois-Bernard Mâche, “the music of the twentieth century laboriously seeks to make a connection between mythical universals that are still alive, the new world of sounds created by humans, and  the immemorial sounds of nature”.

L'ouvrage de Bernard Auriol invoque les mythes, les archétypes ancestraux - Echo et Narcisse - aussi bien que les techniques nouvelles, sans lesquelles n'auraient pu être mises en œuvre les thérapies sonores qu'il décrit. Le fil conducteur : la clef des sons, l'écoute.

 

The work of Bernard Auriol invokes myths, ancestral archetypes – Echo and Narcissus – and new techniques without which the therapies he describes could not have come into being. The connecting thread : hearing, listening, the key to sound.

L'écoute. Forme de toucher à distance, à la sensibilité exquise. Bernard Auriol nous le rappelle, nous pouvons percevoir des vibrations ténues qui provoquent des déplacements de la membrane du tympan bien plus petits qu'un atome d'hydrogène. Soyons attentifs à préserver les structures délicates de l'oreille. Et l'audition, processus actif, comme il est précisé dès le début de l'ouvrage, accomplit des prodiges pour démêler le magma sonore et en extraire une information incroyablement précise et différenciée. Quelle machine pourrait distinguer entre deux sons arrivant à l'oreille avec le même niveau physique - par exemple cinquante décibels - et préciser que l'un vient d'une source éloignée et puissante et que l'autre a été émis doucement mais tout près ? C'est pourtant ce que nous faisons couramment. L'audition effectue sans cesse des enquêtes qui nous permettent de distinguer des sons multiples, simultanés ou successifs, d'assigner leur provenance à des sources sonores différentes, d'évaluer les positions, voire les dimensions de ces sources, d'inférer les modes de production sonore... Un tour de force si l'on songe que chaque oreille ne reçoit qu'une variation de pression, une information bien mince. Le psychologue Albert Bregman propose une analogie éclairante : observant deux bouchons au bord d'un lac, mus par les ondes se propageant à la surface, ne serait-ce pas un exploit d'en déduire les positions et les mouvements des poissons ou des autres êtres subaquatiques qui sont à la source de ces ondes ?

 

Hearing, listening. A kind of remote touch with exquisite sensitivity, as Bernard Auriol reminds us. We can perceive tenuous vibrations that move the tympanic membrane by less than the size of a hydrogen atom. One must be cautious to preserve the delicate structures of the ear. Hearing is an active process, as mentioned early in the book : it works wonders to unravel the sonic magma and extract from it an incredibly precise and differentiated information. What machine could distinguish between two sounds arriving at the ear with the same volume, e.g. thirty decibels, and diagnose that one sound came from a strong and remote source, and the other from a source that is much closer and softer? Yet this is a distinction that we make constantly. Our hearing always makes inquiries that permit us to sort out innumerable simultaneous or successive sonic components, to assign their provenances to different sources, to evaluate their size, their positions, to infer their modes of production … A tour-de-force if we realize that each ear only detects pressure variations – a crude information. The psychologist Albert Bregman proposed a clarifying analogy: by watching two corks bobbing at the edge of a lake, according to the waves getting to the surface, what an extraordinary feat it would be to deduce the position and movements of fishes or other subquatic motions that contributed to those waves?

Qu'on me permette d'évoquer ici quelques paysages sonores vécus, qui témoignent pour moi des simples merveilles du sonore et de l'extrême finesse de l'écoute " acousmatique " des sources invisibles. A Trébeurden, en Bretagne, derrière une haie d'ajoncs, l'ubiquité des sons de la mer calme - mille bulles d'écume crevant sur le sable. Dans la jungle malaise, le regard ne porte pas plus loin que le bras, mais tout autour, en haut, en bas, tout près, au loin, on discerne craquements, frôlements, grattements, glissements. En forêt Noire, un jour d'automne, un monde sonore plus rassurant, incroyablement lisible dans sa subtilité : le bruissement des feuilles plus ou moins sèches, les chuchotements de la brise, les percussions des piverts, les sifflements des oiseaux chanteurs, et, très loin, un avion. Interpénétration sans obstruction, comme dans le bouddhisme zen. Près de Marseille enfin : dans la touffeur de l'été, au fond d'un défilé qui débouche sur la calanque de Sugiton, l'impalpable bourdonnement multiple des abeilles, les explosions microscopiques des graines à la chaleur. Et lorsqu'on gravit la pente, surgit soudain une sonorité profonde, ample, grave, mais infime, presque inaudible, comme une gigantesque trompe de brume venant de très loin : avant cette descente aux frontières du silence, la rumeur de la ville voisine, oubliée, refoulée, n'affleurait plus à la conscience.

 

Allow me to evoke soundscapes I have experienced, that exemplify the simple marvels of the sonic world and the great finesse of “acousmatic” listening to invisible sources. At Trebeurden, in Brittany, behind a hedge of gorse bushes, the pervasive, ubuquitous sounds of a quiet sea – thousands of bubbles of foam breaking on the sand. In the Malaysian jungle, one can see no further than an arm’s length, but all around, above, below, close and far, one can discern cracklings, brushings, grating, glidings. In the German Black Forest, in autumn, a more reassuring world of sound, incredibly legible in its subtlety, the rustling of leaves – their sound depending of their dryness -, the whispering of the breeze, the drumming of woodpeckers, the whistles of blackbirds, and, remotely but clearly, noises from Baden-Baden and from a receding plane : no masking, interpenetration without obstruction, as in Zen Bhuddism. Last, in the bottom of a gorge leading to the calanque of Sugiton, near Marseille, the impalpable buzzing of bees, and the microscopic explosions of seeds cracking under the summer heat. As one goes up the hill, one hears a profound sound, low, deep and wide, although nearly inaudible, like a gigantic foghorn blowing from a great distance : the hum of the neighboring city. It was always there, but it had been forgotten, repressed, eradicated from consciousness before that descent to the frontiers of silence.

L'écoute a ses profondeurs. Ce livre luxuriant s'y risque. Lecteur, écoute voir, fais en lisant l'expérience de cette plongée.

Hearing has its abysses. This luxuriant book has faced the risk of diving : reader, écoute voir, read and take the plunge!

 

Jean-Claude Risset

 

Encouragements à la traduction anglaise de l'ouvrage.


 


écoutez SUD (1985) de Jean-Claude Risset auteur de cette Préface au livre de  Bernard Auriol:

La Clef des Sons


Quelques mots de Yehudi Menuhin

"J'ai toujours pensé que la musique est fondamentalement thérapeutique, restaurant l'équilibre détruit par les pressions de la journée. Dans un état de déséquilibre physique, d'origine nerveuse ou mentale, la musique peut atteindre notre subconscient et remettre les choses en place. Cette thérapie explore une nouvelle approche fascinante de la vie intérieure. (...)

Le son pénètre directement notre corps. Ce que l'oreille peut accomplir, à l'intérieur de notre cerveau, à l'intérieur de nos vies, rien d'autre ne peut le faire.

L'emploi des hautes fréquences nous ouvre tout un nouveau monde. La thérapie sonique a un effet spécifique qui semble avoir des implications étendues et des résultats étonnants. Je crois que cela constitue une percée de plus grande efficacité pour la musique et la santé."

pour continuer : (Chapitre 1 de La Clef des Sons)